LE COMTE
ORY
Gioacchino Rossini (1792-1868)
Opéra en deux actes
Livret d'Eugène Scribe
et Charles-Gaspard Delestre-Poirson
Le Comte Ory : Juan Diego Florez
Le Gouverneur : Alastair Miles
Isolier : Marie-Ange Todorovich
Raimbaud : Bruno Pratico
La Comtesse de Formoutiers :
Stefania Bonfadelli
Dame Ragonde : Marina De Liso
Alice : Rossella Bevacqua
Prague Chamber Choir
Orchestra del Teatro Communale
di Bologna
Direction: Jesus Lopez-Cobos
(enregistrement réalisé
au Festival de Pesaro en août 2003)
Un coffret de 2 CD DGG 28947 75020
Voilà un coffret qui vient combler
une lacune importante. En effet, la discographie - officielle, du moins
- du pénultième opéra de Rossini se résumait
jusqu'à présent à trois enregistrements. C'est à
Vittorio Gui que l'on doit la première intégrale (EMI, 1956)
avec les forces du Festival de Glyndebourne, version qui a longtemps fait
figure de référence, mais dont l'interprétation vocale
paraît désormais quelque peu datée. En 1959, Michel
Sénéchal et Robert Massard (
1) tentent de
défendre à leur tour la partition, sous la direction totalement
inadéquate d'Ighelbrecht. Ces deux gravures sont difficiles à
trouver aujourd'hui. Ensuite, plus rien jusqu'en 1988 où, dans la
foulée de représentations données à l'Opéra
de Lyon, J. E. Gardiner dirige l'ouvrage pour Philips avec, dans le rôle-titre,
un John Aler bien peu rompu au style rossinien et flanqué de l'improbable
Comtesse de Sumi Jo plus rossignol mécanique que chaste épouse.
Le Comte Ory n'a pourtant jamais quitté les grandes scènes
internationales. Sa création à l'Opéra de Paris en
1828, avec une distribution des plus brillantes autour d'Adolphe Nourrit
(le futur Guillaume Tell), connaît un vif succès qui ne se
dément pas tout au long du XIXème siècle. La musique,
on le sait, est en grande partie reprise du Viaggio a Reims composé
trois ans plus tôt à l'occasion du sacre de Charles X.
Au milieu du siècle passé, Le Comte Ory entre au
répertoire de l'Opéra-Comique. Michel Sénéchal,
qui en fera l'un de ses chevaux de bataille, le chantera in loco
jusqu'à la fin des années 70. Par la suite de nombreux ténors,
et non des moindres, endosseront les habits du séducteur impénitent,
notamment Rockwell Blake et William Matteuzzi qui feront les beaux soirs
du Festival de Pesaro dans les années 80. Il est d'ailleurs regrettable
qu'aucune maison de disque n'ait préservé l'incarnation savoureuse
de Blake que les Parisiens ont pu entendre salle Favart au début
de 1997.
C'est à Pesaro justement que l'intégrale qui paraît
aujourd'hui a été captée durant l'été
2003. La présence de Juan Diego Florez, star incontestée
du chant rossinien actuel, n'est sans doute pas étrangère
à cette publication, mais ne constitue pas le seul atout de cet
enregistrement.
Marina de Liso et Rossella Bevacqua sont irréprochables, la première
campe une dame Ragonde truculente et la seconde une Alice tout à
fait honorable.
La voix profonde d'Alastair Miles convient parfaitement au gouverneur
dont il brosse un portrait tout à fait juste de vieil homme austère
et sentencieux à qui on pardonnera volontiers un aigu quelque peu
émacié.
Bruno Pratico ne démérite pas en Raimbaud malgré
une diction parfois exotique. Il se tire avec brio de son air périlleux
du second acte "Dans ce lieu solitaire ", air naguère immortalisé
par Ruggero Raimondi dans Il Viaggio a Reims.
Seule Française de la distribution, Marie-Ange Todorovitch est
un Isolier malicieux au timbre séduisant mais force est de constater
que certains aigus sonnent de façon stridente et que sa diction
est loin d'être supérieure à celle de ses partenaires
!
C'est à Stefania Bonfadelli qu'échoit le rôle de
la Comtesse de Formoutiers. Cette jeune cantatrice italienne est familière
de ce répertoire (elle a déjà chanté Le
Voyage à Reims) et sa voix lyrique convient à un emploi
qu'on a trop souvent confié à des sopranos trop légers
(Mesplé ou Jo pour ne citer qu'elles). Son timbre sombre et velouté
dans le médium fait ici merveille et s'épanouit dans des
aigus solides et brillants (superbes notes piquées à la fin
du trio "J'entends d'ici le bruit des armes"). Prudente dans l'ornementation,
elle privilégie l'aspect élégiaque de l'héroïne,
en particulier dans son air d'entrée "En proie à la tristesse".
Que dire de Juan Diego Florez, sinon qu'il est un Comte Ory exceptionnel.
Le meilleur, incontestablement, de la discographie. Il a tout pour lui
: la suavité du timbre, la délicatesse des demi-teintes et
une technique à toute épreuve, avec, de surcroît, une
prononciation plus que correcte de notre langue. Tout au plus pourrait-on
regretter qu'il escamote l'aspect grivois -voire démoniaque - du
rôle que savait si bien rendre à la scène un Rockwell
Blake, carnassier à souhait. L'interprétation de Florez évoque
plutôt un jeune homme insouciant et facétieux, une conception
qui, somme toute, se défend et convient idéalement à
la personnalité du ténor péruvien.
Au pupitre, Jesus Lopez Cobos parvient à trouver le juste équilibre
entre le style de l'opéra comique à la française illustré
par Boieldieu et celui de l'opera buffa façon Barbiere
di Siviglia. Une direction élégante et raffinée
qui n'exclut ni la vivacité, ni l'humour.
Signalons enfin que la prise de son est un peu mate, et que les tutti
sont quelquefois confus, mais ce sont là les aléas du direct.
On l'aura compris, quelques réserves (mais rien de rédhibitoire)
ne sauraient empêcher cet nouvel enregistrement de se hisser d'emblée
au sommet de la discographie actuelle de l'oeuvre.
Christian PETER
________
(1) On retrouvera ces deux chanteurs bien mieux dirigés
dans un enregistrement live réalisé à la RAI de Turin
en 1959, qui est à nouveau disponible depuis peu sous le label Living
Stage.
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