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Gioacchino Rossini (1792-1868)
LE COMTE ORY
Huw Rhys-Evans, le Comte Ory
Luca Salsi, Raimbaud
Linda Gerrard, la comtesse de Formoutiers
Wojtek Gierlach, le Gouverneur
Gloria Montanari, Dame Ragonde
Luisa Islam-Ali-Zade, Isolier
Sofia Soloviy, Alice
Chœur Philharmonique Tchèque de Brno
Solistes de chambre Tchèques de Brno
Direction: Brad Cohen
CD Naxos
Un Comte orybilis ?
Composé en 1828, le Comte Ory fait suite aux adaptations parisiennes de deux opéras seria, Maometto II et Mosé in Egitto, composés par Rossini durant son séjour napolitain. Il précède également de peu Guillaume Tell
dont l’échec relatif poussa le compositeur
âgé de 37 ans de la scène lyrique vers ses
fourneaux dans un ermitage gastronomique qui devait
s’avérer définitif.
Créé en août 1828 avec Adolphe Nourrit dans le rôle-titre, le Comte Ory puise une grande partie de sa substance dans le Voyage à Reims
composé trois ans auparavant en l’honneur du couronnement
de Charles X et presque aussitôt remisé. En artisan
madré, Rossini ne rechigna pas à en adapter et incorporer
jusqu’à 4 des 6 numéros qui composent le premier
acte du Comte Ory qui, par
ailleurs, se distingue de ses prédécesseurs dans la veine
buffa par le soin particulier apporté à
l’écriture orchestrale, surtout celle la petite harmonie,
ainsi que par l’abandon du récitatif secco au profit
du récitatif accompagné que l’usage de
l’époque confinait au style seria. Concessions qui portent la marque du style français vers lequel lorgnait déjà le compositeur.
Le livret de l’opéra tire son origine d’une ballade
médiévale aux accents rabelaisiens remise au goût
du jour dans un vaudeville d’Eugène Scribe et
Charles-Gaspard Delestre-Poirson. Des auditeurs ravis pouvaient y
suivre les aventures d’un Comte Ory et de ses acolytes
égrillards bien décidés à
s’introduire dans un monastère afin d’y
célébrer une bacchanale frénétique en
compagnie de nonnes dont le consentement semblait relever d’une
question de détail.
L’adaptation de Scribe dut passer sous les fourches caudines
d’une censure fort peu encline à voir ainsi remis en
question le vœu de chasteté, et fut par conséquent
édulcoré. Les nonnes se transformèrent donc en
épouses vertueuses ayant fait le vœu de ne laisser
pénétrer aucun membre de la gent masculine dans le
château où elles vivent retranchées à
l’abri d’imprenables murailles en attendant le retour de
leurs maris, partis en croisade comme on part en camping au mois de
juillet. C’est cette version que Rossini choisit de retenir pour
son livret.
Pour le présent enregistrement, pris sur le vif en 2002 lors du Festival Rossini de Wildbad, la firme Naxos reprend une recette qui nous a valu des bonheurs divers, et dont on peut citer un Tancredi mémorable une Cenerentola avec Joyce Di Donato parmi les réussites notoires.
Dès l’introduction, l’orchestre annonce la
couleur : la soirée sera confortable. Servis par une prise
de son ample, les cordes affichent un moelleux auquel répondent
des vents disciplinés sous la direction attentive de Brad Cohen.
A mesure que progresse l’œuvre, cette vigilance se
transforme en application, qui à son tour se mue en une torpeur
dont on ne s’extrait que lors des grands concertati
pour y replonger aussitôt comme dans un édredon
tiède. Il y manque indéniablement ce mordant
instrumental, cette étincelle de folie qui font les grandes
soirées rossiniennes. Au lieu de contribuer au ressort dynamique
de l’œuvre, des récitatifs encalminés la
compartimentent, enserrant chaque numéro dans une gangue
soporifique. Le navire se trouve en outre lesté d’un
chœur inégal dont les interventions confinent souvent au
mélisme grégorien, incapable de se rallier à la
battue du chef et en constante délicatesse avec tous les
paramètres du chant : rythme, intonation,
prononciation. Seuls les grands passages homophoniques lui
permettent de retrouver un semblant de tenue et « Vous,
notre appui » nous révèle même des
pupitres féminins capables de couleurs diaphanes.
De la distribution réunie ici émerge sans conteste Linda Gerrard
dont le tempérament, le timbre corsé et le souffle long
lui permettent de triompher des embûches d’une partie qui
n’en manque pourtant pas. Cette Comtesse de Formoutiers a
décidément beaucoup pour plaire, à commencer par
une prononciation française certes pas parfaite, mais qui en
fait la plus intelligible du plateau. Sa capacité à
alléger une voix à l’aplomb généreux
nous vaut un « En proie à la tristesse »
de belle facture dont elle parvient à maîtriser non sans
délicatesse les sauts de tessiture assassins et
l’ornementation virtuose du registre aigu.
Avec le Comte Ory du ténor gallois Huw Rhys-Evans
nous revenons sur terre. Ses tentatives fort louables de
conférer au rôle la truculence qu’il requiert
viennent échouer sur une voix dont le médium gris
surmonté d’un aigu serré peine à trouver son
unité. Son « Que les destins
prospères » placide s’achève ainsi sur
un bref contre-ut étranglé. Les vocalises
sont souvent laborieuses, la gestion du souffle problématique au
point de parfois bousculer les fins de phrase. Nous sommes
décidément loin de la perfection gracile de Florez ou du
chant roboratif de Blake. Dommage, car l’on sent chez
l’interprète une volonté véritable de se
fondre dans le style rossinien et qui nous vaut un trio final
«A la faveur de cette nuit obscure » aux
sonorités diaprées, page parmi les plus splendides
du maître de Pesaro.
Luisa Islam-Ali-Zade
prête à Isolier son timbre brillant et un engagement
dramatique de tous les instants. Son duo du premier acte
révèle toutefois une instabilité de
l’émission lorsqu’elle se trouve confrontée
aux tensions d’une écriture virtuose, et qui se traduit
par des sons aigus ouverts et trop hauts. On se lamentera
également longtemps sur l’intonation
délabrée de ses récitatifs que l’indulgence
mettra au compte d’un temps de répétition sans
doute insuffisant.
Du reste de la distribution on énumérera un Gouverneur
à la voix courtaude, un Rimbaud opulent mais égaré
chez Rossini dont il soigne l’ornementation comme on repasse une
chemise fripée, et une Ragonde dont le timbre n’est pas
sans évoquer Ewa Podles, l’agilité en moins.
Cette version se retrouve dans une discographie où la
qualité se le dispute à la rareté des biens, et
qui fut longtemps dominée par l’enregistrement de Vittorio Gui (EMI), écho des représentations de Glyndebourne. Depuis lors, Gardiner
(Philips) avec la Comtesse de Sumi Jo et Lopez-Cobos (DG) avec
l’inénarrable Comte de Juan Diego Florez capté sur
le vif à Pesaro apportent chacun à leur manière
une réponse accomplie à l’équation du
théâtre musical rossinien.
Le présent enregistrement n’est donc à recommander
qu’aux tenants d’une discothèque extensive ou
à ceux souhaitant se familiariser avec l’œuvre
à peu de frais. Les autres se tourneront prioritairement vers
les versions Gardiner ou Lopez-Cobos, plus à mêmes de
contenter l’auditeur exigeant.
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