Alessandro SCARLATTI
La Santissima
Trinità
Fede : Roberta Invernizzi
Amor divino : Véronique
Gens
Teologia : Vivica Genaux
Infedeltà : Paul Agnew
Tempo : Roberto Abbondanza
ENSEMBLE EUROPA GALANTE
Fabio Biondi
1 CD, Virgin Veritas,
7243 5 45666 2 2
Dans le texte rédigé pour
le programme du concert lyonnais au cours duquel il dirigeait cet oratorio,
Biondi compare l'oeuvre à une pièce archéologique
dont la découverte majeure ne cacherait pas l'ignorance dans laquelle
reste son origine. De fait, les circonstances même qui ont présidé
à la création de cette
Santissima Trinità restent
aujourd'hui mystérieuses, comme aussi sa distribution vocale originelle.
Seulement peut-on présumer, sur la foi de l'unique manuscrit conservé,
que l'oeuvre remonte à 1715.
Ce dialogue philosophique, ésotérique presque et toujours
marqué au sceau d'une puissante culture humaniste, témoigne,
chez Scarlatti, d'une inspiration musicale à mi-chemin de la tradition
baroque et romaine de l'oratorio et d'un style de musique religieuse plus
typiquement napolitain et en pleine éclosion. L'oeuvre est ainsi
construite de manière équilibrée autour d'une suite
d'airs accompagnés de la simple basse continue et d'une autre l'orchestre
prend une part plus importante.
Entre tradition et nouveauté, donc, Biondi a choisi d'illustrer
plus particulièrement la dimension de "joie lumineuse et étincelante"
qui est la plus immédiatement inhérente à l'oeuvre.
Loin de la rugosité sèche et de la démonstrativité
qui ont pu être reprochées aux derniers Vivaldi du chef italien,
le présent enregistrement atteste, au contraire, d'une appropriation
totale du style de Scarlatti, d'un naturel idéal dans le rendu des
couleurs orchestrales comme dans la métrique des airs. Ainsi l'Europa
galante réunie ici en petite formation joue-t-elle avec une irrésistible
qualité chambriste, chaque instrument étant de fait concertant
au sein de l'orchestre, quand il ne l'est pas nommément pour certains
airs.
La distribution soliste est cependant, peut-être, le point d'accomplissement
le plus total de la réalisation. Les airs sont courts, à
égale distance de la parole religieuse et du monde de l'opera
seria (comme dans le duo qui ouvre la seconde partie), et permettent
à chacun d'exister psychologiquement, de s'épanouir vocalement
aussi, sans jamais être mis en difficulté par une partie trop
héroïque.
Les voix féminines feront, à ce titre, les délices
de tous les mélomanes. Invernizzi, par exemple, avec l'absolue précision
qu'on lui connaît, avec sa rythmique irréprochable aussi,
joue de son timbre franc, nimbé pourtant ici d'une espèce
de sfumato sur les passages, qui donne l'effet d'une continuité
à la fois douce et imperturbable de la ligne vocale. L'aigu est
à la fois de haute volée et presque seulement effleuré,
comme à la fin du quintette conclusif, et toute la magie du timbre
et l'intelligence du chant, avec ses gammes délicates et ses inflexions
subtiles, pourrait être résumée par l'air "Costante
prestar fede". Véronique Gens, elle, affirme un peu plus à
chaque enregistrement le talent avec lequel elle mène une carrière
définitivement éclectique. Du dramatisme impeccable de ses
récents Berlioz au présent "Amor divino", l'artiste est toujours
unique, juste vocalement et d'intention magistrale. Jamais peut-être
Gens n'a été si proche du mezzo-soprano et la rondeur du
timbre est stupéfiante sur toute l'étendue de la tessiture.
Le grave sonne avec plénitude, le médium jouit d'une sonorité
cossue et l'aigu (ici peu sollicité, il est vrai) se déploie
avec éclat et fierté. Le "Or di voi piu fortunato" de la
première partie distille ainsi de purs sortilèges vocaux
dont la délicatesse à peine affectée fait merveille.
Quant à Vivica Genaux, sans doute tient-on là sa prestation
la plus justifiée. Ceux, en effet, qui n'ont pas apprécié
la virtuosité démonstrative de ses derniers disques trouveront,
par contre, ici une sobriété presque ascétique, des
variations infinitésimales dans la reprise des airs, un alanguissement
de la ligne qui étonnent chez cette chanteuse habituée aux
coups de force. Idéalement l'oeuvre ne surexpose pas des moyens
fragilisés par des passages creux et la nécessité
d'émettre en puissance certaines notes pour compenser une projection
problématique et des registres mal assortis. Sa "povera navicella"
est même anthologique, d'un allégement parfait et d'une technique
accomplie.
Chez les hommes, il suffit de dire que Abbondanza est un "Tempo" implacable,
à la voix franche, saine et à l'interprétation pleine
d'acuité. Le seul (très) relatif problème de la distribution
semble résider dans la prestation vocale de Paul Agnew. Vocale seulement,
car l'intelligence de l'artiste n'est jamais prise en défaut, comme
le montre la virtuosité tranchante avec laquelle il lance le quintette
final. Mais la voix, chargée des brumes du Nord qui prédisposent
idéalement l'artiste à être le ramiste de sa génération,
déçoit ici. On retrouve évidemment cette émission
pharyngée si directement reconnaissable, avec son incroyable couleur
sombre sur le bas médium et la relative sécheresse harmonique
du registre supérieur, mais le tout manque irrémédiablement
d'une certaine italianité, de cette qualité de pure coloration
que réclame un tel répertoire. Mais cela n'est que vétille
et Agnew, par son sens de la ligne, participe pour beaucoup à la
qualité générale de l'ensemble.
Un enregistrement majeur donc, et incontournable, qui cache derrière
sa constante économie de moyens de purs moments d'éternité,
comme le duetto de "l'augelletto" qui résume toutes les qualités
de l'oeuvre et de son interprétation. Un discours concertant, spirituel
et spiritualisé, servi par des voix aux enlacements vertigineux.
Benoît BERGER
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