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Franz Schubert
Die Schöne Müllerin
Peter Schreier, ténor
Wlater Olbertz, piano
CD Brilliant Classics
Enregistrement ADD de 1974
Une belle Belle Meunière
Schubert entreprit d’écrire le cycle Die Schöne Müllerin
en 1823, alors qu’on venait de le diagnostiquer syphilitique et
donc condamné à perdre la raison avant la vie. Cette
nouvelle va marquer le début d’une période
d’écriture particulièrement foisonnante.
Le compositeur découvre alors un recueil écrit par Wilhelm Müller,
l’un de ses contemporains, dans lequel il verra un idéal
correspondant à sa propre vision d’un art pur et
authentique.
Il retiendra vingt des vingt-cinq textes du poète pour les
mettre en musique. L’écriture sous forme de cycle
architecturé avait été inaugurée par
Beethoven avec An die ferne Geliebte. Schubert va signer deux pièces maîtresses du genre avec sa Belle Meunière puis son Voyage d’Hiver, tous deux écrits sur des poèmes de Müller, qui ouvriront une voie royale aux grands cycles de Schumann.
La cohérence de Die Schöne Müllerin
est tout d’abord assurée par une dramaturgie simple :
un jeune meunier s’éprend d’une belle
meunière et son éveil à l’amour trouve
écho dans la nature, mais arrive le rival chasseur qui va lui
ravir sa bien-aimée et il ne restera plus d’autre choix au
jeune amoureux éconduit que le suicide, épilogue tragique
mais, en même temps, vécu comme le soulagement d’une
douleur insupportable dans les bras de la nature.
La simplicité (ou plutôt l’apparente
simplicité) ensuite, confère au cycle un caractère
pittoresque, dans le Volkston. Schubert revient aux formes
élémentaires, avec une majorité de Lieder
strophiques, des tonalités simples (malgré
l’ambiguïté majeur/mineur et le rapport tortueux de
triton entre le premier et dernier Lied),
des lignes mélodiques très fluides et des
éléments figuratifs récurrents, comme le flot de
doubles-croches symbolisant le ruisseau, les grands intervalles
ascendants montrant une lueur d’espoir, le rythme
d’anapeste évoquant la mort…
L’omniprésence et l’exacerbation du
« je » enfin sert
l’homogénéité du cycle, tant chez le
poète (jeu de mot - non sans ironie - entre Müller et
Müllerin) que chez le compositeur, qui composa ces Lieder
pour sa propre tessiture (ténor) et personnifia dans
l’histoire du jeune meunier un héros romantique à
son image, un amoureux transi qui ne trouvera comme ultime apaisement
à ses souffrances que la mort, en parfaite communion avec
l’univers.
Je parlais plus haut d’apparente simplicité et
d’architecture : Schubert pousse la construction à un
point tel qu’on y retrouve la proportion magique du nombre
d’or, qui confère de manière dissimulée une
impression d’équilibre parfait.
Quoi de plus naturel donc, qu’un ténor pour interpréter Die schöne Müllerin ?
Quoi de plus plus évident aussi qu’un germanophone pour
pouvoir saisir et rendre toutes les nuances du texte et toutes les
subtilités de sa mise en musique ?
Peter Schreier nous
offre ici à mon sens une interprétation magistrale du
cycle de Schubert. Certes, le timbre de sa voix égale en laideur
celui d’un Rockwell Blake, mais l’ingratitude de la nature
n’empêche en rien le talent ! Car Schreier dispose
d’un instrument malléable qui lui permet
d’infléchir la mélodie aux exigences de la musique
et du texte. Pas d’artifice, pas de prétention, pas
d’affect outrancier, c’est extrêmement propre,
extrêmement clair et pur, comme l’aurait sans doute
aimé Schubert. Et la diction évidemment impeccable du
chanteur nous rend le texte dans toute son authenticité.
Néanmoins, Schreier ne se pose pas uniquement en
narrateur : sans distance, il se fond dans la peau du jeune
meunier, s’approprie ses émotions et nous entraîne
alors avec spontanéité et conviction dans la
densification du cycle depuis la découverte des premiers
émois du jeune homme jusqu’au glas final de la berceuse du
ruisseau.
Walter Olbertz est en parfaite harmonie avec la vision et la volonté de clarté de Schreier : le legato
et l’articulation de son jeu sont excellents, la pédale
est utilisée parcimonieusement et la palette de couleurs est
très large et raffinée, sans jamais couvrir le chanteur
et sans se dérober non plus à l’arrière plan.
Une belle Belle Meunière donc…
Lionel BAMS
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