C  R  I  T  I  Q  U  E  S
 
...
[ Historique des critiques CD, DVD]  [ Index des critiques CD, DVD ]
......
Giovanni Battista Pergolese 

La Serva Padrona

Uberto : Sesto Bruscantini
Serpina : Renata Scotto
I virtuosi di Roma
Direction : Renato Fasano
1 CD Ricordi



Composé par Pergolèse en 1733, le double intermezzo la serva padrona est resté célèbre dans l'histoire de la musique pour avoir déclenché la querelle des bouffons. Ce n'est pas pour autant que sa musique est bien connue du mélomane.

Les intermezzi étaient conçus comme des parenthèses au sein d'une soirée consacrée à la tragédie, des respirations nécessaires dans la mesure où les situations comiques précédemment présentes à l'intérieur de l'opéra seria en avaient été progressivement évincées. Celui-ci ne fait pas exception à la règle, puisqu'à sa création il était intercalé entre les actes de il prigioniero superbo, opéra seria du même auteur. 

Les intermezzi étaient par essence des spectacles brefs (dans le cas présent, 41 minutes), mettant en scène peu de personnages (ici, deux chanteurs et un rôle muet), un effectif musical réduit (un quatuor à cordes) et se rattachant du point de vue dramatique à la commedia dell' arte. Le langage employé, écrit ou musical, se démarquait de la langue savante de l'opéra seria par sa simplicité, simplicité qui ne veut pas dire facilité. Dans le cas de la serva padrona, le livret de Gennaro Antonio Federico est écrit en vers de bonne facture, et fait preuve d'une recherche sur les sons par l'emploi de jeux de mots et d'onomatopées (Stizzoso, mio stizzoso, ou encore : con te si sta, e qua e là, e su e giu, e si e no ! Ah ? Che ? No ? Eh ? Ma ? ? ne reconnaît-on pas là l'ancêtre de la basse-bouffe ?).

Le discours musical quant à lui respecte l'alternance récitatif-aria, quatre des cinq airs et les deux duos étant da capo. Un seul des récitatifs est accompagné, au moment crucial où Uberto prend conscience de son amour pour Serpina. Les autres sont presque plus des parties récitées que des parties chantées, avec un soutien rarissime du quatuor à corde.

Les chanteurs de l ëépoque de la création n'étaient pas des virtuoses du bel canto, mais des chanteurs-acteurs. La présente réédition d'un enregistrement de 1960 nous donne le bonheur d'entendre deux interprètes qui sont aussi bons chanteurs qu'acteurs, pour une version quasi-parfaite de l'ouvrage. Sesto Bruscantini, technicien hors pair et nature comique affirmée, est impayable dans le rôle du barbon. Comme à son habitude, il ne force pas le trait, privilégiant toujours la musique. Serpina convient bien à Renata Scotto, son timbre léger, sa vivacité s'exprimant avec bonheur. La légèreté de la direction de Renato Fasano fait le reste, nous nous envolons pour 41 minutes de joie et de fraîcheur.

Le comique des situations échappe probablement aux auditeurs contemporains, mais est-ce le talent de Pergolèse, est-ce celui des interprètes, est-ce la combinaison des deux ? on dirait qu'il passe comme un souffle gracieux, comme un voile pudique sur l'oeuvre. Uberto et Serpina ne sont-ils pas amoureux, sans se l'avouer, depuis le début ? leurs intrigues ne sont-elles qu'un mouvement de recul devant des sentiments interdits puisqu'ils appartiennent à des classes sociales différentes ? ne laissent-ils pas finalement parler leur amour réciproque ?

Ce long chemin de maturation des sentiments, à peine devinable chez Pergolèse, nourrira plus tard le théâtre de Mozart.
 
 
  


Catherine Scholler
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]