Gabriel Pierné
(1863-1937)
Sophie Arnould,
opéra en un acte sur un poème de Gabriel Nigond (1926)
Ballet de cour (1901-1904)
Sophie Marin-Degor,
soprano (Sophie Arnould)
Jean-Sébastien Bou, baryton (Dorval, comte de Lauraguais)
Doris Lamprecht, mezzo-soprano (Babet)
Orchestre
Philharmonique du Luxembourg
Direction Nicolas Chalvin
1 CD Timpani (1c1124)
Les cochons trouvent bien les truffes
Sophie Arnould était
la Callas du dix-huitième siècle. On lui prêta des bons mots, des
amants, une vie tumultueuse ; elle nous offrit de grandes créations,
dont Iphigénie en Aulide ne fut pas la moindre. Artiste
écorchée-vive au mode de vie incandescent, son heure de gloire passa
vite et la Terreur emporta jusqu’à son souvenir. On la retrouve ici
au crépuscule de sa courte vie, exilée dans un pavillon de banlieue
où elle écrit une lettre à son enfant sans le sou. Ce livret serait
l’occasion de grandes réjouissances pour Christoph Marthaler.
Pierné et l’oubli
Gabriel Pierné a plus
ou moins disparu de la surface du globe et des encyclopédies qui
l’habitent, il fut pourtant le compositeur de nombreuses œuvres
estimables et plus particulièrement d’une Concertstück pour harpe
parfaitement délicieux. Le booklet du présent enregistrement nous
rappelle qu’il fut un homme de grande importance en son temps et
d’une prolixité exemplaire. Stéphane Topakian, directeur du label
Timpani nous a d’ailleurs gratifiés d’une intégrale de sa musique de
chambre qui vaut franchement le détour. Toujours est-il que ses
pièces font rarement l’attraction des salles de concert et en
attendant que Bartoli lui consacre, peut-être, un jour, un récital,
il est à craindre que le souvenir de Pierné ne se dépare pas de son
relatif anonymat.
Prima le parole ?
Sophie Arnould,
opéra en un acte créé en 1927 à l’Opéra Comique souffre d’un grave
problème, d’un problème insoluble. Son livret -véritable anthologie
du vers de mirliton, forme de manifeste du petit maître rimeur- est
tout simplement indigent. Voyez la pauvre Sophie, délaissée par ses
amis - croupissant, flétrie mais superbe - dans sa grande solitude,
abandonnée de tous en son prieuré, tout juste sauvée de la
neurasthénie par une femme de chambre bavarde dont on devine
l’haleine chargée de vin. La voilà qui écrit une lettre à son fils,
âgé de vingt ans, la voilà qui ressasse ses souvenirs de culbute
« ah le Marquis de Machinchose, ah le Duc de
Vousm’enr’mettrezbienunp’titcoup, ah ce cher Dorval, comme il avait
le minois plaisant » et voilà que justement, ce même Dorval, dont on
n’avait plus entendu parler depuis des lustres, le voilà donc, tout
penaud, dans l’antichambre de notre Ariane des lumières à faire le
joli cœur. Alors que n’importe quelle maîtresse délaissée lui aurait
garni le fessier d’une décharge de chevrotine, voilà notre pauvre
Sophie qui se met à roucouler et ensemble, ils jasent. Puis ils font
de la musique. Puis elle lui dit que son fils est son fils, enfin,
son fils à lui. Puis ils vont se coucher, mais chacun dans leur
chambre. Puis Sophie est triste car elle sait que le lendemain il
repartira et qu’elle restera seule, en sa retraite, à rapiécer les
chaussettes du jardinier. Encore, si tout cela était bien écrit,
combien pourrait-être admirable sa mélancolie, combien cette femme,
seule, triste, à deux pas du grand gouffre nous parlerait-elle. Que
voulez vous faire d’octosyllabes de ce genre :
Plus enragé qu’un
sans-culotte !
Eh ! Je suis bonne patriote
Et encore :
Je suis fière de ses
lauriers ;
J’ai toujours aimé les guerriers !
Et encore :
Tyran ? Ne jouez pas
l’ingrate
Envers ce temps-là qui, ma foi,
Valait bien votre république !
Qui commande aujourd’hui ? La clique !
Voilà pour les trois
premières pages de la pièce qui, jusqu’au bout, nous offrira maintes
occasions de nous tâter le côté. On a peine à imaginer que l’œuvre
de Monsieur Gabriel Nigond ait pu inspirer quoi que ce soit à
Gabriel Pierné. Les voies des créateurs sont impénétrables.
Prima la musica
Redescendons un
instant sur terre : la musique de Gabriel Pierné est délicieuse.
Elle illustre cette courte conversation musicale avec beaucoup
d’esprit. Le travail d’orchestration est passionnant et, en
opposition au delirium tremens orchestral d’un Ravel, illustre fort
pertinemment l’apport de l’école Française à l’art d’orchestrer au
vingtième siècle. Lisez le livret puis écoutez la musique, elle
recouvrira votre courroux d’un baume apaisant, preuve que le talent
d’un compositeur peut faire oublier la nullité d’un dramaturge
(hélas, l’inverse est rarement démontré).
On reconnaît en
Nicolas Chalvin un parfait artisan du son, un façonneur d’orchestre
qui tire de sa phalange le meilleur d’elle-même. Cet Orchestre
Philharmonique du Luxembourg a d’ailleurs un mérite rare ; celui de
talonner systématiquement le talent du chef qui préside à ses
destinées. Mettez-le face à Emmanuel Krivine ou face à Alexandre
Rabinovitch et, instantanément, le public baille, bave et s’endort.
Placez-le face à un Chalvin et voyez comme tout prend vie ! Sophie
Marin-Degor a la tâche difficile de rendre vie à un personnage qui,
rappelons-le, fut l’une des plus grandes cantatrices de son temps.
Elle en a certainement la grandeur et l’aplomb, peut-être lui
manque-t-il un soupçon de moelleux dans le timbre. Jean-Sébastien
Bou, quant à lui, est excellent comme à son habitude.
Voilà qui ne
réhabilitera pas le pauvre Pierné mais qui devrait ravir les
mélomanes curieux de découvertes.
Hélène MANTE
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