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RECITAL
Nina STEMME, soprano

1. Richard Wagner (1813-1883)
Wesendonck Lieder (1857-58)
(Cinq poèmes de Mathilde Wesendonck)
Der Engel - Stehe Still 
Im Treibhaus - Schmerzen - Traüme

2. Gösta Nystroem (1890-1966)
Sanger vid havet (Chants de la mer)
Ute i skären - Nocturne - Havets visa 
Jag harr ett hem vid havet - Jäg väntar mänen

3. August de Boeck (1865-1937)
Sept mélodies sur des poèmes de Jeanne Cuisinier (1912-1915)
Eté - Sonnet - Mystère
Eclosion - Fidélité
Le don - Elégie

Nina Stemme, soprano 
Jozef De Beenhouwer, piano

1 CD Phraedra N° 92040
de la collection "In Flanders' Fields"
Vol. 40. Durée : 65'03


LA PASSION DE JEANNE

Le principal intérêt de ce disque réside en cet ensemble de mélodies composées par le musicien belge August de Boeck sur de très beaux poèmes écrits à l'âge de vingt ans par Jeanne Cuisinier, anthropologue de renom, belge également, qui passera une grande partie de sa vie en Indochine et en Indonésie. Ces textes d'une sensualité passionnée et d'un raffinement un peu décadent, auraient été écrits à la suite d'un grand amour déçu. Quant à la musique de ce grand admirateur de Rimsky Korsakov, élève de Paul Gilson et auteur d'oeuvres nombreuses, dont cinq opéras, elle évoque irrésistiblement Chausson et Debussy. Le tout donne une série de petits joyaux passionnants et un peu mystérieux, dont l'écoute laisse une étrange sensation de nostalgie. Assurément, on aimerait désormais entendre ces pages plus fréquemment.

Gösta Nystroem est sans doute assez peu connu hors de Scandinavie, mais dans les terres nordiques, il bénéficie d'ores et déjà d'une discographie non négligeable. Nombre de ses mélodies ont été enregistrées par Elisabeth Söderström (Sinfonia del Mare), Birgit Finnilä (Sänger vid havet, Musica Svecia), Miah Persson, Anne-Sofie von Otter, Charlotte Hellekant (Sinfonia del Mare, Sänger vid havet). Il existe, par ailleurs, sous le label "Intimmusik", un disque commémoratif (1990) enregistré pour son centenaire par Gunvor Nilsson, mezzo-soprano, accompagnée d'Erik Risberg au piano et, chez Bis, un disque réunissant déjà les Wesendonck Lieder et Chants de la mer, complétés cette fois par les Sea Pictures d'Elgar, enregistrés par la mezzo-soprano Rosemarie Lang avec l'Orchestre philharmonique d'Helsinborg, dirigé par Hans-Peter Franck. (1991).

Enfin, les Wesendonck Lieder, considérés à juste titre comme un des sommets de l'art vocal, n'ont jamais cessé d'être interprétés au concert et enregistrés, comme en témoigne le dernier CD de Stephanie Blythe.

Contrairement à nombre de ses consoeurs, la soprano suédoise Nina Stemme a déjà participé à plusieurs enregistrements : Le Vaisseau Fantôme, Der König Kandaules de Zemlinski (on annonce pour bientôt Tristan et Isolde), avant de graver ce récital. En outre, elle bénéficie d'une réputation plutôt flatteuse qui tient à ses prestations scéniques, encensées par la critique : son Isolde de Glyndebourne (juillet 2003) et celle de Stockholm(mars 2004), mais aussi sa Maréchale de Zürich (juillet 2004).

Oui mais voilà, un programme original, même s'il retient l'attention, ne peut pas constituer tout l'intérêt d'un enregistrement et, malgré le concert d'éloges qui semble avoir accueilli celui-ci, vous permettrez à l'auteur de ces lignes d'être infiniment plus réservée quant au résultat final.

N'oublions pas que le lied et la mélodie accompagnés au piano peuvent, s'ils flattent souvent des voix plus modestes, mais précises, se révéler plutôt meurtriers pour des organes larges et moins ductiles.

On peut tout d'abord s'étonner du fait que, réputée pour posséder une "grande voix", Stemme ait enregistré ces mélodies avec un accompagnement de piano. "Qui peut le plus peut le moins", me répondrez-vous. Certes, mais n'est pas Jessye Norman qui veut. Et ce choix, qui appelait de notre part des remarques similaires pour le dernier CD de Stéphanie Blythe (aux moyens pourtant impressionnants), présentant déjà les Wesendonck Lieder, mais avec un orchestre de chambre, peut se révéler lourd de conséquences. Accompagnée au piano seul, la voix est nue : tous les défauts s'entendent et, dans ces conditions, certaines qualités mises en valeur par la puissance et la largeur de la voix peuvent se retrouver neutralisées. Ici, c'est hélas le cas, et celle de Nina Stemme, affectée d'un vibrato prononcé et plutôt suspect, surtout à ce stade de sa carrière, en fait les frais.

Serait-on déjà face à une de ces voix trop montées en graine, poussées très rapidement vers un registre large abordé trop tôt ? Autant qu'il nous en souvienne, sa prestation au Théâtre de la Monnaie (mars 2001) en Tatiana d'Eugène Onéguine dans une mise en scène pour le moins discutable de Christophe Loy ne nous avait pas semblé inoubliable, tant sur le plan de l'interprétation que de l'ampleur de la voix. Or, en trois ans, cette Tatiana honorable, sans être transcendante, serait devenue une Isolde "historique" ? Ne conviendrait-il pas en ces temps incertains où l'on fait aborder le répertoire wagnérien à des chanteuses nettement plus à l'aise dans la musique baroque (nous ne citerons personne, les intéressées se reconnaîtront), de revenir à un peu plus de raison et de reconnaître qu'il y a là pour le moins une sérieuse erreur d'aiguillage ?

Ce postulat une fois posé, il faut bien avouer que nous ne sommes face ni à des Wesendonck Lieder historiques (voir Flagstad, Varnay, Norman et autres) ni à des Chants de la Mer inoubliables. Södeström, qui n'a hélas pas gravé ces derniers, mais la Sinfonia del Mare nous avait donné de la musique de Nystroem une lecture infiniment plus enivrante que ce que nous entendons ici.

Quant aux mélodies d'August de Boeck, nous manquons de références et, de ce fait, serions tentés d'écrire que c'est la partie du disque qui nous a semblé la plus agréable. Du moins pouvons-nous accorder à Stemme, incontestablement musicienne et femme de goût, une certaine gratitude pour nous avoir fait découvrir ces petits bijoux. Mais encore une fois, son émission pâteuse, constamment élargie, n'aide pas toujours à la compréhension du texte et n'en met pas assez en valeur les subtilités aussi bien musicales que littéraires.

A la décharge de la cantatrice, il faut bien reconnaître qu'elle n'est guère aidée par son accompagnateur, dont le jeu peu nuancé, presque constamment martelé, souligne ses défauts plus qu'il ne les gomme... Privée de la matière chatoyante de l'orchestre, l'artiste semble s'essouffler et se perdre.

Il est donc regrettable que pour son premier récital au disque, la soprano suédoise n'ait pas pu enregistrer ces oeuvres avec un accompagnement orchestral (les mélodies de Boeck ont été harmonisées par le compositeur lui-même), ce qui lui aurait certainement permis de s'épanouir dans ce répertoire.

Il reste à attendre la suite, et en particulier, l'enregistrement de son Isolde, tant attendu.
  


Juliette BUCH




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