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Nina Stemme, soprano
Oeuvres de Richard Strauss (1864-1949)
Salomé, scène finale
Capriccio, scène finale
Vier letzte lieder
Antonio Pappano (chef d’orchestre)
Orchestre de l’Opéra Royal de Covent Garden
Emi
Une voix pour Strauss
Grand soprano suédois taillé dans le roc, capable de
braver les tempêtes et de fixer de son regard d’acier les
pâles matins d’hiver, Nina Stemme signe son premier
récital pour sa maison de disque Emi. Après une
remarquable et médiatique intégrale de Tristan und Isolde
avec Placido Domingo (2006), nous attendions avec impatience de
retrouver la cantatrice accompagnée une nouvelle fois par
Antonio Pappano.
Avec ce programme, certes classique, dédié à
Richard Strauss, mais rarement défendu par une même
artiste - à l’exception de Julia Varady - Nina Stemme
place la barre très haut. Elle qui sait affronter Wagner de par
son inflexible endurance physique, Verdi, grâce à la
souplesse de ses phrasés, ou Janacek en déployant son
intense projection, semble avoir trouvé en Strauss son juste
foyer vocal. L’entendre se métamorphoser en princesse de
Judée, après la Maréchale et Ariadne
abordées à la scène, tient de l’exploit, car
l’instrument de Nina Stemme est large, son flux abondant et sa
ligne pénétrante, toujours prête à
s’embraser.
Or, la voix de « sa » Salomé impressionne
aussi bien par le volume qu’elle dispense pour dominer la masse
orchestrale, que par l’aspect acéré et sinueux
qu’elle lui confère. Capable d’alléger son
puissant organe pour dérouler le texte avec la
précipitation d’une adolescente véhémente et
avide (comme Ljuba Wellitsch naguère, puis Hildegard Behrens),
Stemme lance des aigus aussi tranchants que ceux de Birgit Nilson et
accomplit une prouesse que Varady elle-même, engagée mais
trop compacte de timbre, n’avait pas réussi à
atteindre ; la délectation avec laquelle elle sombre
littéralement sur la phrase « Ach ich habe ihn
geküsst » est tout simplement remarquable.
Avec Capriccio, Stemme
démontre que l’on peut camper une Lolita
dépravée et une Comtesse troublée par le seul fait
de devoir opter pour la primauté de la parole sur celle de la
musique. Quelle douceur de timbre pour décrire cet état
d’excitation et d’indécision ; quelle
pâte et quelle ductilité vocales pour exprimer le
désarroi et la futilité de cette femme qui cherche la
clé de son destin face à son miroir ; quelle
réserve, quelle pudeur, quelle féminité aussi et
quel coffre enfin, pour venir à bout de cet arc musical tendu
par un Strauss toujours prêt à pousser plus loin les
limites de ses interprètes. Après Felicity Lott et
Renée Fleming, voici une rayonnante Madeleine moderne.
Les Quatre dernier lieder sont
une autre affaire. Difficile en effet d’entrer en
compétition avec tant de références
écrasantes (Elisabeth Schwarzkopf en tête, par deux fois
au catalogue, sans compter le live de 1956 avec Karajan, mais
également Lisa Della Casa ou Jessye Normann). La relation de
confiance instaurée entre Pappano et Stemme est cependant
frappante. Le chef offre, à son artiste, un luxueux tapis
orchestral où scintillent les derniers feux du couchant et
où les âmes frissonnent, sur lequel sa voix ample et
chaude se pose avec une douceur infinie. Crépusculaire
dès les premières notes, Stemme évoque tout
d’abord Kirsten Flagstad, créatrice de ce cycle en 1950,
avant de s’élever radieusement vers l’aigu, sans
jamais compromettre l’unité des registres ni la
liquidité de la déclamation. On admire ce large ambitus,
cette longueur de souffle, cette assise dans le bas medium qui ne
l’oblige pas à poitriner et cette manière de se
laisser porter par la vision mélancolique et prenante de
Pappano. Le timbre, économe dans ses colorations (la palette
schwarkopfienne n’a pas d’équivalent), mais
d’une beauté pure et calme, la prononciation parfois trop
accentuée (« Im Abendrot ») et quelques
attaques un peu floues (« Beim Schlafengehen »),
ne compromettent pour autant à aucun moment le plaisir
procuré par cette interprétation forte et sereine,
partagée par deux musiciens exemplaires et inspirés, qui
respirent cette musique à l’unisson. Un disque qui fera
date.
François LESUEUR
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