C  R  I  T  I  Q  U  E  S
 
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Songs from the Labyrinth

1. Walsingham
2. Can she excuse my wrongs
3. “Ryght honourable...”
4. Flow my tears
5. Have you seen the bright lily grow
6. “…Then in time passing on…”
7. The Battle Galliard
8. The lowest trees have tops
9. “… And accordinge as I desired ther cam a letter…”
10. Fine knacks for ladies
11. “… From thec I went to the Landgrave of Hessen…”
12. Fantasy
13. Come, heavy sleep
14. Forlorn Hope Fancy
15. “And from thence I had great desire to see Italy…”
16. Come again
17. Wilt thou unkind thus reave me
18. “After my departure I called to mynde…”
19. Weep you no more, sad fountains
20. My Lord Willoughby’s Welcome Home
21. Clear or cloudy
22. “… men say the King of Spain…”
23. In darkness let me dwell

Sting, voix et archiluth
Edin Karamazov, luth
Enregistré en 2006 – 48’41

DEUTSCH GRAMMOPHON 06025 170 3139


Dowland révélé par une rock star


Rassurons d’emblée celles et ceux à qui le crossover façon Dombasle, Lotti, Pagny ou Bocelli donne des boutons. Sting ne se prend pas pour ce qu’il n’a jamais été : un chanteur classique. Ce disque n’est ni un caprice de star ni un pur produit de marketing. Il y aura bientôt un quart de siècle que l’ex-leader de Police a découvert Dowland. L’acteur John Bird, la pianiste Katia Labèque, le guitariste Dominic Miller et, last but not least, le luthiste Edin Karamoz : autant de rencontres décisives à la faveur desquelles s’est développé son goût pour le maître élisabéthain comme le raconte en détail la belle notice consacrée à la genèse de cet album. Cet album étonnant, Sting l’a conçu comme une évocation à la fois de l’œuvre et de la vie du compositeur, marginale et précaire tant sa conversion au catholicisme le fragilisait en ces temps sombres de conspirations et d’exécutions sommaires: le récital, composé d’airs pour voix et d’autres pour luth, est ainsi ponctué d’extraits d’une lettre de Dowland à Sir Robert Cecil, Secrétaire d’Etat et confident de la reine Elisabeth, dans laquelle le compositeur exprime sa loyauté envers la souveraine et révèle «  que le roi d’Espagne fait de grands préparatifs pour envahir l’Angleterre l’été prochain ». Ces plages de lecture font l’objet d’une mise en scène, comme jadis les pièces radiophoniques, Sting n’hésitant pas à jouer de l’archiluth (le sien, cadeau de Dominic Miller), comme dans «  My Lord Willoughby’s Welcome Home », qu’il donne dans sa version pour duo avec Edin Karamazov.

De toute évidence, le Bosniaque est beaucoup plus qu’un simple accompagnateur : c’est un partenaire et un mentor, le coauteur aussi des arrangements. Ces derniers sont d’un goût irréprochable, parfois audacieux mais toujours fidèles à l’esprit des œuvres, la technique moderne autorisant une fantaisie qui fleure bon le rock symphonique, comme le dédoublement de la voix dans « Can she excuse my wrongs », où Sting devient son propre chœur, en falsetto – clin d’œil aux contre-ténors dont il s’approprie le répertoire d’élection ? Karamazov n’est pas en reste, qui ne craint pas notamment de violenter son instrument pour en tirer les sonorités les plus expressives (« Forlorn Hope Fancy»).

Il faut renoncer à tout hédonisme vocal pour aborder cet enregistrement singulier : court de souffle et d’aigus, voilé, le ténor plutôt fruste du chanteur décevra dans un « Flow my tears » marqué par des références légendaires ; mais ailleurs, ce timbre éminemment personnel, cette émission précisément naturelle, pour ne pas dire ordinaire, servent une approche viscérale et incroyablement juste de l’univers de Dowland qui ne se résume pas au spleen dans lequel se complaisent bien des interprètes du cénacle « baroque ». La mélancolie indéniable de sa musique cède parfois la place à l’ironie, à la légèreté, à des sentiments bruts comme la peur ou la colère, autant d’affects que Sting restitue avec un naturel désarmant : écoutez-le tutoyer la mort (« In darkness let me dwell »), les mots dévoilent leur saveur, la phrase retrouve son rythme, son élan irrésistible («  Fine knacks for ladies », « Come again ») et l’on en viendrait presque à croire que le songwriter chante ses compositions, tant elles nous parlent directement – en particulier «  Have you seen the bright lily grow », la seule pièce qui ne soit pas de Dowland, mais de Robert Johnson, dont Sting libère le pouvoir d’émotion avec une sobriété et une délicatesse bouleversante comme peuvent l’être les larmes d’un héros.

Et si la beauté intrinsèque du chant d’un Deller nous avait un peu détourné de l’essentiel : du texte, de Dowland ? A contrario, la musicalité de Sting est mise à nu : il ne peut se réfugier derrière la plastique de son ténor « inculte » comme il le nomme lui-même ou des artifices vocaux (ces pianissimi éthérés dont Deller avait le secret et qui ravissaient son auditoire), seule compte la justesse de l’expression. S’il ne comprend pas et ne vit pas ce qu’il chante, la platitude et le ridicule peuvent l’emporter plus sûrement qu’un contre-ut, raté, chez une star du belcanto. Or, il ressent et comprend peut-être mieux cette musique que bien des interprètes issus du sérail. Elle jaillit du fond des âges avec une fraîcheur inédite et portée par un artiste populaire, au sens noble du terme, elle pourrait même séduire de nouveaux publics. Ceux qui ont entendu Jeff Buckley reprendre le lamento de Didon au Meltdown Festival, savent que les cloisons entre les genres s’effacent devant un musicien véritable, pour peu qu’il ait quelque chose à dire. On se prend à rêver que d’autres franchissent le pas et qu’un Damien Rice, par exemple, ce merveilleux barde irlandais à la sensibilité exacerbée, s’empare de «  Weep no more, sad fountains »...



                                    Bernard SCHREUDERS
 
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