Marc-Antoine CHARPENTIER
(ca. 1643-1704)
TE DEUM H.146
GRAND OFFICE DES MORTS
(reconstitution John S. Powell)
Olga Pitarch : dessus
Orlanda Velez Isidro : dessus
Paul Agnew : haute-contre
Jeffrey Thompson : taille
Topi Lehtipuu : taille
Marc Mauillon : taille
Bertrand Bontoux : basse
João Fernandes : basse
LES ARTS FLORISSANTS
William Christie
1 CD Virgin Classics, 7243 5 45733
2 3
Sic transit gloria Christie
Non, non et non ! Le temps joue parfois de drôles de tours aux
chefs et à leurs adulateurs (parmi lesquels se compte votre serviteur)
! Est-ce le souvenir doré, enflammé du précédent
Te Deum de "Bill" qui rend celui-ci si terne, si tristement décevant
? Faut-il seulement consentir à en parler, à scruter cliniquement
les symptômes de la décomposition du système "Arts
flo" ?
Oh la ! Il n'y a naturellement là rien de très objectivement
condamnable, de vraiment déshonorant. Mais que tout cela est froid
pourtant, et pompeux, et grandiloquent ! Que la percussion paraît
grasse et les cuivres sans panache, trop rigoureusement tenus (ce qui n'empêche
pourtant pas le léger décalage de l'attaque de la plage 5...
live oblige) ! Que la rythmique aussi est prévisible, que les trilles
sont raides et appuyés!
Christie a choisi l'option de la recréation cérémonielle
(pour le Te Deum comme pour le Grand Office des Morts)...
Soit ! Est-ce ainsi cependant que le chef conçoit le Grand Siècle
de Louis XIV ? On le connaît assez pour savoir que non ! Car la sclérose
gagne ici un propos corseté, maniéré (au chant surtout
et celui de Paul Agnew, maître d'un ambitus aussi fade que suave,
servira ici de mètre-étalon), sans exultation ni brillant.
On s'ennuie finalement beaucoup, on s'agite sur son fauteuil, l'esprit
vagabond et l'on se surprend même à feuilleter fébrilement
la notice pour vérifier combien de plages restent à écouter...
On retrouve peut-être plus le Christie que l'on aime (et donc
Charpentier de même) pour un Grand Office des Morts qui se
veut à la pointe de la recherche musicologique. On y entend de fort
belles choses, des bois succulents (Liber scriptus, plage 20), un
beau souffle, des cuivres rudes pour un Dies irae et un Tuba
mirum réellement prenants (plages 17 & 18). La rythmique
paraît par ailleurs plus affûtée, plus surprenante aussi
que précédemment (plage 20 encore), mais l'on peine tout
de même toujours à se détacher d'une impression latente
de gêne face à une lecture qui reste compassée, presque
poussive (Pie Jesu, plage 24). Il manque à cette version
le flux tendu, l'humanité profonde, douloureuse, éprouvante
même, que savait mettre Corboz dans la Messe pour les trépassés
(Erato).
On parlait plus haut d'un chant maniéré. Christie a cueilli
ici (Agnew mis à part) une brassée des plus fins bourgeons
de son Jardin des voix. On ne pourra reprocher ici à aucun des artistes
en présence son manque de professionnalisme... mais Olga Pitarch,
par exemple, joliment timbrée mais grêle aussi, ne parviendra
jamais dans ses prestations à effacer le souvenir d'une précédente
débutante, Véronique Gens, irradiante et irradiée
avec le même chef (Te ergo quaesumus, plage 9). Les basses
paraîtront par ailleurs bien engorgées, prosaïques (et
l'on sait depuis une Poppée
lyonnaise, que João Fernandes vaut mieux que cela). Tout le monde
est généralement très attaché à ouvrager
finement le polyphonisme de sa partie (et l'on reconnaît bien là
la patte du chef) ; mais une fois encore ce sentiment de travail impeccablement
léché, de bel ouvrage semble tenir lieu de fin en soi à
une vision qui, finalement, tourne en rond.
C'est peut-être au choeur que l'on devra les vrais grands moments
de ces quatre-vingt minutes de musique. C'est de lui qu'exsudera le plus
d'esprit, le souffle le plus vivace, le plus attachant. On glanera même
de son côté d'étonnants instants suspendus, doloristes
(ce seront les plus beaux, car là encore, le Te Deum semblera
définitivement en retrait, plat, insipide). Cela donnera un Miseremini
poignant (plage 26), dense, à la fois puissant et dépouillé.
Jordi Savall disait récemment que "les musiques de Charpentier
prennent durablement possession de notre âme". C'est à cela
que l'on prend tristement conscience que William Christie a échoué
dans ce nouvel opus. Minkowski, Gester, Niquet et d'autres ont signé
des enregistrements majeurs, fixé des standards interprétatifs
variés sans lesquels le mélomane ne peut plus compter aujourd'hui.
Christie a par ailleurs donné, déjà, une version magique
du Te Deum devant laquelle il semble condamné à s'incliner
lui-même. Tant pis !
Benoît BERGER
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