Giacomo
Puccini
Tosca
Angela Gheorghiu, Floria Tosca
Roberto Alagna, Mario Cavaradossi
Ruggero Raimondi, Il barone Scarpia
Antonio Pappano, direction
Chorus and Orchestra of the Royal Opera House, Covent Garden
2 CD EMI
Pour un artiste lyrique, Tosca est sûrement
l'oeuvre la plus attrayante parmi les opéras de Puccini : trois
rôles dramatiquement fascinants et extrêmement équilibrés
les uns par rapport aux autres, une action très ramassée
et d'une efficacité redoutable et des références discographiques
qu'on a fatalement envie d'affronter. Ce n'est donc pas étonnant
que le couple le plus glamour du paysage lyrique mondial se jette sur la
pièce, avec en plus un film à la clef. On peut être
agacé par ce tic commercial du couple Alagna : enregistrer tous
les grands couples du répertoire, même si l'un des deux époux
n'a pas la vocalité adaptée au rôle (cf. Werther !!!!).
Mais là, justement, rangeons vite nos plumes vitriolées car
les deux rôles semblent avoir été écrits pour
Mr et Mme.
On pouvait prévoir la réussite de Roberto Alagna en Cavaradossi,
le ténor français ne s'est d'ailleurs que rarement fourvoyé
dans des rôles inadaptés, mais dès la première
écoute on est étonné par les changements techniques
sur sa voix. On avait pu remarquer, depuis son récital d'airs français
chez le même éditeur, un assombrissement du haut médium.
Cette partie de la tessiture était, du temps de ses Nemorino ou
autre Hoffmann, très brillante, quasi juvénile. Dans le récital
EMI on pressentait déjà ce tournant (avec d'ailleurs quelques
moments encore un peu fragiles) mais aujourd'hui ce changement est pleinement
assumé : le médium toujours aussi clair et bien projeté
prépare un haut médium ample et sombre ; ce choix technique
n'affecte absolument pas l'aigu toujours insolent (et même mieux
assis) de l'artiste. Sa prestation y gagne en lyrisme, son Cavaradossi,
viril et volontaire, fascine à chacune de ses interventions. De
plus Alagna nous gratifie de beaux diminuendo dans l'aigu, d'une solidité
sans faille.
La très bonne surprise de cette version est que la prestation
de Mme est de la même qualité. Tous les reproches que l'on
pouvait faire à Gheorghiu dans les intégrales précédentes
(bas médium engorgé, extrême aigu tiré, articulation
molle) n'ont pas lieu d'être ici : la voix est lumineuse, les aigus
puissants et clairs, le legato et la tenue de souffle impressionnants.
De plus la vibration naturelle de l'artiste convient parfaitement au caractère
enflammé de Tosca. Seul petit bémol, la tierce grave (ou
l'artiste n'a jamais été très à l'aise, ce
qui ne présage rien de bon pour sa prochaine Carmen) est abordée
quasi-parlando dans tous les passages un peu lyriques (c'est flagrant dans
la confrontation avec Scarpia) ; mais ce petit manque est masqué
avec classe.
En tout cas, ce couple sonne juste et jeune, ce qui est appréciable
pour l'efficacité dramatique. Les deux duos (Acte II et III) font
partie des plus beaux moments du disque, et on les a rarement entendus
aussi bien chantés.
Eternel compère des "projets Alagna", Antonio Pappano donne ici
une très belle lecture de l'opéra, très équilibrée,
énergique et souple. On connaît son souci des chanteurs et
il est perceptible tout le long de l'oeuvre mais le début du dernier
acte nous permet aussi d'apprécier les talents de coloriste de ce
chef : rarement aube au Château Saint Ange n'aura paru si belle et
intime. Là encore nous sommes devant une bonne version ; on a fait
mieux et depuis longtemps (mais aussi bien pire !!) mais ne gâchons
pas notre plaisir d'écouter un aussi bel accompagnement.
Aucun des seconds plans ne démérite et accordons un accessit
au sacristain aviné et couard d'Enrico Fissore.
Il est toujours douloureux de critiquer la prestation d'un grand artiste
qui nous a fait vibrer tant de fois, mais avouons que le seul point noir
de ce disque, c'est bien le Scarpia de Raimondi. On peut comprendre que
le physique du baryton ait séduit Benoit Jacquot : qui peut aujourd'hui
mieux incarner Scarpia scéniquement que Raimondi ? Mais pour sa
troisième prestation au disque dans ce rôle, le beau Ruggero
n'est que l'ombre de lui-même : le timbre est en charpie, le médium
artificiellement grossi pour trouver un peu d'assise, l'aigu soit crié,
soit blanchi et je ne parle pas du legato inexistant ... Reste la noirceur
du personnage et le talent du musicien, mais nulle part dans le livret
il n'est dit que Scarpia doit être vieux et fatigué ! Au contraire
la noirceur n'est qu'une des composantes du personnage du baron, l'autre
est une séduction quasi animale, et ça, Raimondi en est malheureusement
incapable aujourd'hui.
Pour conclure, une version tout à fait recommandable, qui ne
détrône pas les Callas, Price, Freni et Scotto mais qui se
classe parmi les très bonnes versions modernes.
Jean Christophe Henry
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