Giacomo Puccini
TOSCA
Floria Tosca : Galina Vichnievskaïa
Mario Cavaradossi : Franco Bonisolli
Baron Scarpia : Matteo Manuguerra
Cesare Angelotti : Antonio Zerbini
Spoletta : Mario Guggia
Un Sacristain : Guido Mazzini
Sciaronne : Domenico Versaci
Medici
Un Geôlier : Giacomo Bertasi
Les Choeurs de Radio France
La Maîtrise de Radio
France
Orchestre National de France
Mstislav Rostropovitch
2 CD Deutsche Grammophon, 00289
477 5599
L'agaçante
Tosca que voici ! Agaçante ? Certes
oui et plus encore... Et pourquoi cette impression tenace à l'écoute
de cette réédition que l'on n'attendait pas ? Parce qu'il
y a là au moins trois prestations qui déçoivent des
espoirs longuement caressés !
Il faudra commencer ici par le catastrophique Mario de Franco Bonisolli
! Il y a pourtant bien du déchirement à le faire car l'artiste
méritait sans doute mieux... Mais on lui en veut tant de gâcher
ainsi un des plus beaux timbres de la confrontation. A-t-on souvent entendu
en effet de Mario si crânement mal, si viril, si vibrant ? L'organe
est superbe, chaud, rond, barytonnant sans que la moirure paraisse jamais
forcée ! Le ténor peine pourtant continuellement à
sortir le son, en quête permanente de naturel, l'intonation n'est
pas toujours irréprochable, ni non plus la ligne. Mais ses "vittoria"
émis d'un coup de menton ne seront que pêché véniel
en regard d'un "E lucevan le stelle" simplement lamentable. C'est là
le plus pitoyable festival de coups de glotte, de sanglots, de ports de
voix que l'on ait sans doute fixé dans le rôle, et à
lui seul il pénalise de manière presque rédhibitoire
l'intégrale.
Aux côtés de ce Mario-ci, Tosca paraîtra souvent
bien seule, et bien univoquement chantante et chanteuse le temps de ses
deux grands duos ! Evitera-t-on pour autant la déception quand la
mémoire fourmille de références que l'on se permettra
de ne pas rappeler ? Pas totalement sans doute et pour de multiples raisons
! Retrouver Vichnievskaïa en Floria, c'est évidemment une sorte
d'événement et le gage d'un voyage particulier au sein d'une
partition forcément bien connue. De ce point de vue là, il
y aura beaucoup à glaner dans cette interprétation fièrement
féminine, grouillante, bouillonnante, passionnée autant que
déchirée. Mais le timbre ne convainc pas, n'en déplaise
à certains. C'est évidemment affaire de goût et sur
cette question, nous n'ergoterons pas. Mais fût-il le plus insigne
du monde, ce timbre-ci est mis bien à mal par une tessiture dans
laquelle LA Vichnievskaïa ne semble jamais vraiment à l'aise.
Le temps de l'acmé vocal de la dame est déjà passé
à ce moment de sa carrière. Il y aura bien des cris ici,
des stridences aussi souvent, un grave généralement insuffisant
et même une certaine instabilité face à Scarpia et,
par deux fois, aux actes I et II. La ligne elle-même, on s'en doute
(et sans mauvais jeu de mots), est peu orthodoxe, sans doute pas rompue
aux mécanismes particuliers de la phonation italienne. Mais de beaux
moments, de vraies illuminations, des éclairs de lyrisme furieux
nous dédommageront quand même de cet arrière-goût
poisseux de rendez-vous (partiellement) manqué : une prière
d'abord, magnifique, puissante, prise à bras-le-corps; un parlando
aussi absolument gigantesque, qui pour le célèbre "bacio
di Tosca" cloue l'auditeur à son fauteuil.
Avec Rostropovitch, le problème est autre. Le chef affirme une
conception personnelle, sans doute, à la croisée de l'univers
slave (c'est normal et, dramatiquement parlant, souvent probant) et d'une
certaine conception cinématographique de l'avancée du propos...
Mais cette vision-là, puissamment théâtrale, intense,
s'accompagne souvent, hélas, de brusques coups d'arrêts (le
duo Floria/Mario au I sera bien pénible à cet égard)
qui tendent, de manière bien cyclothymique, à se dénouer
en de violentes accélérations, subites, imprévues
et imprévisibles (l'annonce de la victoire de Bonaparte au II).
Le chef laisse aussi passer, et c'est un autre problème, des intonations
bien douteuses à l'orchestre, des glissandi peu recommandables
(finale du I et fin de la scène de torture au II), et le meilleur
de sa direction se déploiera finalement autour du personnage de
Scarpia.
Ce n'est d'ailleurs que justice tant ce dernier, magistralement campé
par Manuguerra, apparaît comme l'élément incontournable
de cette production. A première vue, nous n'aurons là que
l'habituel portrait de traître d'opéra. C'est vrai bien sûr
mais ce n'est pas un reproche. Un bon Scarpia se doit même, sans
doute, de se vautrer un peu dans le Grand-Guignol ! Point de baron gourmé
alla Fischer-Dieskau chez Maazel, donc. Manuguerra donne plutôt à
son personnage une silhouette féline, insaisissable, concentrée,
aux forts relents de testostérone toujours. On épuisera en
fait bien des qualificatifs avant d'approcher réellement cette interprétation-là.
La voix elle-même est sombre, déliée, menée
de manière à la fois instrumentale et très subtilement
collée au texte. La palette dynamique semblera souvent infinie,
de l'insinuation cauteleuse à l'éclat herculéen et
de cette substructure technique assurée et assumée naît
un personnage à la fois protéiforme, saisissant et passionnant
qui captive l'attention.
Pour ce Scarpia au moins, ce coffret (à prix modique, notons-le)
vaut la peine d'être écouté. Avec des comprimarii
solides, une Tosca originale, suivant génialement sa propre voie
(sa propre voix ?) et une direction au moins personnelle à défaut
d'être parfaitement irréprochable, cette version, en dépit
d'un Mario sur lequel on ne voudra pas revenir, constituera une alternative
recommandable à l'incontournable Tosca de Callas/Sabata... mais
pas plus, hélas !
Benoît BERGER
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