Il Trovatore
Giuseppe VERDI
Roberto Alagna (Manrico)
Angela Gheorghiu
(Leonora)
Thomas Hampson
(Il Conte di Luna)
Larissa Diadkova
(Azucena)
Ildebrando D'Arcangelo
(Ferrando)
London Voices -
London Symphony Orchestra
Antonio Pappano
(dir.)
EMI 7243 5 57360
2 4 - Londres 2001
Quelques mois après la parution
de la version de Riccardo Muti chez SONY, EMI édite à son
tour une version d'
Il Trovatore fort attendue et qui ne manquera
pas de faire couler beaucoup d'encre. En effet c'est le couple le plus
glamour de l'opéra qui en est la vedette : Roberto Alagna et Angela
Gheorghiu. Nul doute que sur leur seul nom, cet enregistrement battra des
records de vente, bien davantage en tout cas que la version Muti. On ne
saura éviter l'incontournable comparaison entre ces deux versions,
d'autant qu'à l'heure actuelle, il semble bien difficile d'envisager
un réel avenir discographique pour cette oeuvre qui est l'une des
moins aisées à distribuer, y compris à la scène.
Toscanini aimait à dire qu'il suffisait de réunir les quatre
plus belles voix du monde pour constituer un Trovatore. Force est de constater
que rarement le disque a su respecter cette règle d'autant qu'elle
n'est en rien suffisante. Rappelons que la seule beauté des voix
ne peut rendre entièrement justice à une oeuvre dont la filiation
belcantiste est avérée, notamment dans l'écriture
vocale de Leonora et de Luna. Donizetti n'est pas bien loin.
Par ailleurs, cet ouvrage fut, dès sa création, interprété
selon une certaine tradition héritée justement du grand belcanto
romantique et selon laquelle les chanteurs avaient l'aval du compositeur
pour ajouter tel aigu ou telle cadence dans les reprises des cabalettes.
Cette tradition a parcouru le XIXème et le XXème siècle
pour le plus grand bonheur des mélomanes jusqu'à ce qu'un
certain Riccardo Muti, pour des raisons non encore véritablement
éclaircies, décide, au nom d'un retour à la lettre
et au mépris de l'authenticité du style de l'époque,
d'en finir avec cette tradition en supprimant tout aigu et toute cadence.
Après avoir fait scandale en 1978 à Florence, le maestro,
dont par ailleurs la direction d'orchestre est passionnante, a remis ça
il y a deux ans à Milan, provoquant une nouvelle fois la colère
du public. C'est cette édition milanaise qui a fait l'objet de l'édition
SONY.
En revanche, la nouvelle version EMI dirigée par Antonio Pappano
s'avère, par son respect intégral de la tradition vocale
de l'ouvrage, l'exact contraire de l'enregistrement de Riccardo Muti. Globalement,
la distribution de Pappano est de bien plus haute volée. Roberto
Alagna est LE Manrico de ces vingt dernières années : depuis
Franco Corelli, qui reste la grande référence dans ce rôle,
on n'avait plus entendu pareille chaleur du timbre ni une telle générosité
vocale. Assumant avec vaillance une tessiture relativement centrale et
barytonante et phrasant comme personne ne peut plus le faire actuellement,
Alagna dispense avec éclat un aigu à faire pâlir tout
le "ténorat" actuel, concluant l'acte I sur un superbe contre-ré
bémol et un Di quella pira d'anthologie avec le contre-ut
le plus long de la discographie de l'oeuvre. Angela Gheorghiu, que ses
détracteurs attendent au tournant (souvent pour de mauvaises raisons
!) est, en définitive, la révélation de cet enregistrement.
Tout y est : splendeur du timbre, ampleur vocale, gestion de la tessiture,
perfection technique, respect du style. En fait, nous tenons là
probablement la meilleure Leonora de la discographie (pardon aux fans de
Leontyne Price dont la voix était royale, mais qui savonnait de
façon éhontée l'écriture verdienne). Thomas
Hampson, lui, risque de diviser : certes, son timbre n'a pas tout à
fait l'italianità à laquelle on est habitué
dans ce rôle, surtout si l'on a en mémoire des chanteurs tels
que Piero Cappuccilli et plus près de nous Leo Nucci. Toutefois,
il convient de rappeler que l'écriture du rôle de Luna est
d'essence belcantiste et se rapproche davantage de celle de Giorgio Germont
(La Traviata) que de celle de Rigoletto. Ici, Hampson propose un
Luna psychologiquement plus fouillé qu'à l'accoutumée
avec une probité vocale qui force l'admiration. Larissa Diadkova,
sans être l'Azucena du moment (n'est pas Dolora Zajick qui veut),
affronte la tessiture meurtrière du rôle avec un bel aplomb
et ne démérite nullement face aux trois stars de cette version.
Il en est de même pour Ildebrando D'Arcangelo, très beau Ferrando
dont nous rappelons au passage que sa tessiture est celle d'une basse chantante
et non celle d'une basse profonde. En fait, le seul petit bémol
de cet enregistrement, c'est la direction d'Antonio Pappano, dont on n'a
à dire ni bien ni mal, si ce n'est qu'elle n'est pas tout à
fait à la hauteur de la distribution et qu'elle ne peut en aucun
cas tenir la comparaison avec celle de Riccardo Muti chez SONY. En dépit
de cette légère réserve, une excellente version !
Jérôme
Royer
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