Les Rarissimes de Georges
TZIPINE
CD 1:
1- Florent Schmitt : Psaume
XLVII (a, c, e)
2- Albert Roussel : Psaume
LXXX (b, d)
3- Albert Roussel : Le Bardit
des Francs (d)
4- Le Groupe des Six, présentation
de Jean Cocteau
5- Germaine Taillefer : Ouverture
6- Arthur Honegger : Prélude,
fugue et postlude
CD 2:
1-4- Francis Poulenc : Sécheresses
(e)
5- Durey : Le printemps au
fond de la mer (a)
6-Auric : Phèdre
7-11- Milhaud : Symphonie
n°2
a- Denise Duval, soprano
b- Michel Sénéchal,
ténor
c- Maurice Duruflé, orgue
d- Choeur de l'Université
de Paris
e-Chorale Elisabeth Brasseur
Orchestre de la Société
des Concerts du Conservatoire
Georges Tzipine, direction
EMI, 2 CD, 5 85204 2
Si chaque label possède aujourd'hui
ses "historiques", il semble que la palme doive revenir à EMI. Avec
ses
Références, ses
Great Recordings of the Century
et ses
Introuvables, l'incunable est déjà en abondance...alors
même qu'aujourd'hui le label propose ses Rarissimes ! Il est vrai
que certains opus de cette première cuvée ne s'imposent guère
(un Cluytens plutôt faible...), mais on aurait tort de se laisser
aller à une ironie facile quand EMI nous rend les Rarissimes de
Georges Tzipine. Le superlatif n'est, de fait, pas usurpé ici puisque
la rareté est double : d'abord eu égard à un chef
qui n'encombre pas les bacs, mais aussi en ce qui concerne un programme
que l'on n'ose plus vraiment aujourd'hui, au concert comme au disque.
Celui-ci est tout entier dédié à une certaine
modernité française. Celle de la première génération
d'abord, autour du symbolisme sombre de Roussel et Schmitt; l'autre versant
étant celui du Groupe des Six, et de toute cette génération
de l'entre-deux guerres à l'entêtant parfum de Montparnasse
conquérant.
Né en 1907, Tzipine a été de tous les combats de
l'avant-garde musicale en France, un temps accompagnateur des Ballets Russes,
chef attitré de la compagnie Roland Petit et soutien, entre autres,
pour Pathé d'une politique d'enregistrement de raretés du
XXème siècle (Barraud, Français, Rivier...). Et l'on
comprend assez l'engouement de la prestigieuse maison de disques pour un
chef pugnace qui mène ici son orchestre aux deux extrêmes
de la palette interprétative, au paroxysme comme au murmure. La
rythmique est acérée, la polyphonie maîtrisée,
la lisibilité totale. C'est aussi que le chef joue d'un orchestre
aux cuivres percussifs (Schmitt), à la petite harmonie virevoltante,
agreste et cependant profonde, aux cordes vibrantes (Roussel), chacun sachant
se laisser aller à de souples transparences (partie centrale du
Psaume de Schmitt, encore), jusqu'aux diaprures scintillantes d'un Printemps
au fond de la mer où l'orchestre est l'écho miroitant de
la "voix humaine" de Denise Duval.
Car l'autre triomphateur de ce double album est évidemment l'élément
vocal. Il faut dire que le programme a été astucieusement
conçu pour ménager la part belle à l'orchestre (Tailleferre,
Milhaud, Honegger), comme à la voix sous toutes ses formes. Le choeur,
d'abord, s'illustre par sa précision, sa verdeur martelante dans
les premières minutes du Psaume de Schmitt, son acuité presque
mortifère dans Poulenc, sa ductilité aussi.
En soliste, c'est d'abord Denise Duval qu'il faut distinguer. Le soprano
propose un ton unique, un peu pointu qui sied à un certain chant
français, une façon d'architecturer note et verbe comme les
deux faces d'une même médaille. Elle offre enfin un timbre
liquide, une ligne d'une souplesse totale qui s'épanouit dans la
nuance. L'autre merveille retrouvée de cet album, c'est Michel Sénéchal.
On avait oublié que le ténor septuagénaire, qui porte
encore beau sur scène et promène sa silhouette goguenarde
d'éternel Ménélas ou Triquet, avait été
au tournant des années 50 un récitaliste parfait. Parfait
comme Duval dans le rendu du texte, dans la justesse du ton, rond de timbre,
maître d'un souffle profond. Bref un chant spirituel, spiritualisé
même, qui rétablit une importante partie du portrait de cet
artiste attachant.
Quand on aura dit que Tzipine est magistral dans la partie symphonique
(Tailleferre d'une ironie acide, Milhaud irisé et mystérieux,
Auric survolté et véritable abîme sonore), on comprendra
que nous tenons là un fleuron de cette nouvelle collection qui,
à prix réduit, met la légende à portée
de tous.
Benoît BERGER
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