Julia VARADY
Mozart, Idomeneo : Idol mio
Mozart, La Clemenza di Tito : Non piu di fiori
Strauss, Arabella : Mein Elemer
Strauss, Arabella : Das war sehr gut, Mandryka
Wagner, Der fliegende Holländer : Jo ho hoe !
Wagner, Die Meistersinger von Nürnberg : Selig wie die
Sonne
Verdi, La Forza del Destino : Madre, pietosa Vergine
Verdi, La Forza del Destino : Or siam soli
Verdi, Nabucco : Ben io t'invenni
Verdi, Il Trovatore : D'amor sull'ali rosee
Bayerisches Staatsorchester
Sawallisch, Klee, Sinopoli, Steinberg
Enregistrements publics, 1975-1992
Orfeo, 1 CD, C 579 041 A
L'a-t-on assez attendu ce portrait
live
d'une des chanteuses les plus attachantes du dernier demi-siècle,
annoncé comme une piètre compensation au moment où
la dame se retirait définitivement de la scène ! A-t-on assez
rêvé des trésors contenus dans les archives de la Bayerische
Staatsoper en lisant des distributions déjà parées
d'une aura mythique ! A-t-on enfin seulement assez pleuré sur toutes
les notes à jamais perdues d'une artiste finalement trop discrète
!
Rendra-t-on pour autant grâce à Orfeo de nous proposer
aujourd'hui un tel portrait de Julia Varady ? Evidemment oui, puisque chaque
incarnation de l'artiste est à chérir, la cause est entendue...
Doit-on pour autant ne rien dire de choix éditoriaux qui semblent
pour le moins discutables ? A cette question par nature éminemment
subjective, permettez à votre serviteur de répondre par un
non teinté d'une imperceptible mélancolie mâtinée
de frustration. Car le jeu de la fragmentation est ici bien cruel, s'agissant
une cantatrice enflammée pour qui le concept de l'aria n'a
jamais constitué seulement un numéro fermé, isolé
au milieu d'une représentation. Et si l'idée de réunir
une poignée d'extraits live, captés dans la vérité
nue de la scène, s'avère plus que judicieuse dans ce cas
précis, n'y avait-il pas mieux à publier de la carrière
de Varady à Münich ? Ainsi, pourquoi une énième
version d'Idoménée (qui plus est "Idol moi" qui n'est
pas l'air où le talent de l'artiste peut se montrer dans toute sa
plénitude) comme de la Clémence de Titus, quand les
studios existent déjà (même si ici, l'air est diaboliquement
mené). Pourquoi deux extraits d'Arabella alors que le rôle
entier est trouvable non seulement en studio chez le même éditeur,
mais encore dans la production qui nous est proposée, chez de nombreuses
firmes parallèles, et que ce personnage qui n'a jamais été
la meilleure incarnation straussienne de Varady (question de radiance,
d'opalescence de timbre plus que de pure adéquation à la
ligne suspendue du compositeur) ? Pourquoi isoler une ballade de Senta
du Vaisseau fantôme distribué déjà depuis
de nombreuses années par EMI en vidéo ? La cerise sur le
gâteau constituant sans doute un air du Trouvère dont
l'intégrale est éditée par ailleurs chez Orfeo depuis
à peine un an !
Pourtant le programme en lui-même a été très
intelligemment conçu, autour des figures tutélaires de Mozart,
Strauss, Wagner et Verdi, compositeurs essentiels dans la carrière
de Varady. Carrière d'ailleurs étonnante, poursuivie quarante
ans durant avec une économie et une sagesse qui ne l'ont jamais
empêchée cependant d'entrer à corps perdu dans les
univers successifs de ses héroïnes. Présentée
ici dans le bon tiers médian de son développement, la voix,
incomparable et reconnaissable entre toutes, qui est celle d'un soprano
lyrique formé à une souple discipline belcantiste, semble
parfaitement égale, d'une franchise sonore presque agressive, témoignant
d'une remarquable gestion des registres comme d'une idéale tenue
du souffle. Les défauts en sont par ailleurs bien connus: diction
fantomatique dans les moments de pure vocalité, petites indélicatesses
aussi vis à vis de la justesse (l'intonation fera même frémir
tous les Beckmesser de la terre dans les vocalises de La Clémence
comme aussi dans la cadence du Trouvère).
A la limite extrême de ses moyens naturels (le duo de La Forza
témoigne d'aigus tendus et d'une colonne d'air au bord la rupture)
Varady distille cependant ici quelques véritables perles, en terme
d'expression comme de musicalité, à placer au rang des quelques
évidences que le disque nous a laissées depuis son invention.
Il y a d'abord un quintette des Maîtres comme en apesanteur, désincarné
(ce qui n'est pas le moindre des paradoxes, venant d'une telle artiste),
d'une radiance étale, simplement lumineux et illuminé, à
l'attaque d'une liquidité idéale rejoignant les grandes devancières
que sont Lehmann, Lemnitz et Rethberg. Il y a aussi une "Madre, pietosa
Vergine" de La Forza emportée, viscérale (éviscérée
même, tant Varady donne d'elle-même ici), prière éperdue
à la ligne bandée, émaciée presque, et vibrante,
pour laquelle Varady vole leur morbidezza aux italiennes les plus
impeccables, recréant pour quelques instants le miracle historique
de Caniglia chez Panizza (par-delà même de toute notion d'orthodoxie
stylistique), la noblesse et le modelé en plus. Il y aussi une ballade
du Vaisseau fantôme chauffée à blanc, épique,
hallucinée et d'une rare violence dans la narration comme dans la
tenue de la voix. Il y a enfin un rondo de Vitellia de La Clémence
simplement évident. Dans cet air qui surexpose la légèreté
de certains instruments (Röschmann, il y a peu à Salzbourg)
et dans lequel on a pu entendre des prestations désespérées
(Moser en ruines qui semble pour chacun de ses registres, avoir convoqué
en studio une chanteuse différente, outrancière et vulgaire,
vacillante comme aussi Della Jones en intégrale, asséchée
et réduite au hurlement), Varady joue d'un grave rude, virulent,
d'une virtuosité démoniaque et d'un aigu dardé, incandescent
pour donner là une de ses prestations les plus investies.
Quand l'on aura dit que, comme souvent à Münich, les partenaires
sont de premier choix (Fischer-Dieskau, Kollo et Schreier pour Les Maîtres,
Fischer-Dieskau encore pour Arabella, Moll enfin pour La Forza)
et que les chefs sont plus que de simples Kapellmeister (Sawallisch pour
des Wagner d'une tenue impériale, Sinopoli pour des Verdi hors-normes
évidemment, mais d'une musicalité et d'un dramatisme troubles)
on comprendra que ce disque est plus qu'indispensable, reflet partial,
partiel mais incontournable d'un fragment de l'imaginaire musical collectif...
On continuera cependant d'invoquer longtemps les mânes des Alceste,
Butterfly, Desdemone, Traviata encore noyées dans les brumes de
la mémoire avec une imperceptible pointe d'amertume.
Benoît BERGER
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