Ermanno WOLF-FERRARI (1876-1946)
LA VEDOVA
SCALTRA
Comédie lyrique en trois
actes
Livret de Mario Ghisalberti d'après
la comédie de Goldoni
Rosaura : Anne-Lise Sollied
Marionette : Henriette Bonde-Hansen
Bosco Nero : Francesco Piccoli
Le Bleau : Giorgio Trucco
Runebif : Franck Leguérinel
Alvaro di Castiglia : Jonathan
Veira
Arlecchino : Evgueniy Alexiev
Choeur de l'Opéra National
de Montpellier
Orchestre National de Montpellier
Direction : Enrique Mazzola
2 CD Accord 476 2675
enregistrement réalisé
à l'Opéra de Montpellier en avril 2004
Entreprise d'utilité publique
Grand défricheur de répertoire, René Koering proposait
récemment au public montpelliérain cette "veuve rusée",
qui fait aujourd'hui l'objet d'une parution discographique. Créée
en 1931, cette comédie lyrique inspirée de Goldoni est l'oeuvre
d'un compositeur arrivé à pleine maturité. Injustement
méconnu de ce côté des Alpes, Wolf-Ferrari est l'un
des musiciens les plus singuliers de la première moitié du
XXe siècle, réfractaire à toute classification, étranger
à toute école, et mettant au service d'une oeuvre dont les
racines sont profondément ancrées dans la tradition lyrique
des moyens d'écriture en parfait accord avec son époque.
On peut regretter que de son abondante production ne soit aujourd'hui connus
d'un public élargi que les Quattro Rusteghi, qui attestent
de son goût pour la comédie et en particulier pour Goldoni
qui lui inspira cinq ouvrages, et le sombre drame Sly, récemment
élu par José Carreras. L'initiative de la scène lyrique
nationale languedocienne et de la maison Accord est donc particulièrement
bienvenue.
C'est sans doute un cliché que d'insister sur la double ascendance
et la double nature italiennes et allemandes du compositeur, mais il est
nécessaire de souligner le côté kaléidoscopique
de sa musique. Glissant sans transition du récitatif rossinien à
des pages intimistes évoquant le dernier Verdi, Wolf-Ferrari marie
une vocalité classique à un commentaire orchestral plus moderne,
comme en témoigne notamment le finale du premier acte. De nombreuses
influences se font entendre dans sa musique, mais elles se fondent habilement
dans un style très personnel et très pensé. Le présent
opéra ne manque pas d'attraits, même s'il n'a pas l'ambition
de s'inscrire au panthéon des oeuvres lyriques. Nous savons aussi
malheureusement que le goût conformiste de notre époque s'accommode
mal de compositeurs trop singuliers et méprise particulièrement
ceux qui, au coeur du XXe siècle, ont osé rester fidèle
à un art éminemment tonal, vocal et populaire, même
lorsqu'il sont su, comme Wolf-Ferrari, mettre au service de cet art une
science musicale incontestable. Compositeur fécond et grand défenseur
du patrimoine lyrique italien, ce musicien cultivé mérite
pourtant notre admiration et notre respect à plus d'un titre. A
contre-courant des dérives intellectualistes, il a simplement choisi
de s'adonner à la noble mission de nous distraire.
La Vedova scaltra est une comédie vénitienne au
rythme soutenu. L'intrigue en est simple : quatre gentilshommes de nationalités
différentes se disputent les faveurs d'une jeune et riche veuve,
tandis que deux serviteurs tout droit venus de la commedia dell'arte
servent d'entremetteurs. Indécise, la belle Rosaura décidera
de les mettre à l'épreuve à l'occasion d'une réception
masquée, et la sincérité de l'Italien lui permettra
alors de l'emporter sur ses rivaux étrangers, joyeusement caricaturés.
A ce comique légèrement teinté de mélancolie,
Wolf-Ferrari apporte, et c'est tout à son honneur, un traitement
dépourvu de toute trivialité. Sa partition, parée
de couleurs automnales, s'écarte résolument de la farce lyrique
et témoigne d'un savoir-faire incontestable, sans rien perdre pourtant
de son naturel et de sa spontanéité. Les atouts de cette
oeuvre sont indéniables : une virtuosité et une vivacité
rythmiques qui établissent un pont avec son contemporain Richard
Strauss, une verve mélodique et une maîtrise de l'écriture
vocale héritées de la grande tradition italienne, une compréhension
affirmée des ressorts comiques et enfin un réel talent de
coloriste orchestral. Le compositeur possède également un
sens du pastiche et de la citation qui touche à l'art et se manifeste
avec bonheur dans les morceaux "de genre", comme le remarquable air XVIIe
siècle que chante Rosaura au deuxième acte. Malheureusement,
l'oeuvre souffre d'une inspiration inégale et, à des moments
de pure grâce ou de comique irrésistible, succèdent
parfois des épisodes indéniablement moins réussis.
Ainsi le début du deuxième acte peut soudain apparaître
tiède et bavard.
Il serait intéressant d'entendre une telle oeuvre servie, à
la manière du Voyage à Reims, par quelques uns des
plus beaux gosiers latins du moment. L'équipe réunie à
Montpellier ne nous conduit pas sur les cimes, mais sa conviction et son
engagement sont suffisants pour emporter l'adhésion. On déplore
cependant un soupçon d'ingratitude dans les voix de ténor
et un rien de raideur chez les clés de fa. Les femmes paraissent
plus à leur affaire : la délicieuse Henriette Bonde-Hansen
en soubrette et la charmante Anne-Lise Sollied qui apporte à Rosaura
grâce et lyrisme. A la baguette, Enrique Mazzola dirige cette partition
très plaisante et dynamique avec sa passion et sa fougue habituelles.
Malgré quelques légères baisses de tension, cette
musique possède tous les arguments pour nous séduire. L'occasion
est belle de la découvrir.
Vincent DELOGE
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