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LA VESTALE
« Tragedia lirica » en trois actes de Salvatore Cammarano
Musique de Saverio Mercadante (1795-1870)
Représenté pour la première fois
au Teatro di San Carlo de Naples,
le 10 mars 1840
Emilia, vestale (soprano) : Doriana Milazzo
Decio, condottiero romano, figlio di Licinio (tenore) : Dante Alcalá
Publio, condottiero, amico di Decio (baritono) : Davide Damiani
Metello Pio, arciflamine [Grand-Prêtre] (basso) : Andrea Patucelli
La Gran Vestale (soprano) : Danna Glaser
Giunia, vestale, amica di Emilia (mezzosoprano) : Agata Bienkowska
Licinio Murena, Console [consul] di Roma (tenore) : Ladislav Elgr
Lucio Silano, Console di Roma (basso) : Mattia Denti
Wexford Festival Opera Chorus, Chorus Master : Lubomír Mátl
Orchestre philharmonique de Cracovie
Direction musicale : Paolo Arrivabeni
Enregistrement réalisé les 23, 26 et 29 octobre 2004
au « Theatre Royal » de Wexford (Irlande),
durant le Wexford Festival Opera
2 CDs Marco Polo 8.225310-11
Durées : Cd 1 (acte I) : 38’23
Cd 2 : 58’42 (acte II, 34’55 & Acte III, 23’47)
Notes et résumé de l’action en anglais et allemand ;
biographies des chanteurs en anglais.
(Une note signale la présence sur Internet
du livret original italien de l’opéra, non imprimé dans la plaquette
afin de proposer un raisonnable prix de vente des CDs)
Intrigue & Structure de la partition
L’opéra : quand la flamme romantique embrase un sujet antique.
La Vestale de
Mercadante est brûlante de Romantisme, car cette tendance
atteignait en ces années 1840 sa période la plus
échevelée. Le doux Bellini n’existait plus, Verdi
se cherchait avec Un Giorno di regno
et le régnant de l’opéra italien, le bon Donizetti,
toujours aussi incroyablement actif, était fort occupé
à Paris avec (la même année !), La Fille du régiment, Les Martyrs, Elisabeth ou la fille de l’exilé composée sur un double texte français et italien, et La Favorite. Ainsi, La Vestale
put naître sans rivales redoutables… au moins
jusqu’à la fin de l’année car Giovanni Pacini
devait produire son chef-d’œuvre, la si belle Saffo, autre sujet antique enflammé par le Romantisme en musique.
Brûlante de Romantisme disons-nous pour La Vestale,
car complètement conçue dans l’esprit de cette
merveilleuse époque, qui cisèle une esthétique
alliant soupirs de mélancolie et passion chaleureuse au
possible, touchante par la présence constante d’une
ferveur désespérée. Ainsi les cabalettes
vibreront-elles de cette véhémence un peu naïve ou
sommaire mais empreintes du secret du Romantisme : y croire juste
ce qu’il faut, y croire en s’illusionnant volontairement,
avec l’ironie du recul !
Cet esprit enflamme tous les sujets antiques un peu glacés,
drapés qu’ils sont dans leurs toges blanches,
hérités de l’époque baroque mais tout de
même un peu conservés par un Romantisme qui allait surtout
puiser dans le Moyen Age. Nous aurons ainsi Bellini et sa Norma, Donizetti avec L’Esule di Roma, Fausta, Belisario et Poliuto. Pacini avec notamment Saffo et Medea, et Mercadante avec (parmi d’autres) La Vestale, Orazi e Curiazi et Virginia.
Précisément méfiant avec les sujets du Romantisme
le plus échevelé, Mercadante écrivait ses souhaits
au librettiste Salvatore Cammarano : « Des passions
émouvantes, non féroces, des coups de
théâtre, une variété de genres, de formes,
de quoi faire des chants suaves et robustes, des couleurs
d’orchestre, des choeurs originaux, extravagants, des grand
morceaux concertants, non furieux et enragés mais toujours
chantants. » Mercadante précise avec respect à
Cammarano qu’il réussit fort bien les sujets
extrêmes et cite la passionnante Maria de Rudenz de Donizetti, et La Marescialla
d’Ancre d’Alessandro Nini, (capiteux opéra
exhumé récemment et existant en cd), et dont le moins que
l’on puisse en en dire est que non seulement leur livret mais
aussi la musique qui les revêt sont à fortes teintes. Il
les cite pour reconnaître qu’ils « ne me conviennent
pas […] j’y renonce pour toujours ». Curieux
n’est-ce pas, un Mercadante refusant le Romantisme -
d’accord, extrême - des livrets, mais habillant un
« vieux » sujet d’une musique flamboyante
de Romantisme !
La méritoire réforme de Mercadante
En découvrant La Vestale,
on est saisi (et séduit !) d’emblée par la
marche des vestales servant de prélude à
l’opéra : un motif grave et prenant dont on se
demande pourquoi il captive à ce point. La suite de cet
opéra si concis ne nous laisse pas reprendre souffle
jusqu’au Finale,
sublime mais lapidaire lui-aussi. Cette concision inusitée
mérite un commentaire. On a en effet la chance d’en
connaître la cause, documentée par une lettre du
compositeur. Mercadante s’est livré à
l’époque à une véritable réforme
comme il l’écrit à Francesco Florimo, grand ami de
Bellini et conservateur de la bibliothèque du Conservatoire de
Naples, à propos de Elena da Feltre (1838) : « J’ai continué la révolution commencée avec Il Giuramento :
les formes variées - Bannissement des cabalettes triviales, exil
aux crescendo. Tessiture courte : moins de
répétitions – Quelques nouveautés dans les
cadences – Partie dramatique soignée :
l’orchestre riche, sans couvrir le chant – Suppression des
longs moments en solo dans les ensembles concertants, obligeant les
autres parties à être froides, au détriment de
l’action – Peu de grosse caisse, et très peu de
fanfare – ».
La Vestale, le
45ème de sa soixantaine d’opéras, appartient
à ce moment où le compositeur tente
d’alléger les canons habituellement en vigueur. Il veille
ainsi à ne donner qu’une exposition aux cabalettes (sans
plus de da capo, donc) et aux strettes de duos ou d’ensembles, rendant ainsi ses partitions plus concises… et cette Vestale plus fulgurante.
Non seulement La Vestale est plus concise encore que le Giuramento
invoqué, mais bien plus encore que l’opéra
immédiatement précédent, Il Bravo (1839), fort
long et imposant. Chose curieuse, cette concision est d’autant
plus spectaculaire que Mercadante la laissera tomber dans ses
œuvres successives (notamment Orazi e Curiazi (1846), où on le verra reprendre l’imperturbable symétrie des cabalettes et strettes de duo ou de Finale, avec leur scrupuleuse répétition !
Science de l’orchestration et étincelle de l’inspiration
La musicologie tient Mercadante pour un scientifique
de l’orchestration, mais il faut le reconnaître, cette
compétence ne saurait suppléer à la richesse de
l’inspiration, ou au moins à la séduction de
l’invention mélodique, défaut principal du Maestro
Saverio… et qui le fait demeurer dans l’ombre de certain
Maestro Cavaliere Gaetano, qu’il détestait, du reste.
Ce qui hisse La Vestale au rang de chef-d’œuvre est précisément l’accord de la science mercadantienne
et de l’inspiration, l’intérêt de
l’invention musicale, qui cette fois ne quitte jamais sa plume.
Moments plaintifs et soupirs romantiques alternent avec la
véhémence désespérée des sentiments
irréalisables, et une certaine pompe chaleureuse et un peu
naïve, à l’incroyable sympathie. La Vestale
séduit donc par sa « tinta », terme
verdien pour « couleur musicale », mais, pour
filer la métaphore, Verdi n’est pas le seul à
utiliser cette palette et à donner une couleur musicale
différant selon les opéras ! Et qui sait, à cette
séduction un peu mystérieuse contribue peut-être le
fait que la structure musicale-même de l’opéra est
insolite. Ainsi, aucun des deux protagonistes n’a d’air
pour soliste, dont sont en revanche dotés leurs deux
confidents… et le Grand-Prêtre !
Quant aux passages remarquables (à tous les sens du mot !),
il faudrait signaler pratiquement la partition entière, à
commençer par les Scene, ces récitatifs élaborés dans lesquels l’orchestre halète avec le personnage, vibre de ses angoisses, explose de ses désespoirs empanachés.
Les trois airs de la partition, une impressionnante malédiction
du Grand-Prêtre, et un air pour chaque confident des deux
personnages principaux, saisissantes effusions lyriques ou
« pauses » focalisant les sentiments de deux
prières : Giunia s’adresse la déesse, et
Publio supplie le consul Licinio, père de Decio, demande toute
romantique au père inflexible, prêt à sacrifier son
fils : « Pietà del sangue tuo »
(pitié de ton propre sang). La prière est vaine ?
reste une vengeresse cabalette.
Les ensembles concertants, perles de l’opéra romantique
italien, sont tous non seulement bien construits vers un paroxysme tant
attendu par le passionné, mais aussi véritablement
inspirés, au point que Mercadante nous étonne. Le Largo du Concertato du Finale II° donne le frisson dès l’attaque. On sent d’emblée que l’on va être pris, « rapito » (ravi) comme disent les livrets romantiques… pour ne rien dire de la Stretta enflammée qui suit, avec sa phrase ascendante (re)donnant le frisson !
On découvrira même une brève scène de
délire (Romantisme oblige !) pour
l’héroïne ne réalisant pas ce qui lui arrive
(elle va être enterrée vive). Il y a enfin le superbe Finale à surprise
pourrait-on dire, car on croit que le délicat duo d’adieu
entre les deux amies va terminer l’opéra, quand survient
le ténor, désespéré. La flûte suspend
l’atmosphère… des pizzicati
traditionnels des cordes prolongent l’attente… Enfin, les
violons halètent, déjà plus verdiens que ce que
Verdi composait à l’époque ! Commence alors un
simple mais saisissant Arioso du personnage, mourant sur la pierre renfermant sa bien-aimée, doux, mélancolique, terriblement poignant.
On notera enfin une curiosité, l’un des rares exemples de
« récupération » de matière librettistique !
L’attaque du duo Decio-Emilia « No, l’acciar non
fu spietato, / Che versava il sangue mio » comporte en effet
les paroles de la vibrante cabalette de Severo dans Poliuto,
écrit par Cammarano pour Donizetti deux ans auparavant mais
interdit par la censure et abandonné… quoi de plus
naturel que de récupérer quelques vers.
Les enregistrements
De cet opéra existent trois enregistrements
de la première reprise moderne effectuée en 1969, en
prélude à la commémoration du centième
anniversaire de la disparition de Saverio Mercadante. Le premier,
radiophonique, resta à l’état de bande
privée, vraiment transmise « sous le
manteau », comme l’on dit, et fut
réalisé au Teatro Mercadante d’Altamura, ville
natale du compositeur. La production tourna et une
représentation à Civitavecchia fut publiée par la
firme de disques vinyles A.N.N.A. Record Company, tandis que la
fabuleuse collection M.R.F. Records en annonçait une autre,
captée à Pistoia, il me semble. La ferveur des
interprètes, (au moins dans l’enregistrement
d’Altamura) chef compris, émeut au point de rendre
indulgent sur les défauts des chanteurs et surtout des
instrumentistes (eh oui, cela arrive).
Depuis, l’oeuvre fut reprise à l’Opéra
national croate de Split en 1987 et enregistrée mais sans public
et avec un ténor différent, par la volontaire Casa
Bongiovanni (Lp et Cd), nous livrant ainsi un l’enregistrement
d’une exécution certes bien chantée mais
bizarrement tiède (pour ne pas dire somnolente… et
soporifique !) et dont on se demande si c’est
l’absence de public qui l’empêche de
« décoller ».
A Wexford, Emilia, l’héroïne du titre de
l’opéra, était interprétée par
Doriana Milazzo, au timbre aigu pouvant sembler fluet mais se
révélant consistant, et dont on apprécie le chant
attentif et délicat. Ces caractéristiques se retrouvent
chez sa sensible confidente Giunia, chantée par Agata Bienkowska
à la voix ample de mezzo : une belle harmonie se
révèle dans leurs duos. Danna Glaser prête à
la « Gran Vestale » son timbre dur et dont
l’attaque de notes fait naître parfois des craintes mais
dès que le vibrato
survient, elles s’épanouissent dans la justesse avec une
assurance conférant même efficacement
l’autorité que l’on attend dans ce rôle.
L’expressif ténor Dante Alcalá brille d’un
timbre éclatant au beau médium chaleureux. Son ami Publio
est bien rendu par Davide Damiani, baryton au timbre plus noir et
rocailleux que celui de la basse incarnant le Grand-Prêtre
Metello Pio. Néanmoins, dans ce rôle impressionnant,
Andrea Patucelli se révèle efficace, notamment dans son
invocation-malédiction avec chœurs cristallisant le
délit d’avoir laissé la flamme sacrée de
Vesta s’éteindre. Les rôles plus en retrait du
Consul Licinio Murena, père de Decio, et du Consul Lucio Silano
sont correctement tenus par le ténor Ladislav Elgr et la basse
Mattia Denti.
L’unique réserve émise à propos de cet
enregistrement réside dans le chef d’orchestre Paolo
Arrivabeni, à la direction souvent sèche et
carrée, ayant du mal avec la souplesse, et qui au lieu de faire
haleter la musique, la brusque en précipitant les tempi,
la maltraite et en un mot, brûle les ailes à la
mélodie, défaut moderne et impardonnable. Il bouscule
ainsi la marche triomphale, pressée,
expédiée… Ah ! ces marches des opéras
romantiques, faites d’une bonne dose de bonhomie, d’un
soupçon de naïveté et d’une pointe de
clinquant, et ayant embarrassé plus d’un chef !
Comment les prendre, les attaquer ?…
Un seul exemple, parfaitement réussi : le Maestro Gavazzeni
dans le sympathique et à la fois impressionnant Belisario
de Donizetti : brillant juste ce qu’il faut mais vibrant et
élastique au lieu d’être pompeux et clinquant, ou
pressé et expéditif.
Autre erreur, on peut tenter de diminuer
ces moments gentiments martiaux : l’Opéra de Rome
ressuscita la Fausta de Donizetti en « rabotant »
le plus possible la marche de l’ouverture,
déséquilibrant complètement cette
dernière !
Ajoutons enfin que les sujets romains
brillent d’une « grandeur »
intrinsèque conduisant les compositeurs à augmenter
l’aspect grandiloquent… et donc le clinquant,
écueil de taille pour le chef, devant jouer le jeu d’une
certaine solennité qui y croit, un peu… mais sans appuyer !
Visiblement embarrassé par les charges orchestrales finales, P.
Arrivabeni les précipite souvent, les mutant en un bavardage que
l’on pourrait presque reprocher à Mercadante ! Il
faut au contraire, répétons-le, jouer le jeu
du romantisme de l’opéra italien : y croire juste ce
qu’il faut, avec un recul ironique ; on joue le jeu du
dramatisme un peu grandiloquent, mais on n’est pas dupe au point
d’alourdir d’une inutile pompe risquant de friser le
ridicule. Heureusement, le chef se rachète dans les concertati,
perles des opéras romantiques italiens, des « Quatre
Grands » (Rossini-Bellini-Donizetti-Verdi), à la
« Giovane Scuola » de la fin du siècle.
Sans regretter de s’être précipités sur cette
nouvelle exécution (qui vaut toujours mieux que
l’apathique précédente), les heureux
passionnés possédant l’enregistrement
d’Altamura devront tenter de ne pas entendre les incroyables
défauts de l’Orchestra filarmonica di Bari, ils pourront
ainsi écouter « palpiter » La Vestale.
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