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Sophie Roughol

Antonio Vivaldi

Paris, Actes Sud Classica/Répertoire, 2005,
141 pages. ISBN 5 -7427-5652-3



Musicologue de formation et collaboratrice de la presse musicale depuis 1992 (Répertoire/Classica, Goldberg, Forum Opéra), Sophie Roughol a publié plusieurs ouvrages dont une biographie de Gesualdo.
 
 

Après la réédition du mythique Haendel de Romain Rolland, la collection Classica dirigée par Bertrand Dermoncourt s'enrichit d'un nouveau volume consacré à Vivaldi. C'est le premier en langue française depuis l'ouvrage de référence que Roland de Candé publiait en 1967 (Seuil). Dans l'intervalle, la révolution baroque a durablement transformé le paysage musical ; toutefois, de l'immense corpus vivaldien, ce sont d'abord les legs instrumental et religieux qui ont retenu l'attention des chercheurs comme des interprètes. Le succès de l'Orlando furioso remonté par Claudio Scimone en 1977 fut sans lendemain et le répertoire lyrique est resté longtemps en friche. Hormis quelques projets isolés et peu aboutis, il aura encore fallu attendre plus d'une vingtaine d'années pour que l'album Vivaldi de Cecilia Bartoli pulvérise les records de ventes classiques et fraie la voie à une nouvelle génération de musiciens qui s'enthousiasment pour ces opéras réputés inchantables, notamment à la faveur d'une ambitieuse intégrale du riche fond turinois (Opus 111 / Naïve). Des aînés leur ont emboîté le pas : Alan Curtis, Jean-Claude Malgoire et Jordi Savall, consacrant un engouement que rien ne semble devoir arrêter.
 
Et pourtant, d'aucuns croient toujours qu'il est de bon ton de mépriser Vivaldi. Le succès des trop fameuses Quatre Saisons, mises à toutes les sauces (n'est-ce pas aussi le nom d'une variété de pizza ?) jusqu'à l'écoeurement, n'y est sans doute pas étranger. Leur popularité a de quoi dégoûter les snobs. Mais au-delà de ces poses, la sévérité affichée par certains baroqueux, et non des moindres (Gardiner, par exemple), a aussi de quoi intimider le simple mélomane. Quelles sont les charges ? Mélodies racoleuses, facilité, redondance, faiblesse du contrepoint et pauvreté de l'harmonie, etc. Il n'est pas donné à tout le monde de prendre son pied en se fichant totalement du regard des autres, des bouches pincées et des airs supérieurs... Certes, la rumeur est tenace qui réduit le génial Vénitien au prêtre roux - la couleur du Diable ! -, imprésario douteux et professeur indigne qui couche avec ses élèves (Anna Girò, cantatrice de l'Ospedale della Pietà), scribouilleur agité et mégalomane qui se pique d'avoir composé quatre-vingt-quatorze opéras, mais aurait en fait réécrit quatre cent fois le même concerto... Difficile de ne pas songer au bouffon hystérique campé par Boris Terral dans Le Roi danse (Gérard Corbiau), dont les traits évoquent davantage une caricature de Vivaldi que de Lully.

Dans les limites (cruelles) qui lui sont imparties, Sophie Roughol signe bien plus qu'une biographie : son livre est un chant d'amour vibrant, mais lucide, rigoureux et passionné. Adulé par les princes et les rois, fêté à Paris comme à Prague, Vivaldi divise ses pairs, sa (trop) forte personnalité dérange, fascine, exaspère, elle se dérobe aussi alors que des pans entiers de sa vie nous échappent. Les rares écrits personnels ne nous apprennent que fort peu de choses sur son caractère ou ses préoccupations et les témoignages ne sont guère plus instructifs - à supposer qu'on puisse leur accorder foi, ce dont s'abstient, avec raison, Sophie Roughol. En outre, nous perdons sa trace pendant plusieurs années, quand il ne semble pas être partout et nulle part à la fois... Devant ces zones d'ombre, devant les paradoxes qui semblent définir l'homme (de santé fragile et hyperactif, fonceur mais angoissé), l'auteur préfère suggérer plutôt qu'expliquer ; elle nous épargne ainsi les dérives psychologisantes qui plombent parfois le genre biographique. S'en tenant aux "faits avérés", elle n'hésite pas à remettre quelques pendules à l'heure - rien ne permet d'établir qu'Anna Girò fut sa maîtresse, ce n'est que pure extrapolation -, et relativise également certains détails montés en épingle : d'autres musiciens, à commencer par son propre père ou son collègue à l'Ospedale della Pietà, Gasparini, avaient, tout comme lui, un pied à l'église et un autre au théâtre. Il n'en reste pas moins que peu de créateurs se sont révélés aussi féconds, déployant une énergie proprement surhumaine. L'inventaire de ses seules responsabilités dans le domaine de l'opéra donne le vertige !

Nécessairement concise dans le cadre de cette collection, l'analyse des oeuvres souligne le génie fondateur et visionnaire de Vivaldi, son indépendance d'esprit, elle tente de cerner l'originalité de son langage et rappelle aussi son attachement à la tradition vénitienne (du dramma per musica comme du madrigal). Une sélection discographique, forcément plus subjective et donc discutable, complète cet ouvrage au style alerte, limpide, un rien tranchant parfois, mais non dénué d'humour. 
  


Bernard SCHREUDERS

 



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