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Alban Berg (1885-1935)
WOZZECK
Opéra en trois actes et quinze scènes
Musique et livret d’Alban Berg d’après la pièce de Georg Büchner
Dale Duesing (Wozzeck)
Ronald Hamilton (Tambour Major)
Barry Banks (Andres)
Dieter Bundschuh (Capitaine)
Frode Olsen (Docteur)
Bodo Schwanbeck (Premier ouvrier)
Alexander Spemann (Second ouvrier 2)
William Saetre (L’Idiot)
Kristine Ciesinski (Marie)
Linda Ormiston (Margaret)
Chœurs et chœurs d’enfants de l’Opéra de Francfort,
dir. Johannes Mikkelsen
Frankfurter Museumorchester, dir. Sylvain Cambreling
Mise en scène et décors : Peter Mussbach
Costumes : Benedikt Ramm
Opéra de Francfort (conditions de studio, 1996)
DVD Arthaus Musik 102 031
Quelle
humanité se dégage de cette production pourtant si
volontairement stylisée et abstraite ! Peter Mussbach y
joue avec un tact remarquable des contrastes, respectant en cela aussi
précisément que possible la musique, tantôt tendre,
tantôt violente, tour à tour charmeuse et âpre,
rugueuse et miellée. L’apparition de Wozzeck portant ses
fagots derrière une Marie rêveuse, toute de
sensualité, est un moment bouleversant (I, 3). Saisissante
également, dans cette même scène,
l’idée de montrer l’enfant de Marie sous un masque
blanc, dont l’inexpressivité absolue crée un
inévitable malaise chez le spectateur (malaise plus sensible
encore dans la scène III 1, quand Marie lit la Bible et que son
enfant porte alors un masque au sourire figé, commentaire
silencieux mais ô combien ironique de cette pieuse lecture). Le
Docteur, en dandy costumé pour un numéro de claquettes
(frac, canne à la Fred Astaire, lunettes de soleil) face
à un Wozzeck en caleçon, dévoilant une
nudité extraordinairement pileuse, dans leur boîte
asymétrique d’une blancheur plus crue encore, la petite
maison rouge (modèle de poupée derrière lequel se
cache l’enfant, ou format XXL permettant aux protagonistes
d’y prendre place…), la pente jaune sur laquelle se
meuvent les protagonistes (et parfois dessous, d’ailleurs,
à l’image de l’inversion des valeurs – sinon
de la marche du monde), ou surtout la façon dont le
Tambour-Major semble se jouer de Wozzeck comme d’une marionnette,
métaphore évidente de ce personnage qui n’est
finalement que le pantin du hasard (que d’aucuns
préféreront appeler :
« destin »), voilà autant de trouvailles
expressives à la symbolique juste et sans outrances. On a
tellement vu de Wozzeck
surinterprétés, alourdis de thèses et
d’intentions, que l’épure proposée ici gagne
d’emblée l’adhésion.
Le résultat physique que Peter Mussbach obtient de ses chanteurs
est exceptionnel. On pourra, vocalement parlant, préférer
individuellement tel ou tel interprète remarqués dans des
versions antérieures, mais on reste pantois devant leurs
performances d’acteurs-chanteurs. L’émouvante Marie
de Kristine Ciesinski rachète aisément son
émission trémulante par une présence et une
humanité funambulesques. Dosant les émotions avec un sens
stupéfiant de l’équilibre, elle ne tombe jamais
dans la caricature (sensualité dont nous parlions plus haut,
rage devant le Tambour-Major, douceur maternelle avec son enfant,
remords crucifiants ensuite pour la repentante…) et rend
palpables les moindres oscillations de sa psychè. Le Wozzeck de
Dale Duesing est plus stupéfiant encore. Son incarnation vocale,
impeccable, est à la hauteur de son incarnation scénique.
Face à tous les personnages clownesques qui l’entourent
(dont le plus surprenant, dans le contexte, est peut-être ce
Capitaine en forme de Monsieur Loyal de Cirque – excellent Dieter
Bundschuh), il est bien le seul être
« visiblement » normal, mais c’est
justement cette normalité qui le fait se sentir étranger
parmi les siens, et finira par le pousser à devenir
étranger à soi-même à la fin. Il sait
traduire une inquiétude hallucinée sans sombrer lui non
plus dans la caricature, sauvant son personnage du blanc et noir (le
blanc dont il est vêtu, le noir de son existence) pour en faire
le héros touchant et complexe qu’il ne devrait jamais
cesser d’être. Mentions spéciales également
pour le Tambour-Major de Ronald Hamilton et le merveilleux Andres de
Barry Banks.
Sylvain Cambreling mène tout ce monde avec beaucoup de
précision, ciselant la partition avec davantage de clarté
que de poésie peut-être, mais il sait obtenir le meilleur
de ses chanteurs, qu’il semble mettre en confiance,
qualité inestimable pour ce genre de répertoire.
On s’étonne que les enfants ne soient pas
crédités au générique tant leur place est
importante dans cette scénographie.
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