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Der Zarewitsch
Adaptation filmée par Wolf Neuber & Arthur Maria Rabenalt
de l’opérette en trois actes de Bela Jenbach et Heinz Reichert.
Arrangement musical par Bert Grund de la partition de
Franz Lehár
Création de la version originale de F. Lehár : Berlin, Deutsche Künstlertheater, 21 février 1927
Der Zarewitsch : Wieslav Ochman
Sonja : Teresa Stratas
Iwan : Harald Juhnke
Mascha : Birke Bruck
Der Grossfürst : Paul Esser
Der Ministerpräsident : Lukas Amman
Symphonie-Orchester Kurt Graunke
Direction : Willy Mattes
Costumes : Irms Pauli,
décors : Otto Pischinger,
mise en scène : Arthur Maria Rabenalt
Sous-titres en allemand et anglais.
Notes et résumé de l’action par plages,
en anglais, allemand et français
Unitel Classica / DGG 00440 073 4314
Enregistré / Filmé à Berlin du 23 novembre au 22 décembre 1972.
Produit par Unitel Munich ©1973 ; publié en 1991 et 1996.
Une salade russe… édulcorée en plus
L’art de Franz Lehár possède plusieurs facettes, et la brillante et enjouée Die Lustige Witwe (La Veuve joyeuse, 1905) se fait parfois très sentimentale, comme Der Graf von Luxemburg (Le Comte de Luxembourg, 1909), Zigeunerliebe (Amour tzigane, 1910) et Eva
(1911) qui le sont de plus en plus. Les années 1920 voient cette
tendance se confirmer au point d’aboutir à de
véritables opérettes sérieuses, où seul un
couple de comiques apporte une touche d’insouciance. Il en va
ainsi de Paganini (1925), Friederike (Frédérique,1928) et bien sûr de Das Land des Lächelns (Le Pays du sourire, 1929).
Der Tzarewitsch
(1927) s’inscrit dans cette tendance, possédant en outre
la caractéristique d’offrir au ténor le premier
rôle. Précisément, en entendant Richard Tauber dans
Zigeunerliebe,
Franz Lehár fut frappé par la manière dont le
grand ténor allemand s’investissait en chantant sa
musique. Il souhaita rencontrer Tauber... qui ne lui cacha pas son
admiration pour Frasquita... En fait, dès qu’il put
chanter cette opérette créée en 1922, Tauber vola
la vedette à la cantatrice du rôle-titre ! La chaleur de
son timbre, son élan passionné mais caressant et
enjôleur fit délirer les public. Lehár lui
créa alors des rôles sur mesure, ayant soin d’y
prévoir un « Tauberlied »
c’est-à-dire un grand air pour Richard Tauber. Ainsi
naquirent les Paganini, Zarewitsch, Friederike, le tant
célébré Land des Lächelns, Schön ist die Welt ! (Le Monde est beau ! 1931) et enfin Giuditta,
créée en apothéose à l’Opéra
de Vienne, le 20 janvier 1934 et devant les micros radiophoniques de
cent-vingt pays.
L’opérette viennoise a souffert au XXe siècle de
coupables arrangements se permettant de recomposer les partitions de
grands maîtres du genres comme Carl Millöcker, Carl Michael
Ziehrer et même Johann Strauss, dont on osa retoucher Eine Nacht in Venedig.
On se demande encore comment les « arrangeurs »
ont pu trouver inepte l’orchestration brillante et mesurée
de ces Maîtres, et ne pas se rendre compte qu’il
imcomberait à leurs propres arrangements
d’apparaître un jour comme
« datés » ! En ce sens que leur
sonorité prétendue modernisée, non seulement
édulcore et affadit la partition, mais semble aujourd’hui
irrémédiablement datée, avec des effets musicaux
et un emploi d’instruments alors à la mode et trahissant
les années soixante. Le résultat est triste :
on ne peut plus aujourd’hui assister à
l’exécution de la partition originale, ni trouver un
enregistrement fidèle à celle-ci, de notamment Gasparone, ou de Gräfin Du Barry de Carl Millöcker.
En ce qui concerne Der Zarewitsch,
on pouvait le croire à l’abri de tout arrangement,
puisqu’il est né à une époque où
Franz Lehár avait intégré à ses
œuvres les rythmes nouveaux de fox trot, de tango… mais il
n’en est rien ! Cette version télévisée
fait tout de même subir un arrangement à la partition,
discret certes, mais dénaturant pourtant la délicate
orchestration de Franz Lehár. Des sonorités
édulcorées, « gommeuses », pour les
violons, retirent la théâtralité et la
dramatisation insufflées par Lehár à son
œuvre, réduite ici à une histoire sentimentale
à la guimauve. Des « retouches » se
permettent même des suppressions comme dans la conclusion
orchestrale de l’opérette. La séparation des amants
est inévitable et Sonia, demeurée seule après le
départ du tzarévitch, reprend son chant chaleureusement
mélancolique : « Warum hat jeder Frühling, ach, nur einen Mai !
(Hélas, pourquoi chaque printemps n’a-t-il qu’un
mois de mai !) ». Les sanglots lui brisent la voix et
l’orchestre continue délicatement, seul. C’est alors
que le hautbois fait une légère citation, presque
ironique, du thème de la révélation de leur amour
(Duo N°. 8). L’accord final typique de la manière de
Lehár vient ensuite tirer un trait, confirmant la fin, triste et
négative pour les sentiments : la raison
d’état triomphe. Brisant l’atmosphère voulue
par Lehár au moment de sceller son drame sentimental,
l’arrangeur a cru bon d’éliminer citation et accord
final.
On ne parlera pas des déplacements
d’un acte à l’autre (!) de certains numéros
de la partition. Le livret connaît également sa part de
transformation, comme ce transfert du lieu de l’idylle
vécue par le tzarévitch et bizarrement justifiée
dans le texte de la plaquette par Kenneth Chalmers (traduit par
Josée Begaud). On y décrit en effet le choix du metteur
en scène « d’envoyer les amants sur une
paisible île grecque hors du temps plutôt que dans un lieu
plus sophistiqué comme Naples, ainsi que le préconise le
livret. » Naples,
« sophistiqué » ?… et que
dirait le bon Franz Lehár en entendant la musique de couleur
locale grecque, composée par l’arrangeur,
se donnant ainsi l’occasion de rivaliser avec le Maestro si
délicat dans l’art de la peinture musicale ?
On assiste même à une inutile scène
présentant le tzar (n’apparaissant pas dans
l’opérette), même s’il est caché par le
dos du fauteuil, et intimant ses ordres avec une intransigeance
d’officier prussien.
Les décors ne manquent pas d’élégance ni
d’une stylisation de bon aloi, la manière de filmer adopte
évidemment les « poses »
cinématographiques impensables au théâtre
chanté (quoique les metteurs en scène
d’aujourd’hui…) et possible ici car tous ouvrent la
bouchent mais ne chantent évidemment pas.
Le jeu des acteurs de « Sprechrolle »,
rôles parlés, ne tombe pas dans le cliché que
n’évitent pas toujours les chanteurs, comme Teresa Stratas
ou même Wieslav Ochman, avec cette tendance à afficher un
éternel demi-sourire ironique, affectation un peu
acaçante voire ridicule.
Un jeu efficace ne saurait pourtant racheter la voix harmonieuse mais
de faibles proportions de Harald Juhnke, ou l’insupportable
raucité plus vulgaire que gouailleuse de Birke Bruck, formant le
« couple comique » faisant pendant au
« couple sérieux » Sonja-le
tsarévitch. Un couple vocalement intéressant car Wieslav
Ochman présente un timbre chaleureux et un chant stylé.
Teresa Stratas, quant à elle, semble à l’aise dans
l’opérette viennoise. Timbre vibrant et chant
nuancé font passer certains aigus un peu
« étranglés ».
Willy Mattes fait ce qu’il peut avec la fade orchestration
qu’il doit conduire et le parti pris de placer l’orchestre
bien en deçà des chanteurs, à la manière de
films avec chansons. Il est curieux de constater que l’on doit
aux mêmes chef et orchestre le meilleur enregistrement de
l’opérette, réalisé en 1968 avec le
somptueux tsarévitch de Nicolai Gedda.
Une adaptation filmée ne donnant pas l’idée de la création artistique de Franz Lehár.
Yonel BULDRINI
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