Roberto Alagna
un dossier proposé par Sylvain Fort

 
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Angela Gheorghiu et Roberto Alagna au Concert des Nobel


Roberto Alagna commente quelques-uns de ses enregistrements
 


Faire écouter ses propres disques à Roberto Alagna pouvait tenir de la gageure, tant est connue son insatisfaction à l’égard de nombre de ses enregistrements. L’autocritique est un exercice que le ténor pratique inlassablement, rigoureusement, en prenant garde de ne pas verser dans une stérile auto flagellation. Avec le temps, il est devenu plus clément à l’égard de nombre de ses interprétations discographiques. Mais il reste de l’examen impitoyable auquel il se soumet lui-même quelque chose d’absolument fascinant : la capacité, mesure après mesure, d’expliquer son intention interprétative, de jauger les moyens employés et d’évaluer le chemin parcouru depuis. Se prenant au jeu, il finit par choisir lui-même les plages, sautant de l’une à l’autre pour illustrer son propos. Une chose est claire : s’il s’en remet à son instinct, Alagna ne laisse aucun détail d’interprétation dans l’ombre. Tout est analysé, pesé, voulu. Il ferait un critique hors pair – mais on le préfère tout de même comme chanteur.


« Quando le sere » (Luisa Miller), dans Verdi, « Arias », dir. Claudio Abbado
« Ce qu’on entend ici est à la fois noir et léger. Je le ferais plus clair aujourd’hui. Un peu plus loin, les piani sont simplement une vibration du corps. Ce que je donne ici est finalement un personnage plus âgé qu’il ne devrait être, un peu trop compliqué. Il faudrait simplifier tout cela. La fin est d’une belle couleur. J’y ajouterais aujourd’hui un trille. »

« Deh vieni a la finestra » (Don Giovanni), dans Serenate, avec David et Frédérico Alagna.
« Pour imiter le son de la mandoline, nous avons glissé une paille dans les cordes de la guitare. Le but ici était de chanter cet air réellement comme une sérénade – les barytons-basses y vont souvent avec leurs gros sabots. J’aime bien cette expansion du chant, très simple. Là encore, je finirais avec plus de légèreté, en assombrissant moins la voix. »

« Nessun dorma » (Turandot), dans Nessun Dorma, dir. Mark Elder
« C’est l’air que s’est approprié Pavarotti. Un air qui lui va comme un gant, du reste, avec lequel il a conquis tous les suffrages. Il faut absolument éviter de lui ressembler, lorsqu’on chante cet air. Mon parti a été de donner une couleur plus poétique à ce passage finalement très évocateur. Nous avons fait deux prises dont nous étions très contents, et nous avons gardé les deux. La première version est très narrative : c’est la version de concert, en dehors, vocale. La seconde version tient davantage compte du contexte et campe le personnage. Je suis satisfait de l’espèce de dilatation de la voix qui se produit lors de cette montée progressive. Les couleurs qu’on y entend sont plus claires que dans le disque Verdi. C’est exactement à cela que je tends. »

« L’onde frémit, l’onde s’agite » (Lélio ou le Retour à la vie) dans « Berlioz », dir. Bertrand de Billy
« J’aime énormément la simplicité de cette mélodie, sa beauté pure. J’ai bien conscience qu’il y a quelque chose à faire du côté lied et mélodie, et je compte aller plus loin dans cette direction, très bientôt. Je n’ai pas peur du soutien pianistique : l’orchestre ne me manque pas, tout simplement parce que j’ai très longtemps chanté avec accompagnement de guitare ou de piano. La mélodie française a besoin d’une émission franche, presque d’opéra, qui reste sensible aux mots eux-mêmes. Ce que fait Depardieu dans cette mélodie est très intéressant. C’était assez nouveau pour lui, mais il a d’instinct saisi ce qu’il fallait faire. Depardieu est un pur instinctif : presque sans le vouloir, il trouve des accents, des expressions, qui me donnent le frisson. C’est son versant féminin, intuitif et immédiat. En tant que musicien, je suis particulièrement sensible au velours de sa voix, inimitable. »

« Mab, la messagère fluette et légère » (Béatrice et Bénédict), dans « Berlioz », dir. Bertrand de Billy
« Dans ce morceau, j’ai osé la plus complète simplicité. C’est ce que j’appelle ma « voix de vingt ans ». Exactement la fraîcheur et la jeunesse que je veux. Le timbre qu’on entend ici, on l’entend par intermittence dans d’autres disques, lorsque le personnage ou la situation le requièrent. C’est vers ce dépouillement et cette franchise absolue que je veux aller. »

« Du peuple et des soldats » (Les Troyens) dans « Berlioz », dir. Bertrand de Billy
« Après avoir écouté les deux morceaux précédents, il y a de quoi être étonné par cette vaillance. C’est ce que j’aime chez Berlioz : il est partout et nulle part, il sait tout faire mais reste inclassable. Je me reconnais beaucoup en lui. Nous sommes de la même race. »

Sylvain Fort

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