La bibliothèque du Teatro Donizetti de Bergame possède un
mystérieux livret en deux actes ainsi intitulé et attribué à Gaetano Donizetti,
en voici le résumé.
(Le livret en question ne présente pas d’indications de décor).
Acte premier
Introduzione. Deux choeurs alternent des sentiments opposés :
les vainqueurs guidés par Achille (ténor) et les malheureux vaincus qui pleurent
leur patrie perdue. Le roi Agamennone (baryton) demande à Achille quel prix
désire-t-il pour sa belle victoire et ce dernier choisit une esclave arménienne
qui n’est autre que la reine des vaincus. Dans le Terzetto qui s’ensuit, les
deux grecs sont subjugués par la belle Briseide (soprano) qui elle-même n’est
pas indifférente à Achille, tandis que le choeur des soldats la trouve digne de
leur héros. Taltibio (ténor) explique à Patroclo (basse) comme Agamennone
offensa le dieu Apollon en outrageant son prêtre, qui venait lui porter de
riches présents, en échange de sa fille Criseide prisonnière des Grecs.
Un conseil est maintenant réuni pour décider la réponse et
calmer la vengeance du dieu. Le choeur des capitaines grecs déclare que
Agamennone lui-même doit réparer l’outrage. Achille rappelle au roi que Criseide
était son esclave et qu’il la lui a enlevée mais Agamennone prend avec hauteur
les reproches d’Achille et un Duetto de défi s’engage bientôt entre eux. Seule
la fibre patriotique a raison de leur querelle qu’ils tentent d’étouffer.
Criseide (sop.) se souvient que Achille l’aima mais elle se désole d’être seule
et abandonnée de tous [Aria].
Le grand-prêtre Calcante (basse) et le choeur des capitaines
ordonnent à Agamennone de restituer Criseide à son père mais le roi se lamente
elle le console de son Ifigenia, sa fille bien-aimée et perdue... le choeur
demeure inflexible mais lui permet de choisir une autre esclave : Agamennone
cède enfin [Aria finale].
Acte second
Calcante se réjouit de la décision de Agamennone. Briseide ne
sait comment accueillir l’amour et la déférence d’Achille mais voici que
Patrocle annonce que le roi impose que les chefs grecs choisissent une esclave à
leur gré en échange de la libération de la jeune fille. Face au danger, Briseide
avoue enfin son amour à Achille [Duetto]. Après un double choeur soldats/jeunes
filles esclaves, un Terzetto rassemble les émotions des deux amoureux et de
Agamennone qui finit par annoncer son propre choix... Briseide! Achille tire
l’épée contre son chef mais Patrocle les arrête annonçant que les Troyens
marchent sur leur camp. Le choeur a beau presser Achille, offensé, il déclare ne
plus combattre pour les siens. Il pousse Briseide à rejoindre les siens : leur
amour résistera à cette épreuve... une ultime étreinte, ils se séparent [Duetto
finale].
Après avoir passé avec succès les derniers
examens, Donizetti se voit proposer, vers la fin de 1817, un poste fixe de
professeur de musique dans la ville d’Ancône. Mayr le presse d’accepter mais il
est pris par la pensée qu’une commande éventuelle l’empêcherait d’être à temps à
Ancône... une commande, à lui, compositeur inconnu ! L’argument, quelles qu’en
soient les possibilités de réalisation, montre bien la détermination du jeune
Donizetti : il veut écrire pour le théâtre et refuse la sécurité au profit de la
vie errante et hasardeuse du compositeur d’opéras.
Rentré à Bergame il stupéfie ses amis en
composant avec une incroyable rapidité de fort bons quatuors à la manière de
Haydn et de Beethoven. Les portes de la bonne société s’ouvrent et il se rend
avec Mayr chez les dilettantes bergamasques, avides de musiques de qualité.
Guglielmo Barblan attire également l’attention des “Donizettiens” sur
l’importante production de pièces diverses pour le piano qui remonte à cette
époque. On pense que l’une des dames à qui il dédiait ces morceaux lui aurait
évité le lourd souci de la conscription qui, dans ces régions jugulées par la
loi autrichienne, durait huit ans!
Lorsque mourut le marquis Terzi qui l’avait
accueilli à l’une de ces nombreuses soirées musicales, Donizetti lui consacra
son Quartetto No.7 in fa minore . Chacun des tempi comporte un titre que
la musique illustre : l’Agitatissimo initial : “Sa maladie, prière de
l’épouse et des enfants pour sa guérison” ; Adagio ma non troppo :
“Sa mort”, beau morceau de tristesse et de recueillement ; Presto :
“Désespoir de l’épouse” ; Maestoso : “Marche funèbre”.
Donizetti écrivit dix-huit quatuors à cette
époque et ils sont de plus en plus joués et enregistrés de nos jours car on n’a
pas uniquement exploré son importante production d’opéras. Pour William Ashbrook,
premier spécialiste américain de Donizetti, “Cette productivité extraordinaire
dans le domaine de la musique de chambre est sans précédent pour un compositeur
de sa génération dans une Italie où la plupart des compositeurs se consacraient
exclusivement au théâtre ou à la musique sacrée”. Il explique ce phénomène par
la tradition musicale de Bergame centrée autour de la musique sacrée et des
nombreuses “accademie” ou soirées musicales de dilettantes de haut niveau. Le
romancier français Charles Exbrayat connaissait peut-être cette tradition
lorsqu’il écrivit son curieux roman policier Le Quintette de Bergame ?
Le dix-neuvième et dernier
quatuor (Quartetto in mi minore ) date de 1836 alors qu’il avait derrière
lui une cinquantaine d’opéras. Il faut croire qu’il jugeait cette musique digne
de ses ouvrages lyriques puisque, six ans plus tard, écrivant pour Vienne sa
Linda di Chamounix, il utilisa le premier mouvement dans l’ouverture qu’il
voulait conforme à “l’aristocratique tradition instrumentale
viennoise”, souligne Guglielmo Barblan.
On connaît peu cette période de la vie de Gaetano qui va
pourtant aboutir à un événement important : sa première commande officielle.
Yonel Buldrini |