Des interprètes
de la création, on connaît les noms de Giovanni Battista Verger (Carlo), ? Amati
(Annetta), Vincenzo Botticelli (Magistrato) et Luigi Martinelli (Firman).
Sinfonia.
Cette longue ouverture (9’33) commence par un début magistral “fort curieux”,
selon le musicologue Fernando Battaglia, nous rappelant celui de La Gazza
ladra. Le thème qui suit a un parfum de menuet comme si on nous décrivait
deux facettes de souverain : la poudre à canon et la poudre des perruques ! Le
crescendo est un peu systématique mais il ne manque pas de chaleur en revanche,
et il conclut l’ouverture de manière sympathique.
Acte premier
Premier tableau
: Un bourg de Livonie. La façade du palais du magistrat ; c’est l’aube.
[Introduction]. Un choeur de chasseurs
parle du charme majeur des amours bucoliques et le menuisier Carlo Scavronski
(ténor) partage cet avis, d’autant que la servante Annetta Mazepa (soprano)
entre. Leurs tendres retrouvailles sont troublées par Firman, l’usurier (basse)
qui se déclare à Annetta. Un capitaine semble la défendre mais pour mieux la
courtiser en fait, Carlo saisit alors une hache et le capitaine tire son épée…
Madama Fritz, l’aubergiste (mezzo-sop.), les interrompt et déclare que son
auberge est un endroit respectable [Cavatina]. On entend des coups de fouets au
loin et la suite d’un personnage important survient mais c’est un couple
simplement vêtu qui fait son entrée : le tzar Pietro (basse) et l’impératrice
Caterina (sop.). Voyageant pourtant incognito, le tzar donne son sentiment quant
aux mérites d’un régnant [Cavatina]. Il demande à voir un certain menuisier qui
a la réputation d’être un homme d’honneur mais Carlo ne se laisse pas
impressionner et ne veut rien révéler de sa naissance, dont il ne sait pas grand
chose, avoue-t-il. Pietro est favorablement impressionné par l’esprit et le
courage du jeune menuisier mais le consigne à l’auberge, sous la surveillance du
capitaine. Restés seuls avec ce dernier et se tenant un peu à part, Carlo et
Madama Fritz en profitent pour commenter la situation. Elle lui fait remarquer
que sa morgue et cette façon de se déclarer gentilhomme à tout moment lui vaudra
des ennuis… Carlo acquiesce mais dit à mots couverts que ce n’est pas un délit
pour lui de se déclarer gentilhomme, d’ailleurs, s’il pouvait lui montrer un
écrit…un papier, une attestation…Il n’en dit pas plus car le capitaine
s’approche pour écouter et reçoit de lui la railleuse appellation de « Capitan
Spaccamontagne » (capitaine Cassemontagnes) ! Carlo demande à Mma. Fritz de
vendre ses outils de menuisier et d’en consigner la prix à Annetta. Il lui
glisse ensuite mystérieusement, précise la didascalie : « Ecoute… il faut
qu’elle se cache. / Elle est fille… Ah ! si tu savais… ». Il s’interrompt et
déclare ne pouvoir vivre séparé d’elle. [Scena].
Deuxième tableau
: Une pièce au rez-de-chaussée de l’auberge.
Un choeur de
paysans commente l’atmosphère d’agitation et de trouble qui fermente dans
l’auberge, mettant chacun de mauvaise humeur. C’est le cas du magistrat en toge
(basse bouffe) qui se demande pourquoi on a osé le déranger. Madama Fritz lui
explique la situation en chargeant l’arrogant inconnu et il reconnaît que
l’arrestation de Carlo est arbitraire. Il se propose de lire le code tout
entier, s’il le faut, mais de faire justice. Du reste, les deux femmes se
chargent de lui faire dire que l’on n’a pas à faire justice soi-même, comme le
prétend cet inconnu à peine arrivé…Et puis on n‘a rien à reprocher à Carlo, qui
voulait d’ailleurs offrir au magistrat huit bouteilles du meilleur « toccai » !
« Et l’on a osé l’arrêter ? » s’exclame alors le brave homme ! (Elles sortent)
[Scena].
Pietro entre, le magistrat se montre
respectueux mais ne s’en laisse pas conter… l’autre ne fait d’ailleurs que
répliquer : « Sì, signor… ». La morgue du tzar finit par agacer le magistrat qui
le somme de dire qui il est sinon il le fait arrêter. Tout change lorsque Pietro
lui montre l’ordre de Saint André déclarant qu’il est un proche du tzar, le
boyard Menzicoff. Il explique qu’il veut en savoir plus sur la naissance de
Carlo et commence à ne plus supporter le magistrat embarrassé qui ne sait plus
trop quoi faire !… [Scena e Duetto].
Annetta se lamente du sort de Carlo
avec Caterina et lui brosse son caractère, tandis que le capitaine espère le
voir exilé en Sibérie ! Se parlant à elle-même, la tzarine nous donne enfin un
renseignement : elle espère que le mystérieux Carlo n’est autre que Scavronski,
son frère disparu !
Restée seule, Annetta explique qu’elle
a eu le courage de survivre à son père, qu’elle supporte exil et pauvreté (autre
renseignement !) mais tout cela grâce à son bien-aimé : elle prie le ciel de le
laisser près d’elle, lui, l’espoir de sa vie ! [Aria].
Troisième tableau
: La salle du tribunal.
Le magistrat, les commissaires du
bourg, les assesseurs et le greffier prennent dignement place. Le choeur et le
magistrat débitent les formules consacrées, puis il invoque Astrée, fille de
Jupiter, afin qu’elle éclaire son esprit de décision. Pietro et Caterina
entrent, le magistrat dicte l’acte d’accusation à un greffier qui transcrit mal
et inverse tout : un jeune homme très honnête a fait emprisonner le juge
perfide ! Le greffier s’attire les foudres du magistrat, tandis que le chœur se
moque des hommes de loi : « A celui qui veut, dans les flux humains / naviguer
en sécurité, / les juristes et les hypocrites, / il convient d’abord de noyer. »
Pietro annonce le délit : le menuisier a provoqué un officier du tzar, faute qui
inquiète le bon magistrat… Carlo, aucunement impressionné, déclare se nommer
Carlo Scavronski, être âgé de vingt-sept ans, ne pas se connaître de famille,
mais se savoir gentilhomme... les quatre personnages expriment leur perplexité
dans un ensemble concertant [Larghetto del Finale I].
Annetta entre tristement ; le
magistrat condamne Carlo à la torture… mais Madama Fritz fait irruption avec des
papiers qu’elle a trouvés parmi les affaires que Carlo lui avait confiées.
Impatienté, le tzar saisit la feuille des mains du magistrat et lit à haute
voix (et sans chanter, ce qui fait toujours dramatique) : Carlo est le fils d’un
noble lithuanien mort au service de la Suède. Il avait une soeur qu’on a dit
morte dans le sac de Marienbourg ou peut-être réfugiée à la cour de Russie... La
tzarine doit s’asseoir sous le coup de l’émotion ; Pietro confie le jeune homme
au magistrat qui devra en répondre. La perplexité générale s’intensifie alors
que le rideau tombe [Stretta del Finale I].
Acte second
Premier tableau
: L’appartement du magistrat ; la nuit est avancée.
Ser Cuccupis, le magistrat ne sait que
faire de Carlo et les commissaires du bourg conseillent la prison. Madama Fritz
entre et, seule avec le magistrat tente de l’attendrir en rappelant un doux
passé dans lequel il n’était pas indifférent à… Passant au tutoiement (!), il
l’arrête et la prie de sortir… Madama Fritz va alors en appeler à la sensibilité
de celui qu’elle nomme avec un mélange d’affection et de malice : « Gentilissimo
togato :
Très aimable “togé” (!),
vous qui avez le cœur tendre :
ah! ne soyez pas aussi ingrat,
n’oubliez pas certains jours.
Le brave homme répond sur le même
ton :
A l’âge d’un demi-siècle,
en amour avec n’importe quelle femme,
je n’ai jamais été fortuné,
eh ! je ne pense pas à certains
jours. »
[Scena e Larghetto del Duetto].
D’abord inflexible, le magistrat
supporte de plus en plus mal les larmes que l’inconsolable Madama Fritz verse à
l’idée qu’elle ne verra plus Carlo…
Un bedeau porte un message annonçant
que le prince à fait mettre Carlo en liberté. Le magistrat est vexé de voir qu’
« Ils arrangent à leur manière / la peine et le pardon », n’est-il pas lui-même
le juge ! Madama Fritz jubile de savoir Carlo libre et raille même un peu le
juge : « Par ma foi, la Russie n’a pas / de héros plus grand que vous. » [Scena
e Stretta finale del Duetto].
Second
tableau : Une petite
pièce de l’auberge, conduisant à la chambre du tzar.
Pietro est
heureux d’avoir retrouvé le tant recherché frère de son épouse et pense avec
plaisir aux qualités de celui-ci qui correspondent à son propre idéal de
protection du riche comme du pauvre, du jeune comme du vieux et du paysan comme
du noble [Aria] ; il entre dans sa chambre.
Carlo survient,
encore un peu étonné d’avoir dû revêtir de riches habits, il finit par se dire
que mieux vaut laisser l’étranger se moquer un peu de lui, plutôt que supporter
les extravagances d’un « magistrat bizarre ». L’usurier Firman entre et
constate, à la vue de ces vêtements, qu’il est vraiment un noble personnage !
Il lui rapporte un certain collier d’Annetta mais en demande 50 roubles. Comme
Carlo ne les possède pas, l’usurier se permet d’être railleur jusqu’à
l’insolence mais Carlo le saisit au collet, quand survient le magistrat. Firman
est fort surpris de voir le magistrat prendre la défense d’un menuisier, et
d’ailleurs Carlo, lui-même étonné de la déférence de Ser Cuccupis, demande :
« Et qui suis-je, moi ? ». La réponse du magistrat est comique : « Je ne le
sais… mais vous êtes… quelque chose. ». Il souffle ensuite à l’oreille de
l’usurier que Carlo est un seigneur et que le tzar en personne va arriver à
l’auberge... ils se retirent après force révérences, laissant Carlo stupéfait :
« Ou je rêve, ou ils sont tous fous. » [Scena].
Pietro présente
à Caterina son frère Carlo qui peine à le croire mais finit par se laisser aller
à ce bonheur si émouvant [Scena ed Aria].
A ce point du
livret proposé par la Garzanti, on passe curieusement sans indication de sortie
de personnages, à la scène suivante (VII), présentant uniquement Mad.a Fritz et
Annetta. Les deux femmes s’entretiennent du rang de Carlo et Madama Fritz
conçoit quelques soucis quant à l’union prévue avec la pauvre servante… Annetta
reste confiante car la richesse ne peut changer le cœur de son bien-aimé. De
fait, Carlo revient avec les autres et présente Annetta comme son épouse
reconnue et acceptée par sa sœur et son beau-frère ! Avant de partir pour Saint
Pétersbourg, Carlo obtient de Pietro que le tzar (!) ne voie jamais Annetta car
son père trahit autrefois la Russie... Pietro finit par comprendre qu’il s’agit
de Mazeppa ayant épousé la cause du roi de Suède. Ce coup de théâtre pétrifie
les personnages en scène qui vont tous exprimer leur perplexité [Larghetto del
Sestetto]. Ce premier mouvement de l’ensemble concertant a été choisi par Opera
Rara pour son anthologie et l’on peut entendre l’efficacité du morceau, bien
construit dans son alternance de passages à l’unisson et de moments où une ou
plusieurs voix solistes se détachent.
Le magistrat
veut envoyer Annetta en Sibérie à la place de son père, Pietro dit pardonner au
coupable mais non au traître ! (Il pourrait d’ailleurs se trahir en parlant
ainsi à la première personne). Il se calme, apprenant que Mazeppa n’est plus et
déclare qu’il sera alors le père d’Annetta : tant de magnanimité étonne tout le
monde [Scena e Stretta del Sestetto].
Afin de
préparer le voyage, Caterina fait appeler le capitaine qui, selon Carlo, « donne
en vain l’assaut aux jeunes filles plutôt qu’aux forteresses ! ». Annetta
rayonne de bonheur [Aria].
Les mouvements
de soldats et de domestiques indiqués à partir de ce moment pourraient laisser à
penser que le décor a changé et que ce déploiement de personnages ne se trouve
pas dans la « petite pièce de l’auberge » du second tableau, mais la
didascalie de la scène X ne le précise pas. En revanche, lorsque le magistrat
apprend la nouvelle, une didascalie précise :« (Il entre dans son palais) »,
tendant à prouver que le décor est une maintenant une place du bourg.
Au fait, quelle
est cette nouvelle révélée par le capitaine ? C’est un secret, bien sûr, mais
le magistrat se fait fort de l’obtenir… en rassurant le capitaine :
« Eh, allons ! Un Ser Cuccuppis ne
parle pas.
Bien que le monde, qui parle mal de
chacun,
et fait souvent des jugements
téméraires,
dise que je suis un bavard rengorgé et
colporteur.
Mais je suis qui je suis ; un
gentilhomme empirique. »
Savoureuse
expression, que ce « gentiluomo empirico », pleine de sagesse et d’une
légitime indulgence personnelle ! Et le secret ? Le capitaine lui souffle
donc, en confidence, que Menzicoff n’est autre que Pietro, il Grande : le tzar !
D’où la
stupéfaction du magistrat qui court cacher sa gêne dans son palais : « Santi
Numi del cielo sto fresco adesso ! », s’exclame-t-il, invoquant les « Saints
Dieux du ciel », avec la plaisante expression familière de « stare fresco »,
littéralement « être frais », c’est-à-dire : « je suis à présent dans de beaux
draps ! ».
Madama Fritz
est partagée entre la joie de voir Carlo heureux et la tristesse que va lui
causer son départ [Cavatina dell’Aria]. Carlo est triste également car il est
très attaché à celle qu’il nomme sa « bienfaitrice », son « amie généreuse » et
il lui propose de les accompagner mais Madama Fritz répond : « Mon cœur vient
avec vous, / la douleur reste avec moi. ». Finalement, face à l’affliction du
généreux Carlo, la magnanime Fritz se ressaisit avec courage : « Que la
tristesse soit désormais bannie / et que triomphe l’amitié ! » [Scena e
Cabaletta dell’Aria con Coro].
Elle apprend
ensuite avec une belle stupéfaction que la pompe du départ concerne... le tzar
! Celui-ci entre avec toute sa suite et le magistrat commence un compliment
mais s’embrouille dans les métaphores… Le tzar l’interrompt bientôt, désirant
fixer le sort du magistrat… qui donc se voit déjà ministre ! C’est toutefois un
autre sort qui l’attend, car apprenant qu’il possède suffisamment de biens pour
vivre, le tzar lui retire sa charge et le condamne à payer mille roubles aux
habitants en compensation des torts qu’ils ont pu subir. Le tzar réunit fiancés,
et frère et soeur, sous l’émotion de Madama Fritz, l’embarras de l’ex-magistrat
et les vivats de la foule [Ensemble final].
On sait peu de choses sur la création
de Le Nozze in villa par la compagnie Zancla à Mantoue, lors de
la saison de carnaval 1820-21. On a vu en son temps que le livret et la
partition autographe n’ont pas été retrouvés à ce jour, mais on ne possède pas
non plus un quelconque article de presse qui mentionne l’accueil de l’opéra.
Seul nous reste le souvenir de Merelli qui raconte dans l’ouvrage cité plus
haut : « malgré beaucoup de morceaux réussis, l’œuvre ne tint pas, à cause des
caprices et de la mauvaise volonté des artistes exécutants et particulièrement
de la primadonna », cette même Fanny Eckerlin créatrice du rôle-titre de
Enrico di Borgogna. W. Ashbrook émet la possibilité qu’elle aurait pu être
mécontente de son contrat avec Zancla plutôt que de sa partie musicale, et du
reste, l’affectueux donizettien américain (W. Ashbrook) conclut justement que
même si l’accueil du public fut tiède, cela n’empêcha pas l’opéra d’être monté à
Gênes, au début de l’année 1822, sous le titre I Provinciali ossia Le Nozze
in villa.
La riche correspondance de Donizetti,
assemblée avec dévotion par un donizettien de la première heure,
nous révèle trois lettres de tractations avec Giovanni Paterni, impresario du
Teatro Argentina de Rome. W. Ashbrook pense que ce dernier se serait adressé à
un Mayr trop heureux de se retirer au profit de son protégé. Guglielmo Barblan
ne va pas jusque-là mais ne dissimule pas qu’il devrait y avoir du Mayr
là-dessous ! En tout cas, voilà notre Gaetano muni d’une lettre de
recommandation, d’un passeport pour les états du pape... et de sa partition
nouvelle, s’envolant tel le « hibou solitaire » pour la Ville éternelle.
Yonel Buldrini |