Forum Opéra LE MAGAZINE DE L'OPÉRA ET DU MONDE LYRIQUE
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L'édito...
sylvain fort
janvier 2007 |
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La musique, encore
La vie contemporaine exclut toujours davantage ce qui pourrait ressembler à un rythme naturel de l’existence. Les nécessités de la survie en milieu urbain, les impératifs du travail salarié, l’éparpillement du quotidien en tâches menues, secondaires, souvent ingrates, l’épuisement mental généré par les médias et la dépression ambiante s’échinent conjointement à démontrer la vacuité de toute chose – et nous privent de jalons stables, de ces points lumineux qui à travers le temps nous rallient et nous apaisent. Erratique, la réalité nous fuit. Nous fuyons avec elle. Et pourtant, il n’est pas un de nous qui ne se surprenne, en ces temps de pivot d’année à passer en revue la foule soudain mise en ordre des tâches accomplies et des occasions manquées ; à émettre des souhaits, à se fixer des devoirs. Nous recueillons au creux de la main un peu de ce temps perdu, et nous nous y mirons. Las, ces moments de retour prennent trop souvent la forme d’un exercice aride. Chacun se fait le commissaire aux comptes de soi-même, dégageant pour l’année n+1 des perspectives de croissance et des choix stratégiques nécessaires. Nous ne saurions, pour notre part, aborder cette année encore neuve dans cet esprit comptable ni même avec ce petit relent d’égotisme qu’on appelle les bonnes résolutions, toujours si profondément pétries d’autosatisfaction jusque dans la minuscule autoflagellation qu’elles ne manquent pas d’infliger. Bien plutôt nous semble opportun de remercier ce qui nous a aidé, en 2006, à survivre encore aux assauts toujours plus inévitables de la maladie, de la mort et de la bêtise à front de taureau. Au cœur de ces contrepoisons, chacun placera la simple et souhaitable félicité d’une tendresse partagée – qu’il est devenu presque plus obscène de mentionner que le récent visionnage de quelque ordure rencontrée au détour d’internet (pendaison, éviscération, viol collectif…). Puis, cette année encore, la musique nous aura mainte fois sauvé. Elargissant la vie, ouvrant des lointains de beauté, apaisant les fièvres, ridiculisant les égratignures, exhaussant l’être, la musique – mais comme toujours, et depuis si longtemps – aura prouvé qu’elle ne résiste pas seulement au temps : elle résiste à ce qu’en nous le temps prétend défaire. Dans quelque heure d’ombre aura surgi la consolation légère et profonde d’une sonate, la brûlante présence d’un quatuor, l’essor incomparable d’un lied ou d’une aria. Sur ce site éclatent parfois un humour féroce, une ironie cinglante. Certains pensent que nous valons même pour cela seul. Je dirais au contraire que nous valons par cela seul qui nous rend ironiques : la connaissance juste de ce qui mérite qu’on s’y arrête, le respect de ceux qui rendent vivants les chefs-d’œuvre au lieu de les défigurer, l’enthousiasme pour ce qui ravit l’âme. Nous recourons à l’ironie faute de pouvoir administrer des gifles : castigat ridendo mores. Combien nous préférons épargner nos réserves de vitriol et entonner des chœurs de louanges extatiques ! A quelle tendance nous portera l’année nouvelle ? Impossible à dire. Mais nous solliciterons encore toutes nos réserves de verve, de dérision et d’amour de la musique pour chasser loin de nous ce que tant de monde cherche à injecter dans les veines de nos frères contemporains, et dans les nôtres, la forme la plus mortifère de venin, la manière la plus sûre de tuer les âmes : le dégoût. Belle année à tous.
Sylvain Fort |
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