Hector Berlioz
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Berlioz
Les Troyens :
malentendu et paradoxe

discographie

par Catherine Scholler


(Photo : Placido Domingo en Enée des Troyens
au Metropolitan Opera New York, 1983)



LES TROYENS : malentendu et paradoxe
" Comme son héroïque homonyme Hector, Berlioz a péri sous les murs de Troie "
Charles Gounod
Berlioz, compositeur incompris, Berlioz, artiste maudit ? L'iconographie n'est pas neuve, et peut-être pas tout à fait juste, faussée en tout premier lieu par les propres écrits du compositeur, ses mémoires, où il avertit pourtant le lecteur : "je ne dirai que ce qu'il me plaira de dire".

Examinons brièvement certains faits bruts qui jalonnent la carrière d'Hector Berlioz : 

1830 : prix de Rome.

1837 : reçoit sa première commande d'Etat, le Requiem, qui sera un éclatant succès.

1839 : conservateur adjoint de la bibliothèque du Conservatoire - immense succès de Roméo et Juliette - reçoit la légion d'honneur (il n'a que trente-six ans).

1840 : nouvelle commande d'état, la symphonie funèbre et triomphale pour le dixième anniversaire de la révolution de 1830 - invention des "festivals", terme créé pour désigner un concert de très grande envergure (aussi appelé monstre), spectaculaire par le nombre d'exécutants et le vaste public. Ces festivals, véritables évènements, perdureront une décennie.

1842 : chargé par le gouvernement français de dresser un rapport sur l'état de la musique en Allemagne.

1843 : devient une autorité mondialement reconnue sur les questions d'instrumentation grâce à son "grand traité d'instrumentation et d'orchestration moderne".

1844 : nouvelle commande officielle, L'Hymne à la France pour l'Exposition de l'Industrie française (plus de mille musiciens, huit mille spectateurs) - Succès du Carnaval Romain.

1850 : bibliothécaire en chef au Conservatoire.

1851 : juré dans la section des instruments de musique à l'Exposition Universelle de Londres.

1854 : formidable succès de L'Enfance du Christ.

1855 : Te Deum à l'Exposition Universelle - sur commande impériale, prépare les cérémonies de clôture et de distribution des prix de l'Exposition.

1856 : entre à l'Institut (il est vrai que c'est sa quatrième candidature !).

1864 : promu officier de la Légion d'honneur.

1869 : funérailles officielles.
 

Bien sûr, ces quelques faits ne disent pas les attentes, les frustrations, les échecs, le manque d'argent, car peu de ces honneurs ont été rémunérateurs. Mais ils atténuent une légende, en partie forgée par Berlioz lui-même : c'était en réalité un homme célèbre, bénéficiant d'appuis politiques, un compositeur officiel de la royauté, qui a obtenu des succès, a été joué régulièrement, et qui n'est pas mort inconnu et dans la misère. Son travail de journaliste lui a en outre permis de porter ses idées auprès d'un vaste public et d'acquérir une influence certaine.

Il est cependant une chose dans laquelle Berlioz a totalement échoué de son vivant : la carrière de compositeur d'opéra. Et c'est là un échec important, car l'opéra était pour un compositeur du XIX° siècle l'unique moyen de réussite, à la fois sociale et financière.

Et qui dit réussir à l'opéra en France dit réussir à Paris. Même les compositeurs étrangers ont été fascinés par la capitale : Gluck, Rossini, Donizetti, Bellini, Meyerbeer, Verdi, Wagner ont considéré Paris comme le lieu de la consécration, et ont cherché à adapter leur art au goût français.
Il existe, en cette seconde moitié du XIX° siècle, quatre lieux pour le mélomane parisien. 

Tout d'abord, l'Académie de musique, où les temps ont bien changé depuis l'invention du Grand Opéra, trente-cinq ans avant la création des Troyens. Cette institution sclérosée vit sur ses anciens succès et ne se renouvelle pas. On y crée peu de nouveautés, les spectacles sont principalement constitués de reprises, car son public, bourgeois, conservateur et replié sur lui-même, estime que les seuls chefs d'oeuvre sont ceux que le temps a consacré.

Assister à un opéra constitue un acte social : les motivations de l'auditoire sont souvent fort éloignées de la musique, qui devient toile de fond à diverses activités : paraître, rencontrer des amis, protéger une danseuse. Quand on se préoccupe de musique, c'est pour y retrouver une mélodie déjà connue, comparer des interprétations d'une saison à l'autre. Laissons la parole à Berlioz, dans le Journal des débats :
" [...] pour l'immense majorité des habitués de l'Opéra, ce n'est ni pour la pièce ni pour la musique qu'ils viennent à ce théâtre, mais pour les accessoires seulement ; et quant au reste qui croit aimer dans un opéra l'opéra lui-même, ce n'est pas le beau qui lui convient, ce n'est pas le mauvais non plus, c'est le médiocre, c'est ce qui lui ressemble. "
" Quant au théâtre de l'Opéra, on y donne toujours de temps en temps La Favorite et les autres chefs-d'oeuvre de l'immortel répertoire ; on a tort quand on lui reproche de ne rien donner de nouveau, il a donné sa démission".

C'est pourtant à l'Académie de musique que Berlioz destine ses Troyens : vastes proportions, grands effets scéniques, découpage en cinq actes, ballet... aucun doute n'est permis. Mais cet endroit est un milieu fermé, réservé aux sommités, telles que Meyerbeer. Les différents efforts que Berlioz déploie de 1858 à 1863 pour intéresser l'Empereur et l'Impératrice à sa partition et donc pour la faire jouer à l'Opéra, n'ont pas de résultat. En 1859, Berlioz tente une nouvelle fois de placer ses Troyens alors que Wagner veut faire représenter Tristan. Mais le directeur de l'Opéra ne peut se permettre de monter deux oeuvres novatrices qui, soit provoqueront un scandale, soit tomberont dans l'indifférence, et dans les deux cas lui feront perdre de l'argent. Et c'est à Tristan qu'ira sa préférence.

Le deuxième endroit est l'Opéra Comique : tout ce qui vient d'être dit à propos de l'Académie de musique peut se répéter ici. Remplaçons le nom de Meyerbeer par celui d'Auber, et nous retrouvons une situation identique. La seule différence est qu'on y joue une musique plus légère. Les Troyens ne sont pas destinés à une telle salle.

En troisième lieu, le Théâtre Italien, entièrement consacré au répertoire italien, et dont le public de dilettanti ne s'intéresse pas à la création française.

C'est pourquoi, en 1851, la création du Théâtre Lyrique apporte une salutaire bouffée d'air frais dans une vie musicale parisienne sclérosée, victime du conservatisme et de l'académisme. Son répertoire, défini par arrêté, se compose de traductions d'ouvrages étrangers (Mozart et Weber), d'adaptations d'oeuvres anciennes (Grétry) et d'opéras contemporains, parmi lesquels, obligatoirement, un premier opéra d'un prix de Rome. Il s'agit donc de l'unique salle soucieuse de proposer un répertoire nouveau, original et de qualité. Son directeur, Léon Carvalho, est un homme de scène, et c'est lui qui donnera leur chance à Gounod et Bizet.
C'est donc faute de mieux que Berlioz s'oriente vers le Théâtre Lyrique pour monter ses Troyens. 

Léon Carvalho était un homme pratique. Bien que désirant impressionner avec ses mises en scène, il savait qu'il ne pouvait pas rivaliser avec le grand opéra, qui bénéficiait de moyens techniques et financiers bien plus considérables. Il promit tout d'abord de monter l'intégralité des Troyens, mais ne put finalement en donner qu'une partie. Berlioz divisa alors sa partition (un dépeçage, selon ses propres termes) : les deux premiers actes devinrent La prise de Troie, et seuls les trois derniers actes, agrémentés d'un prélude, devenus Les Troyens à Carthage, furent représentés le 4 novembre 1863. La chasse royale fut en outre supprimée après la première représentation. L'oeuvre ne fut jamais représentée dans son intégralité du vivant de Berlioz.

Tout mélomane moderne remercie Léon Carvalho, tout en le maudissant : sans lui, par exemple, Les contes d'Hoffmann n'auraient jamais vu le jour, mais sans sa détestable habitude de retoucher les partitions pour les adapter aux moyens de son théâtre, ils auraient pu nous parvenir dans une version complète. De la même façon, le directeur du Théâtre Lyrique révisa la partition des Troyens à Carthage, et la consternation gagna le compositeur.

Laissons de nouveau la parole à Berlioz. Voici ce qu'il a noté sur le manuscrit des Troyens à Carthage : "Avis pour l'intermède : dans le cas où le théâtre ne serait pas assez vaste pour permettre une mise en scène animée et grandiose de cet intermède, si l'on ne pouvait obtenir des choristes femmes de parcourir la scène les chevaux épars, et des choristes hommes costumés en Faunes et en Satyres de se livrer à de grotesques gambades en criant : Italie ! si les pompiers avaient peur du feu, les machinistes peur de l'eau, le directeur peur de tout, et surtout si l'on ne pouvait faire rapidement le changement de décors avant le 3ème acte, on devrait supprimer cette symphonie". L'air et le duo Anna-Narbal sont supprimés "sans tenir compte de la logique de l'action, des explications nécessaires que cette scène contient et de la forme nouvelle du duo. On trouvait que cela produisait ce qu'on appelle un froid en argot théâtral". Les strophes d'Iopas sont écartées "parce qu'on n'avait pas un ténor doux capable de bien chanter ce morceau. [...] J'oubliais de dire qu'on peut encore [...] supprimer le duo des soldats, dont la familiarité un peu grossière produit un contraste si tranché avec le chant mélancolique du matelot qui le précède et l'air passionné d'Enée qui le suit. On a trouvé en France que le mélange du genre tragique et du genre comique était dangereux et même insupportable au théâtre, comme si l'opéra Don Giovanni n'était pas un admirable exemple du bon effet produit par ce mélange [...] J'indique donc encore cette coupure en songeant au bonheur qu'éprouvent les directeurs, acteurs, et chefs d'orchestre, pompiers, machinistes, et lampistes, à insulter un auteur et à dégrader son oeuvre ; je serai fâché de ne pas faciliter autant qu'il est en moi la satisfaction d'aussi nobles instincts. "
La déception fut rude, même si, avouons-le, Berlioz rêvait d'un grandiose irréalisable, et si le mélomane moderne reste sceptique sur l'effet visuel de choristes féminines aux cheveux épars !

Mais l'épreuve n'était pas encore finie, car si Berlioz obtint un succès d'estime auprès d'une bonne partie de ses confrères critiques, il lui en fallut supporter certaines, dont voici quelques exemples :

Léon Escudier : "Et maintenant, un conseil au maître. Il a un grand nom, il a le talent, la science, l'expérience, il manie l'orchestre comme peu de nos compositeurs [...], il connaît au plus haut degré la puissance et les ressources de la voix, il sait enfin ce qui plaît au public, ce qui le charme, ce qui l'entraîne et le transporte, [...] qu'il choisisse, à l'avenir, des sujets vivants, où la passion domine, qu'il fasse une large part à la mélodie. "
Nestor Roqueplan : "les vers des Troyens sont comme tout le monde aurait pu les faire ; la pièce est comme personne ne voudrait l'avoir faite "

Charles Desolme : "nous sommes très convaincus que si l'affiche eût annoncé en termes précis cette scène muette (la chasse royale), l'impression eût été ce qu'elle devrait être, c'est à dire tout à fait favorable "
Etc.
L'opéra disparut de l'affiche après vingt et une représentations.

La musique lyrique de Berlioz, contrairement à sa musique symphonique, ne plaisait pas au public. On la déclarait incompréhensible ou inexécutable ; on accusait le compositeur de détruire les formes musicales, de faire de la musique sans mélodie, de n'avoir composé qu'un interminable et assommant récitatif...et c'est là que se situe le malentendu.

Le public de l'opéra, léger et conservateur comme on l'a vu, venait au théâtre comme on va de nos jours au cinéma : pour se divertir. Il réclamait de la musique agréable, une mélodie plaisante et facile à retenir. Son absence dans la partie vocale se comprenait comme une absence de forme tout court, personne ne pensant à la débusquer à l'orchestre. L'opéra français de cette période ne cherchait pas le sublime, ni même le Beau, pas plus que la profondeur de l'expression, mais se portait sur ce qui est divertissant, léger, ou encore capable d'impressionner (scènes infernales).

Face à ce public traditionaliste, le compositeur désireux de réussir devait concevoir un produit efficace plus qu'une oeuvre d'art, troquer ses prétentions esthétiques contre des prétentions sociales. Nous sommes déjà en plein marketing ! C'est ainsi que l'élément le plus marquant de l'école française de cette époque sera la volonté de satisfaire à n'importe quel prix le goût du public. Auber, Meyerbeer, Halévy, Gounod, Massenet, tous se soumettront plus ou moins à cette loi. Seul récalcitrant, Berlioz paiera son indépendance de sa carrière : acharné à construire son oeuvre en dehors des conventions, isolé par sa singularité, il sera considéré comme un original, un excentrique entouré d'une aura romantique.

C'est ainsi que la rencontre n'aura jamais lieu entre Berlioz compositeur d'opéra et son auditoire : ses contemporains ne verront en lui qu'un symphoniste, un créateur d'événements, un journaliste et critique, un spécialiste de l'instrumentation, en aucun cas un musicien lyrique.

Berlioz représente donc, du moins en ce qui concerne l'opéra, à la fois l'échec de l'originalité et le refus des concessions et des compromissions face à la pesanteur des institutions. Le paradoxe est qu'en fait de novation, sa musique se réclame de Gluck, Spontini, Le Sueur, de la même façon que sa poésie se réclame du classicisme, comme en témoigne le livret des Troyens : alexandrins avec césure à l'hémistiche, inversions, périphrases, archaïsmes parsemant le texte (fer pour épée, coeur pour courage, etc.) : autant de procédés du théâtre classique. Ses références sont d'un certain traditionalisme, mais dont les auteurs avaient cessé d'être familiers au public. Les Troyens étaient tout simplement le dernier héritier de la grande tradition française de la déclamation, venant tout droit de la Tragédie Lyrique.

Catherine Scholler

DISCOGRAPHIE des TROYENS

Enée : Jon Vickers
Didon : Josephine Veasey
Cassandre : Berit Lindholm
Chorèbe : Peter Glossop
Anna : Heather Begg
Narbal : Roger Soyer
Ascagne : Anna Howells

Chorus and orchestra of the Royal Opera House Covent Garden
Sir Colin Davis

4 CD Philips


Nous connaissons tous l'intégrale des opéras de Berlioz par Colin Davis, encore considéré de nos jours comme la référence absolue, et à juste titre. A noter que Béatrice et Bénédict, Benvenuto Cellini et Les Troyens sont dorénavant regroupés dans un coffret à prix réduit, qui est un investissement absolument indispensable.

Cette version des Troyens est donc "indétrônable" depuis 1969, et la vedette de cet enregistrement, c'est l'orchestre, sous la direction colorée de Colin Davis. Comme il s'agit d'une archi-intégrale, les morceaux orchestraux, danses, pantomimes, etc., sont nombreux, on ne va pas s'en plaindre. Tout au plus peut-on reprocher à Colin Davis une dévotion excessive qui statufie un peu l'oeuvre.

Berit Lindholm est une Didon farouche, la stature un peu trop marmoréenne, la pose un rien trop hiératique, et le français, par trop exotique. Le Chorèbe de Peter Glossop n'intéresse pas vraiment, et on le sent handicapé par la langue française. Nous entendrons bien mieux par la suite.

Jon Vickers est le plus vaillant et le plus viril des Enée, un véritable guerrier, fait pour la guerre et le sang. C'est formidable aux premiers et cinquièmes actes, ça l'est un peu moins pendant le duo d'amour, d'autant plus que sa voix et celle de Josephine Veasey ne fusionnent jamais vraiment.

Roger Soyer est somptueux, que ce soit en ombre d'Hector ou en Narbal. Anna Howells sonne trop mûre pour le juvénile Ascagne.


Enée : Nicolai Gedda
Didon : Shirley Verret
Cassandre : Marylin Horne
Chorèbe : Robert Massard
Anna : Giovanna Fioroni
Narbal : Boris Carmeli
Ascagne : Rosina Cavicchioli

Orchestra e coro di Roma della RAI
Georges Prêtre

3 CD Melodram


Autant dans la version précédente, l'orchestre tenait la vedette, autant dans celle-ci, live de Rome du 30 mai 1969, ce sont les quatre principaux chanteurs qui retiennent l'attention. La direction de Georges Prêtre est bien loin de démériter, au contraire, mais cette distribution de rêve emporte tout sur son passage !

Tout d'abord une Didon somptueuse, dont la sensualité à fleur de peau donne le frisson. Dès que Shirley Verret prononce son "Cher tyriens" d'entrée, on est hypnotisé, envoûté, piégé par ce timbre de miel. Et son cri de bête blessée lors du départ d'Enée provoque une décharge électrique ! 

Nicolai Gedda possède toutes les qualités de Jon Vickers, avec l'atout supplémentaire d'un beau timbre, et après un quintette "Tout conspire", déjà d'une sensualité à couper le souffle, les deux chanteurs nous offrent un duo d'amour, qui est carrément une invite à la copulation immédiate !

Marylin Horne, totalement à l'inverse de Lindholm, dessine une toute jeune fille amoureuse et épouvantée de ses prémonitions. Il faut avoir entendu la façon rêveuse qu'elle a de prononcer le nom de Chorèbe, et son cri à la vision de son amant tué. Amant chanté par l'immense Robert Massard : beauté du timbre, de la diction, intelligence du personnage...que ne donnerait-on pas pour être Cassandre ! Le duo Cassandre - Chorèbe est anthologique, formidable de désespoir, de tendresse et de passion contenue.

Mis à part Veriano Luchetti, lui aussi splendide en Iopas, les autres interprètes sont des seconds couteaux italiens, que le miracle des chanteurs principaux et de la direction de Georges Prêtre porte à se surpasser.

Toutefois, cet enregistrement ne peut pas être considéré comme une référence. D'abord parce qu'il s'agit d'un live circulant sur le marché parallèle, ensuite parce qu'il manque une cinquantaine de minutes de musique instrumentale. Au risque de me faire traiter de mécréante, je dirais que pour une interprétation de cette qualité, c'est péché véniel s'il manque ici ou là le combat de ceste, les entrées de constructeurs, matelots et laboureurs, les danses d'esclaves, c'est un peu plus grave pour la disparition de la chasse royale. Mais, tout le monde l'aura compris, il s'agit de ma version, ma référence personnelle. De très loin, la plus excitante.


Enée : Gary Lakes
Didon : Françoise Pollet
Cassandre : Deborah Voigt
Chorèbe : Gino Quilico
Anna : Hélène Perraguin
Narbal : Jean-Philippe Courtis
Ascagne : Catherine Dubosc

Choeurs de l'orchestre symphonique de Montréal
Orchestre symphonique de Montréal
Charles Dutoit

4 CD Decca


Et voici la version moderne que les mélomanes attendaient...et une énorme déception. Pourtant, sur le papier, tout était parfait : les chanteurs ont les moyens de leurs rôles, leur diction est parfaite, l'oeuvre est tellement prise au sérieux que Charles Dutoit a même ajouté une scène supprimée par Berlioz en 1861 (celle de Sinon, l'espion) et le prélude composé pour pouvoir donner séparément Les Troyens à Carthage... mais de tout ceci, rien ne fonctionne.

L'orchestre sonne trop affecté, plein d'intentions, et sans mystère aucun. Cassandre, au timbre de miel, minaude et n'habite pas son personnage, pourtant l'un des plus hallucinés de l'histoire de l'opéra : Deborah Voigt pourrait aussi bien lire le journal à haute voix, le résultat serait le même. Gino Quilico, son Chorèbe, est loin d'avoir l'étoffe d'un Robert Massard. Le timbre - vraiment affreux - de Gary Lakes ferait passer celui de Jon Vickers pour un modèle de beauté, la Didon de Françoise Pollet manque de la plus élémentaire sensualité. On sent pourtant que tous ces chanteurs ont travaillé et donnent le meilleur d'eux-mêmes, mais l'émotion ne passe pas, tout sonne glacé et sans vie. On s'ennuie ferme, sans avoir rien de précis à reprocher aux interprètes.

Rien à sauver donc ? Si. Le splendide Hylas de John-Mark Ainsley. C'est peu pour justifier l'achat d'un coffret de ce prix.

Cette vitrine sans âme est une occasion manquée, tant pis, on s'en remettra.


Enée : Ben Heppner
Didon : Michelle de Young
Cassandre : Petra Lang
Chorèbe : Peter Mattei
Anna : Hélène Perraguin
Narbal : Stephen Milling
Ascagne : Isabelle Cals

London Symphony Orchestra
Colin Davis

4 CD LSO 0010


Petit dernier qui vient juste d'arriver en France, voici un écho de représentations données au Barbican de Londres en décembre 2000, de nouveau sous la direction de Colin Davis, enregistrement autoproduit par le London Symphony Orchestra qui crée à cette occasion son propre label, LSO live.

Plus de trente ans après, donc, le chef se confronte à lui-même. Sa conception de l'oeuvre ayant finalement peu varié, on retrouve une direction toujours aussi flamboyante et passionnée. Colin Davis pousse la fidélité à lui-même au point de choisir la version intégrale...mais sans la scène de Sinon, qui reste à jamais l'apanage de Charles Dutoit. Le fait qu'il s'agisse d'une captation live n'est pas particulièrement sensible, ni en bien, ni en mal.

La distribution est dominée par le splendide Ben Heppner, qui est probablement l'Enée de sa génération. L'engagement est total, le style parfait, et le timbre beaucoup plus beau que celui de Jon Vickers dans l'enregistrement de 1969.

Petra Lang n'a peut-être pas la plus belle des voix, mais elle campe une Cassandre farouche et intense, et dans un français irréprochable, l'exact contraire de Deborah Voigt dans la version Decca. On a plus de mal en revanche à écouter la voix raide au souffle court de Michelle de Young. Sa Didon, sans vraiment démériter, manque de grâce et de sensualité.

Qu'est-il arrivé à Peter Mattei ? ce splendide Comte des Nozze di Figaro nous offre un Chorèbe au timbre dur et enlaidi et au vibrato prononcé. Méforme passagère, gêne due au français ? Profitons de cette mention de la langue pour saluer le français parfait de tous les interprètes.

Sara Mingardo est une Anna de luxe et Isabelle Cals n'a rien de juvénile en Ascagne. Les autres seconds rôles n'offrent rien de particulier.
En conclusion, quelle version choisir ? pour une connaissance complète de l'oeuvre, assurément, Colin Davis 1 ou 2. La version 2 est nettement moins chère, mais restera probablement peu de temps sur le marché. Pour le grand frisson, et si on a le courage de chercher en dehors des circuits de vente officiels, Georges Prêtre.
 
 

Catherine Scholler
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