(l'Opéra Comique de Paris)
C'est à dessein que je reprends
ce titre, qui introduisait le numéro spécial consacré
à l'Opéra-Comique par la célèbre Revue Musicale
de... novembre 1933. Henry Prunières, directeur de la revue et signataire
de cette introduction, y stigmatisait le mépris qu'engendrait la
notion d'opéra-comique parmi un public wagnérien, debussyste
ou stravinskien. Où en sommes-nous, 70 ans plus tard ? Comme ce
numéro vénérable, le dossier que vous allez lire se
propose de faire le tour du genre, de son éclosion au XVIIIe siècle
à son déclin fin du siècle suivant, et en tournant
les projecteurs sur les acteurs principaux : Grétry, Boieldieu,
Hérold, Adam et Auber.
Qu'est-ce que l'opéra-comique
? Né des vaudevilles donnés sur les tréteaux des foires
parisiennes, il devint "comédie mêlée d'ariettes",
définissant ainsi immédiatement sa singularité formelle,
à savoir l'alternance du parlé et du chanté. Croissant
aux côtés de la tragédie "gluckisante", il trouva ses
premiers héros en Dauvergne, Duni, Philidor, Dalayrac, Monsigny,
Isouard et Grétry. Ils portèrent à un premier sommet
le genre "qui, par définition, doit être gai, amusant et,
sans exclure des scènes d'émotion, doit comporter un dénouement
heureux" (Prunières). Le succès fut immédiat, et la
France, grâce à l'opéra-comique, conquit l'Europe musicale
lyrique qu'elle domina tout au long de ce début de siècle.
Les personnalités brillantes de Boieldieu, Hérold, Adam et
Auber amenèrent le genre à son second sommet, indépassable
et qui, au-delà de leur carrière, séduisit de nombreux
compositeurs de Grand Opéra tels Meyerbeer (Le Pardon de Ploërmel),
Halévy (L'Eclair), Berlioz (Béatrice et Benedict),
Gounod (Philémon et Baucis), Saint-Saëns (Phryné),
Thomas (Mignon) et même Bizet, en effet, Carmen est
un opéra-comique ! Coexistant joyeusement avec le Grand Opéra,
il s'affaiblira progressivement, comme lui, sous les coups de boutoir psychologique
(Verdi) ou philosophique (Wagner). A l'instar de l'opérette, dont
il est un peu le parrain, il poursuivra toutefois une jolie carrière
au XXe siècle, mais... ceci est une autre histoire.
Au-delà de cette alternance
du parlé et du chanté, l'opéra-comique se caractérise
par une extraordinaire bonne humeur, qui n'ira pas jusqu'au bouffe ou même
la gaudriole (ressort de l'opérette), mais qui réjouit le
coeur du spectateur/auditeur, et l'émeut parfois. Les intrigues
sont coquines, libertines souvent, politiques quelquefois. Issues du théâtre
populaire, elles se centrent sur l'amour dans une certaine situation sociale.
Par eux-mêmes, les opéras-comiques s'avèrent une passionnante
photographie de la vie quotidienne en France au début du XIXe siècle,
et forment certainement une source intéressante pour l'historien,
Scribe en soit remercié. Au niveau purement musical, airs virtuoses,
duos langoureux ou enfiévrés et surtout grands ensembles
et finales approcheront parfois le Grand Opéra, par une science
approfondie, mais moins rigide, du contrepoint vocal. Le rondeau de Ma
Tante Aurore, la ronde du Postillon de Longjumeau, le grand
air d'Isabelle du Pré-aux-clercs, l'Éclat de rire
de Manon Lescaut ou le boléro des Diamants de la couronne
demeureront des chefs-d'oeuvre insurpassables tout comme, en ce qui concerne
les ensembles, la scène de la vente aux enchères dans La
Dame blanche, ou les finales des premiers actes du Cheval de bronze
ou du Domino noir. Sans oublier les pimpantes ouvertures du Calife
de Bagdad, de Zampa, de Si j'étais roi ou de
Jenny Bell. Et ce ne sont pas les Wagner ou Debussy de notre époque
qui nous empêcheront d'écouter cette musique si charmante.
C'est à la découverte
de ce monde merveilleux que je vous convie, en espérant que, 2003
tendant la main à 1933, l'opéra-comique soit enfin reconnu
pour ce qu'il est : un moment unique de grâce dans la musique française.
Bruno Peeters