(Adélaïde Malanotte)
Adelaïde Malanotte naquit à
Vérone en 1785 et y grandit, cultivant, outre sa grande beauté,
une somptueuse voix de contralto, intense et pénétrante.
Elle épousa très jeune
un fonctionnaire français du nom de Montrésor. Décidée
à se montrer bonne épouse et mère exemplaire, elle
s'éloigna, pour un temps, de la carrière théâtrale,
et donna naissance à deux fils dont l'un, Giovanni Battista, devint
par la suite un ténor réputé. Mais l'incompréhension
s'installa dans le jeune couple, les scènes se succédèrent
et le mariage fit rapidement naufrage. Consciente de sa beauté,
de sa forte personnalité et surtout de la splendeur de sa voix,
Adelaïde Malanotte quitta un beau jour le foyer conjugal et décida
de faire carrière dans le monde lyrique, qui l'attirait depuis si
longtemps.
Dès ses débuts, probablement
en 1806 dans sa ville natale, les propositions ne manquèrent pas
: tout d'abord sur les innombrables scènes de province, puis dans
toutes les capitales d'Italie. Elle chanta au printemps 1808 au théâtre
communal de Trieste dans Traiano in Dacia de Nicolini, puis pendant
la saison de Carnaval elle inaugura solennellement le nouveau théâtre
della Societa à Bergame-Borgo avec Ippolita regina delle Amazoni
de
Pavesi.
Bien que dotée de "formes belles
et généreuses" qui ne manquaient pas "d'attirer les regards
de tous, et peut-être le désir de beaucoup", elle devint,
grâce à son timbre évocateur de celui des castrats,
très recherchée dans les emplois de travesti.
Parmi tant d'autres, le rôle
de Zamoro dans Alzira de Nicola Manfroce devait lui ouvrir les portes
de la gloire, à l'occasion de la première exécution
romaine en 1810 et de ses reprises successives dans d'autres villes. A
Monza en 1811, lui fut dédiée une amusante épigramme,
jouant sur la signification de son nom (Malanotte : mauvaise nuit), qui
fut retranscrite dans le Corriere delle Dame :
Une mauvaise nuit (malanotte)
je me rendis à Monza
Et une autre Malanotte je trouvai
La première fut pour moi obscure
et désagréable
L'autre harmonieuse, douce et lumineuse.
Alors je lui dis que mille mauvaises
nuits (malenotti)
Pour une Malanotte je passerai.
Sa beauté séduisit le poète
Ugo Foscolo, à un tel point qu'elle compta parmi les inspiratrices
de certains de ses textes, et tout particulièrement des Grâces.
Il écrivit également la lettre suivante au critique musical
du courrier de Turin, Giuseppe Grassi, quand la cantatrice vint
se produire dans cette ville dans l'Elisabetta regina d'Inghilterra
de Pavesi :
"Mon cher Grassi,
Si nous ne rencontrions pas quelquefois
les Grâces et les Muses durant notre pèlerinage mortel, et
si les Grâces et les Muses ne nous ouvraient pas la porte de la Courtoisie
et de l'Amour, je ne trouverais plus de raisons ni d'intérêts
à poursuivre le voyage de la vie au milieu de tant de désagréments
et de dangers. Et parce que je crois que toi, ainsi que toutes les âmes
nobles, sont dans mon cas, je t'envoie cette lettre qui te permettra de
rencontrer les Grâces et les Muses. Avec elle tu rendras visite à
Madame Malanotte, et tu salueras pour mon amour et pour le tien ses grands
yeux si noirs. Je ne te la recommande pas, ni ne te recommande à
elle; vous serez chers l'un à l'autre parce qu'elle est belle et
que son chant est souverain, et parce que tu es un homme de lettres aimable
et courtois. Prends garde seulement de ne pas tomber amoureux. Et sois
heureux."
Mais la séduction d'Adelaïde
Malanotte s'exerça également sur d'autres célébrités,
et on dit qu'elle ensorcela Lucien Bonaparte, et même Rossini en
personne.
Il y eut en effet probablement une
idylle entre le jeune Gioacchino et sa cantatrice, ou plutôt une
amourette légère et sans lendemain. Ce qui compte vraiment
c'est qu'entre un soupir et une promenade en gondole, leur rencontre donna
vie à Tancredi. Comme toujours, Rossini composa son opéra
en tenant compte des caractéristiques vocales de son interprète
et tira des merveilles de ce timbre moelleux et opulent, souple et lumineux.
Et bientôt, Ugo Foscolo présenta à la belle Adelaïde
un jeune aristocrate poète qui gravitait dans son entourage littéraire,
le fougueux Luigi Lechi, qui devint son grand amour romantique. Il ne resta
plus à Rossini qu'à se pencher en soupirant sur "l'air du
riz", pour plaire une dernière fois à la Malanotte, et à
se consoler dans les bras d'une autre maîtresse...
Six ans après, ce Tancredi,
dont elle s'était fait une spécialité, était
si célèbre que c'était devenu une oeuvre-scie. 0n
put ainsi lire dans le Journal des deux Siciles du 11 septembre
1818 : "depuis six mois condamnée à servir fidèlement
le Tancredi de Rossini et à répéter inlassablement
tous les soirs tant d'émois et tant de peines ("tanti palpiti e
tante pene", paroles de la cavatine d'entrée de Tancredi),
lesquelles, chantées et rechantées dans tous les théâtres
d'Europe, dans toutes les salles publiques et privées, s'entendent
aujourd'hui dans les tavernes et jusque sur les lèvres des nourrices
qui bercent nos enfants(...)".
A partir de 1820, ses apparitions scéniques
s'espacèrent. On la vit cette année-là au théâtre
communal de Bologne dans Emma di Resburgo de Meyerbeer et au carnaval
suivant au théâtre de la société philharmonique
de Vérone. On la dit morte dans la misère, détruite
par l'alcool et le tabac.
Dans la Gazette de Venise du 14 décembre
1820 on lit ainsi : "certains malveillants ayant répandu la fausse
nouvelle de la mort de madame Malanotte, remarquable actrice et chanteuse,
nous sommes invités par celle-ci à annoncer au public que
relevant d'une grave maladie, elle chantera lors du prochain Carnaval au
théâtre de Vérone".
La réalité est tout autre,
et ô combien plus romantique : le comte Lechi, ne pouvant convoler
en justes noces à cause des convenances de l'époque, acheta
une île entière sur le lac de Garde, où ils se retirèrent
tous deux pour y cacher leur amour.
Nous serions dans un film de Walt Disney,
l'histoire s'arrêterait là. Malheureusement, nous sommes dans
la vraie vie, dans laquelle les fins heureuses, comme celle de Tancredi,
sont bien rares.
Luigi Lechi, à cause de ses
convictions patriotiques, fut arrêté par les Autrichiens et
condamné à quatre ans de prison. Que sait-on de la vie de
la Malanotte pendant ces années, de sa solitude sur son île,
de sa peur d'être impliquée dans les ennuis politiques de
son amant ?
Ne tombons pas non plus dans un roman
d'Eugène Sue : on parla à son sujet de dégénérescence
centrale d'origine alcoolique (syndrome de Korsakoff), ce qui est faux,
cependant sa consommation excessive d'alcool fut peut-être à
l'origine de l'infarctus qui la terrassa la nuit de la saint Sylvestre
1832, au bord des eaux argentées du plus beau des lacs de la Lombardie,
à l'âge de quarante-sept ans.
1813 |
Venise - Fenice |
Tancredi |
Tancredi |
1813 |
Ferrare - Communale |
Tancredi |
Tancredi |
1813 |
Bergame - Riccardi |
Tancredi |
Tancredi |
1814 |
Gênes - San Agostino |
Tancredi |
Tancredi |
1814 |
Bologne - Communale |
Tancredi |
Tancredi |
1814 |
Lugo - Communale |
Tancredi |
Tancredi |
1814 |
Modène - Communale |
Tancredi |
Tancredi |
1815 |
Mantoue - Ducal |
Tancredi |
Tancredi |
1815 |
Lugo - Communale |
L'Italienne à Alger |
Isabella |
1816 |
Gênes - Falcone |
La pietra del paragone |
Clarice |
1816 |
Florence - Pergola |
Tancredi |
Tancredi |
1816 |
Florence - Pergola |
Aureliano in Palmira |
Arsace |
1816 |
Livourne - Floridi |
Aureliano in Palmira |
Arsace |
1818 |
Florence - Pergola |
Aureliano in Palmira |
Arsace |
1818 |
Naples - San Carlo |
Tancredi |
Tancredi |
1819 |
Venise - San Samuele |
Tancredi |
Tancredi |
1821 |
Vérone - Filarmonico |
Ciro in Babilonia |
Ciro |
1821 |
Bergame - Riccardi |
Edoardo e Cristina |
Edoardo |
Catherine Scholler
Cet article n'aurait pas vu le jour
sans l'aide précieuse de Yonel Buldrini
et les conseils avisés de
Christian Peter.