La présente
discographie ne tient compte que des enregistrements réalisés
ou repiqués en CD. Pour mémoire, les vinyles suivants ont
été présents sur le marché :
Tancredi : Marilyn Horne
Amenaïde : Margherita Rinaldi
Argirio : Renzo Casellato
Orbazzano : Nicola Zaccaria
Isaura : Bianca Maria Casoni
Roggiero : Foti
Direction : Gabriele Ferro
1977 ANNA
Tancredi : Marilyn Horne
Amenaïde : Katia Ricciarelli
Argirio : Ernesto Palacio
Orbazzano : Nicola Zaccaria
Isaura : Paunova
Roggiero : Balthrop
Direction : Eve Queler
1978 BJR
Tancredi : Fiorenza Cossotto
Amenaïde : Lella Cuberli
Argirio : Werner Hollweg
Orbazzano : Nicola Ghiuselev
Isaura : Müller
Roggiero : Rizzi
Direction : Gabriele Ferro
1979 Fonit Cetra
Enregistrements en CD :
1976
Tancredi : Patricia Price
Amenaïde : Hannah Francis
Argirio : Keith Lewis
Orbazzano : Tom Mc Donnell
Isaura : Elizabeth Stokes
Roggiero : Peter Jeffes
London Voices
Orchestre du centre d'action musicale
de l'Ouest
Direction : John Perras
3 CD Arion ARN 368200
Cet enregistrement, réalisé
dans la foulée de représentations à Angers et à
Rennes, les premières à avoir fait connaître le final
tragique, est introuvable depuis fort longtemps. De l'avis général,
une fois passée l'excitation de la découverte que ce fut
à l'époque, il est à laisser dans l'oubli dans lequel
il est tombé.
1981
Tancredi : Marilyn Horne
Amenaïde : Lella Cuberli
Argirio : Ernesto Palacio
Orbazzano: Nicola Zaccaria
Roggiero: Marilyn Scmiege
Isaura: Eleonora Jankovic
Orchestra e coro del Teatro de La
Fenice
Direction Ralf Weikert
2CD Rossini Mondo Musica Gran Teatro
La Fenice MFOH 10801
1983
Tancredi : Marilyn Horne
Amenaïde : Lella Cuberli
Argirio : Ernesto Palacio
Orbazzano: Nicola Zaccaria
Roggiero: Bernadette Manca di Nissa
Isaura: Patricia Schuman
Direction Ralf Weikert
2CD Sony S3K 39073
Ces deux enregistrements sont jumeaux,
issus de représentations à la Fenice de Venise, seuls les
noms des seconds rôles changent. Ce sont ces représentations
et les disques qui suivirent, qui donnèrent leurs lettres de noblesse
à l'oeuvre. On y entend le final tragique de Ferrare, qui décida
Marilyn Horne, un des plus grands noms de la Rossini renaissance, à
aborder le rôle, et c'est bien du témoignage d'une résurrection
qu'il s'agit. Marilyn Horne y est digne de sa légende, la plus belle
vocalement, la plus raffinée, inégalée depuis vingt
ans. Sa partenaire, Lella Cuberli, se situe sur les mêmes sommets,
fière princesse injustement outragée, aristocratique et féminine
dans la moindre de ses interventions, d'une beauté de timbre et
d'une technique qu'on ne retrouvera plus par la suite chez les autres titulaires
du rôle.
Les autres protagonistes ne sont malheureusement
pas à la même hauteur. Ernesto Palacio, pionnier du ténor
rossinien, est trop clair, pas assez incisif, avec des vocalises savonnées
ou sautillantes, mais il possède une bonne idée du style,
s'il n'a pas tout à fait les moyens requis. La voix de Nicola Zaccaria,
incontournable à l'époque quand Marilyn Horne était
présente, sonne usée et creuse. Notons en Isaura au timbre
moelleux un futur Tancredi, Bernadette Manca di Nissa.
La direction de Ralf Weikert, méritante
il y a vingt ans, paraît aujourd'hui bien lourde et brutale, ne laissant
pas s'épanouir le chant, et en même temps manquant de contrastes.
On peut encore dénicher chez
quelques collectionneurs soigneux la captation vidéo de la retransmission
du festival d'Aix-en-Provence en 1981, avec la même Marilyn Horne
qui, dès qu'elle ouvre la bouche, n'est plus jamais une corpulente
dame d'un certain âge boudinée dans un costume peu seyant,
mais un miracle vocal, les mêmes Ralf Weikert et Nicola Zaccaria
(hélas), une Katia Ricciarelli d'avant la décadence, un Dalmacio
Gonzales solide mais qui triche sur certains aigus, un continuo qui sonne
comme un crin-crin de bastringue et une mise en scène de Jean-Claude
Auvray classique et de bon aloi, qui n'a pas vieilli.
1995
Tancredi : Vesselina Kasarova
Amenaïde : Eva Mei
Argirio : Ramon Vargas
Orbazzano: Harry Peeters
Roggiero: Veronica Cangemi
Isaura: Melinda Paulsen
Chor des Bayerischen Rundfunks
Münchner Rundfunkorchester
Direction Roberto Abbado
3CD RCA 09026-68349-2
Il a fallu attendre douze ans pour
qu'un nouvel enregistrement ose défier le précédent.
Aucun atout n'a été écarté : un enregistrement
de studio, la présence de Vesselina Kasarova, à l'époque
vedette montante du chant rossinien et Tancredi à Salzbourg en 1992.
Et surtout, le coffret a le mérite de présenter non seulement
les deux fins dans leur intégralité, mais aussi une aria
alternative pour Amenaïde et l'autre air d'entrée de Tancredi,
ce qui en fait tout le prix, car sans cela l'interprétation paraîtrait
bien fade et insuffisante pour inciter à l'achat de cette intégrale.
A quoi est due cette impression d'ennui,
passé le premier tiers de l'opéra ? Tout d'abord à
la direction de Roberto Abbado, très sage, trop sage, manquant de
fantaisie et de panache, sans défaut rédhibitoire, mais qui
ne parvient pas à insuffler une âme à sa réalisation.
A la prise de son de studio ensuite, dont résultent des coupures
d'atmosphère très nettes entre les différents numéros,
ce qui les réduit à une succession de morceaux entrecoupés
de récitatifs secs sans nerfs.
Les deux protagonistes principales
partagent les mêmes qualités et les mêmes défauts
: un joli timbre, du savoir-faire, une maîtrise technique suffisante
pour le rôle. Cet appariement a pour conséquence une fusion
des timbres vraiment réussie dans les deux duos, il rend également
à l'opéra une de ses composantes essentielles : la jeunesse,
mais au fur et à mesure que l'atmosphère s'assombrit, on
se rend compte que les voix sont trop légères et trop claires
pour satisfaire les exigences de leurs rôles respectifs.
Kasarova, malgré de jolis moments,
propose une interprétation un peu trop monochrome et manque de goût
dans les ornementations. Eva Mei, contrairement à la royale Lella
Cuberli, incarne une toute jeune fille mutine et gracieuse. C'est parfait
pour l'air d'entrée du personnage, tout de gaîté et
de fraîcheur, c'est plus discutable quand il s'agit d'un grand moment
dramatique, comme l'air de la prison. On lui pardonnera néanmoins
en écoutant en boucle son entrée, décidément
ravissante.
Ramon Vargas se tire sans mal des
embûches du rôle d'Argirio, mais celui-ci n'est pas fait pour
lui : son émission gracieuse, son timbre charmeur le destinent plus
à des emplois d'amoureux que de père. Néanmoins, l'interprétation
est réellement belle.
Harry Peeters est un peu guttural,
un peu laborieux, mais pas indigne. Pour une fois, Roggiero, rôle
encore plus sacrifié que celui d'Isaura, est agréablement
chanté par Veronica Cangemi.
1995
Tancredi : Ewa Podles
Amenaïde : Sumi Jo
Argirio : Stanford Olsen
Orbazzano: Pietro Spagnoli
Roggiero: Lucretia Lendi
Isaura: Anna Maria di Micco
Cappella Brugensis
Collegium Instrumentale Brugense
Direction Alberto Zedda
2CD Naxos 8.660037-8
La même année que l'enregistrement
précédent paraissait une version nettement moins médiatisée,
mais ô combien plus excitante !
Excitante tout d'abord par la direction
d'Alberto Zedda, chef rossinien s'il en est. On dirait qu'il est en empathie
constante avec son compositeur de prédilection. Le choix des tempi,
extrêmement rapides, l'articulation du discours musical, tout lui
semble soufflé à l'oreille par le compositeur lui-même.
On a, à certains moments, le bonheur d'entendre un petit quelque
chose qui sonne de façon inhabituelle, hors des sentiers battus,
et qui donne une impression nouvelle de l'oeuvre.
Avec son vrai timbre chaud et profond
de contralto, tout proche de celui qu'on supposerait à un castrat,
Ewa Podles connaît à fond les règles de l'art belcantiste,
et incarne un Tancredi idéal. Sumi Jo, impeccable, mais dont le
timbre trop léger convient mal à Rossini, évite l'effet
"cocotte" en choisissant des ornementations qui ne s'envolent pas dans
les hauteurs. C'est bien chanté et de bon goût, la vocalisation
est d'une précision infaillible, ce qui est méritoire étant
donné le train d'enfer auquel Alberto Zedda mène son monde,
mais on entend malheureusement dans l'interprétation de la soprano
plus de métier que d'émotion véritable.
On oublie souvent le nom de Stanford
Olsen dans la liste des ténors rossiniens. Il s'agit pourtant du
meilleur Argirio de la discographie : énergie de l'accent, facilité
de l'aigu, précision de la vocalisation, sa prestation est irréprochable.
Pietro Spagnoli, habitué des personnages rossiniens de premier plan,
donne un beau relief au petit rôle d'Orbazzano.
Si l'Isaura d'Anna Maria di Micco possède
un vrai timbre profond de mezzo, le Roggiero de Lucretia Lendi est vraiment
abominable.
En bon amoureux de la joie de vivre
rossinienne, Zedda a opté pour la fin heureuse, pour l'unique fois
de toute la discographie.
1999
Tancredi : Daniela Barcellona
Amenaïde : Darina Takova
Argirio : Giuseppe Filianoti
Orbazzano: Simone Alberghini
Roggiero: Giuseppina Piunti
Isaura: Laura Polverelli
Coro da camera di Praga
ORT Orchestra della Toscana
Direction Gianluigi Gelmetti
3CD Rossini Opera Festival ROF 10023
Estampillé "festival de Pesaro",
voici un écho des représentations de 1999... et une version
qui, sans vraiment démériter, est une des seules dispensables.
Gianluigi Gelmetti, habitué
du festival de Pesaro, connaît son Rossini sur le bout des doigts
et propose une lecture solide et efficace de l'oeuvre. Darina Takova est
une belle Amenaïde, plus virtuose que touchante, à qui manque
simplement un petit supplément d'âme pour se hausser au niveau
des grandes interprètes du rôle.
Daniela Barcelona incarne un Tancredi
tout d'élégance et de sobriété, privilégiant
l'émotion sur la virtuosité pure, même si elle en maîtrise
parfaitement la technique. Ornementations délicates, messe di
voce, elle cisèle tous les raffinements imaginables, nous offrant
ainsi un "di tanti palpiti" plein de grâce et de tendresse contenue.
Etant donné ce parti pris élégiaque, le final tragique
lui convient bien mieux que ne l'aurait fait le lieto fine.
L'écueil est ailleurs, dans
l'Argirio décourageant de Giuseppe Filianoti. Certes, le timbre
est beau, mais la voix n'a aucune agilité, l'interprète a
tendance à forcer, comme s'il interprétait Canio plutôt
qu'Argirio.
Philippe Gossett, dans la plaquette
d'accompagnement, justifie qu'on ait coupé le deuxième air
d'Argirio "ah ! segnar invano io tento" par le fait que Rossini avait supprimé
cet air lors de la reprise de Ferrare et que "cette pièce magnifique
rallonge gratuitement ce qui est déjà un opéra long".
De la part d'un festival qui avait rétabli même les airs supprimés
par Rossini avant la première de la création quand il avait
donné Guillaume Tell, beaucoup plus long pourtant, cette
justification paraît un peu fumeuse. D'autre part, l'expression de
la douleur d'un père signant la condamnation à mort de sa
fille n'a rien de particulièrement superfétatoire, et ce
genre de situation fera quelques années plus tard les choux gras
d'un dénommé Verdi. La véritable explication se situe
un peu plus loin dans le même texte qui précise que "comme
tous les choix théâtraux, ces décisions tiennent compte
d'une équipe particulière de chanteurs, d'un chef d'orchestre,
d'un metteur en scène". On l'aura compris, Giuseppe Filianoti était
incapable de venir à bout de cet air.
1992 (DVD)
Tancredi : Bernadette Manca di Nissa
Amenaïde : Maria Bayo
Argirio : Raul Gimenez
Orbazzano : Ildebrando d'Arcangelo
Isaura : Katarzyna Bak
Roggiero : Maria Pia Piscitelli
Radio Symphony Orchestra Stuttgart
Chorus of the Südfunk Stuttgart
Direction : Gianluigi Gelmetti
Mise en scène Pier Luigi Pizzi
1 DVD Arthaus 100206
Terminons cette discographie avec une
vidéo, provenant du festival de Schwetzingen en 1992. La mise en
scène est de Pier Luigi Pizzi, assez statique, mais peut-on faire
autrement dans l'opera seria, et les décors ensoleillés de
plage et de ciel bleus, les splendides costumes aux couleurs chaudes sont
un véritable régal pour l'oeil. Il faut en outre saluer dans
le casting une adéquation au physique des rôles, bien
agréable.
Bernadette Manca di Nissa est un excellent
Tancredi, décidément, les titulaires ne manquent pas et déçoivent
rarement. L'interprétation de Maria Bayo en revanche appelle certaines
réserves. Ni fraîche comme Eva Mei, ni autoritaire comme Lella
Cuberli, ni virtuose comme Darina Takova, son Aménaïde molle
et uniformément plaintive n'est guère intéressante.
Argirio est le meilleur rôle
rossinien de Raul Gimenez, auquel il apporte classe et distinction. D'arcangelo
compose un Orbazzano aristocratique. Les deux titulaires des rôles
sacrifiés d'Isaura et de Rogiero parviennent pour une fois à
rendre leurs parties intéressantes.
Gianluigi Gelmetti, sans surprise par
rapport à sa prestation précédente, a opté
pour le final tragique, mais donne en rappel un extrait du lieto fine,
qui aurait pourtant particulièrement bien convenu aux lumineux décors
de Pier Luigi Pizzi.
Catherine Scholler