Photo - Giuditta Pasta et Giovanni
Battista Rubini
Le sujet est tiré de La Somnambule,
comédie-vaudeville en deux actes de Eugène Scribe et Germain
Delavigne (1819), et du ballet-pantomime en deux actes
La Somnambule ou L’Arrivée d’un
nouveau seigneur
que Scribe tira de sa pièce pour la
musique de Ferdinand Herold (1827).
Acte premier [1h.30mn.]
Premier tableau [65’] : on
aperçoit au fond de la scène le moulin de Teresa, un torrent en
fait tourner la roue. [Les indications de décor sont celles du
livret original de Felice Romani].
La brève introduction orchestrale
fait brièvement entendre le cor capricieux et la réponse
malicieuse de la clarinette, puis pose d'emblée le climat de
l'oeuvre en présentant un thème fort gracieux, bientôt repris par
le choeur au dehors.
La gaîté franche et simple du
morceau n'a d'égale que sa fraîcheur, les paroles du choeur (qui
fête les fiançailles d'Amina) ne disent pas plus que :
« Viva Amina ! », le reste est constitué de vifs et joyeux
« La-la-la-la » : toute la joie de vivre d'un monde de
rêve, à la simplicité rustique et au charme champêtre.
Romanza (Lisa)
Le terme "Romanza" désigne
un air non double, à l’inverse de l’ "Aria" qui
équivaut à Cavatina+Cabaletta ; en revanche, la Romanza peut
comprendre un "Da capo" ou reprise de sa mélodie, et c’est
le cas de cette Romance de Lisa, dont on coupe souvent, hélas, le
Da capo.
Immédiatement après, apparaît la
signature de Bellini : le cor anglais puis la flûte exhalent une
mélodie plaintive à la suave mélancolie : tout Bellini s'y trouve
résumé ! La flûte présente délicieusement le thème de la
romance de Lisa : on sent ce tendre abandon que Bellini savait
insuffler à ses mélodies, s'écoulant au travers de fioritures
toujours contrôlées qui ne font jamais tomber la ligne vocale dans
la virtuosité pure.
On est touché par la tristesse de
Lisa (soprano) qui ne participe pas à la joie générale car elle
aime Elvino, le fiancé d'Amina. L'arrivée d'Alessio (basse) ne la
console pas et pourtant il souhaiterait fortement épouser la
piquante aubergiste.
Coro
Des groupes de jeunes paysans et
paysannes descendent des collines, chargés de fleurs, et entonnent
un charmant choeur : « In Elvezia non v’ha rosa…
En
Helvétie, il n'y a pas de rose
Aussi
fraîche et précieuse qu'Amina :
C'est
une étoile matinale,
Toute
lumière, tout amour.
Mais
pudique, réservée,
Autant
qu’elle est gracieuse et belle :
Elle
est une innocente tourterelle,
Elle
est l'emblème de la candeur. »
La simplicité naïve de la poésie
de Romani s'accorde à merveille avec la fraîcheur de la musique de
Bellini, à la fois insouciante et un peu nostalgique.
Recitativo, Cavatina et Cabaletta
(Amina)
Teresa (mezzo-sop.), la meunière,
entre avec Amina (soprano), la jeune orpheline qu'elle a élevée.
Amina chante sa gratitude et son bonheur dans une divine Cavatina
qui ne manque jamais de conduire les auditeurs jusqu'à l'extase. En
effet, Bellini colore la joie d'Amina d'une pointe de tendresse à
peine mélancolique, le résultat est stupéfiant de délicatesse et
d'émotion.
Dans une Cabaletta légèrement plus
vive, elle explique que son coeur peut à peine soutenir le bonheur
qui la comble.
Recitativo
Alessio signale qu'il est l'auteur
des préparatifs de la fête, et Amina lui souhaite d'être un jour
heureux avec Lisa… mais celle-ci n'est pas de cet avis...
Le notaire fait son entrée, bientôt
suivi par Elvino (ténor), expliquant dans une irrésistible phrase
musicale si mélancolique… qu'il était allé se recueillir sur la
tombe de sa mère afin qu'elle le bénisse.
Il déclare qu'il fait don de ses
biens à Amina et, lorsque le notaire l'interroge à son tour, elle
répond : « Le coeur seulement. » A ce moment, Elvino
s'écrie, rempli de tendresse : « Ah! Tutto è il core ! »
(ah ! le cœur, c’est tout !) et la flûte devance sa
déclaration : l'un des plus beaux moments de l’opéra…
Duetto (Elvino - Amina) :
« Prendi, l’anel ti dono » : Elvino donne l’anneau
de sa mère à sa fiancée.
A l'audition du morceau, on se
demande si l'histoire de l'opéra comporte plus tendre déclaration,
passionnée mais suave ! Bellini fait atteindre à sa musique le
comble de l'émotion, tandis que Elvino tend à Amina l'anneau et le
petit bouquet de violettes. Les deux fiancés reprennent le thème,
extatiques ! (…comme l’auditeur !).
Stretta finale. Amina ne trouve pas
de mots pour exprimer sa pensée... mais Elvino déclare que la
flamme qui brûle dans le regard d’Amina lui en dit assez...
Recitativo, Cavatina, Cabaletta
(Conte Rodolfo)
Un étranger (basse) fait son entrée
et demande si le château est encore éloigné. Lisa lui conseille
de passer la nuit à l'auberge... c'est alors qu'il semble
reconnaître les lieux et donne libre cours à ses souvenirs dans
une superbe Cavatina où s'exprime sa nostalgie d'un passé révolu.
A la fin de l’air, il répète avec beaucoup d’émotion :
« Cari
luoghi, io vi trovai.
Ma
quei dì non trovo più !
Chers
lieux, je vous ai retrouvés.
Mais
ces jours, je ne les retrouve plus ! »
Ah! combien l’art de Bellini lui
fait merveilleusement traduire en musique la nostalgie du personnage
!…
Comme le texte de sa Cavatina est
placé entre parenthèses, cela signifie que les autres n’entendent
pas ses paroles et ne peuvent donc avoir la réponse au fait qu’il
semble connaître le village. Il s’agit en fait du seigneur du
village, le comte Rodolfo, héritier du château situé un peu plus
loin.
On lui présente la fiancée, qu'il
trouve tout à fait charmante, car elle lui rappelle une jeune fille
qu'il a connue autrefois… (Cabaletta !). Lisa note avec dépit cet
intérêt de l’étranger pour sa rivale, tandis qu’Elvino prend
ombrage du fait que les compliments de l’homme plaisent à sa
fiancée.
Recitativo e Coro
Le comte Rodolfo indique simplement
qu'il a vécu au château autrefois... Les villageois lui expliquent
que le bon seigneur, décédé voici quatre années, avait un fils
que personne n’a jamais revu… Un son de cornemuse annonce
l'heure où l'on reconduit les troupeaux au bercail... Teresa
rappelle que l'heure est proche du « terrible fantôme »...
Le comte, incrédule, suscite les explications du choeur :
« A
fosco cielo, a notte bruna…
Sous
le ciel assombri, dans la nuit brune
Au
faible rayon d'une lune incertaine,
Avec
le son grave d’un lointain tonnerre
De
la colline à la plaine, une ombre apparaît,
Enveloppée
d’un linceul blanc
Les
cheveux défaits, l’oeil ardent
Comme
un dense brouillard mû par le vent,
Elle
avance, elle grandit – elle semble immense !... »
L'horreur elle-même est à peine
tumultueuse dans ce morceau charmant, où s’exprime la touchante
naïveté des villageois.
Le comte comprend qu'il ne sert pas
d'insister et décide de se retirer mais les compliments qu'il
adresse à Amina agacent quelque peu le jeune fiancé.
Recitativo e Duetto (Elvino -
Amina)
Celui-ci réserve une petite scène
de jalousie à Amina (la première !) il s'explique
avec une tendresse et une poésie
d'une éloquence digne du meilleur Romani.
« Je
suis jaloux du zéphire amant
Qui
plaisante avec ta chevelure, avec ton voile
Et
même du soleil qui te regarde du ciel,
Et
même du ruisseau qui te sert de miroir. »
La réponse d'Amina ne tarde pas,
aussi touchante :
« Je
suis, ô mon bien, du zéphir, l'amante,
Parce
qu’à lui, je confie ton nom,
J'aime
le soleil car, je le partage avec toi,
J'aime
le ruisseau car, l'onde, il te donne. »
Elvino lui demande pardon et lorsque
leurs voix s'unissent, Bellini atteint (et nous fait atteindre !) ce
"septième ciel" dont il rêvait. La chaleur de la passion
amoureuse à la grâce sauvegardée par la délicatesse ne peut
provoquer que la plus suave émotion. C’est l’extase…
Les voix s'éteignent en répétant:
« Même dans le sommeil mon coeur te verra. » Puis, dans un
ultime sursaut de passion, ils lancent une retentissant
« Addio !! », tandis que le rideau tombe.
(On chante parfois ce mot piano et c’est
plus dans le ton diaphane du duo… mais la conception de Bellini
est souveraine).
Second tableau [25’] : Une
chambre dans l'auberge. Face au public, une grande fenêtre. Sur un
côté, la porte d'entrée et de l'autre, la porte d'un cabinet. Un
sofa et une petite table.
Recitativo
Le comte Rodolfo se déclare
satisfait de l’aménité du lieu, de la courtoisie des hommes…
quant aux femmes, elles sont « on ne peut plus aimables »...
A ce propos, entre celle qu’il nomme « ma belle aubergiste
», soucieuse de savoir (dit-elle) si tout convient au
« Signor Conte ». Elle explique que le maire l'a reconnu et
que tout le village va venir lui rendre hommage. Très galant, le
comte courtise Lisa, mais un bruit venant de la fenêtre la fait
fuir dans le cabinet attenant. La fenêtre s'ouvre toute grande et
quelqu'un entre, lentement...
Le comte n'en croit pas ses yeux :
« le fantôme nocturne ? », mais il a tôt fait de
reconnaître Amina, affligée d'une crise de somnambulisme !
Duetto del sonnambulismo
Amina croit parler à Elvino et
chante le thème musical accompagnant tantôt ses paroles de
jalousie : « Je suis jaloux du zéphire... ». Lisa reconnaît
Amina avec stupéfaction et sort.
Le comte passe de l'embarras à
l'espoir... puis, face à la candeur d'Amina (qui se croit devant
l'autel nuptial !) il se ressaisit. Musicalement, la scène est une
merveille de délicatesse : en contrepoint du chant, la clarinette
soutenue par le pizzicato des cordes, et parfois renforcée par la
flûte, crée une atmosphère idéale.
Lorsqu'Amina implore un baiser, le
comte Rodolfo préfère prendre la fuite... Amina s'étend alors sur
le sofa.
Coro
Furtivement, le choeur des paysans
s'avance dans l'espoir de réserver au comte une belle surprise...
Ils le croient endormi mais
constatent que c'est une femme !... Ils ne trouvent rien d’autre
à dire (et à juste titre !) que : « È bizzarra l’avventura.
».
Finale primo : Concertato e
Stretta
De loin, on entend Elvino s'écrier
« È menzogna. ». Lisa s'est fait un plaisir d'aller le
chercher... Le bruit éveille Amina qui ne comprend pas ce qui lui
arrive... C'est elle qui conduit le splendide ensemble concertant
dans lequel chacun exprime ses sentiments : Elvino est désespéré,
Amina ne se sent pas coupable mais sa trahison semble manifeste
selon le choeur. D'un ample et souple mouvement, le
"Concertato" se développe peu à peu et atteint son
apogée dans un lyrisme grandiose.
Elvino ne veut plus entendre parler
de noces ; son désespoir et la consternation d'Amina s'expriment
dans la vive "Stretta finale", martelée par l’orchestre
et scandée par la condamnation unanime du choeur...
Tous sortent en menaçant Amina qui
s'effondre dans les bras de Teresa.
Le rideau tombe.
Acte second [61mn.]
Premier tableau [23’20] : Un vallon
ombragé entre le village et le château.
Scena e Coro
La route conduisant au château est
longue et pénible aussi les paysans décident-ils de se reposer un
moment. Ils sont déterminés à implorer le comte afin qu'il
défende Amina si elle est innocente, ou qu'il l'aide si elle est
fautive. Est-il besoin de préciser avec quelle gentillesse et
quelle fraîcheur Bellini exprime leur espoir ?
Scena Cavatina e Cabaletta Elvino,
Coro
Après leur départ, Amina et Teresa
surviennent, également décidées à se rendre chez le comte.
L'émotion d'Amina est grande car elle reconnaît les lieux où ils
s'assirent tant de fois à l'ombre des hêtres, au murmure du
ruisseau… l’air lui-même résonne encore de leurs serments !…
Solitaire et pensif, Elvino,
d'ailleurs, s'avance.
Sa tristesse et son découragement
transparaissent dans la brève Cavatina introduite par un beau solo
du cor, mélancolique et romantique à souhait. Les protestations
d'innocence d'Amina ne font que déchirer plus encore le coeur
d'Elvino, ne faisant que répéter ce qu’elle a fait de lui : «
Il più triste de’ mortali » !
Les paysans reviennent joyeusement,
convaincus de l'innocence d'Amina grâce aux déclarations du
comte... « Il Conte! » s'exclame Elvino. A ce nom, il donne libre
cours à sa fureur et retire l'anneau à Amina... celle-ci
s'effondre, profondément mortifiée...
Elvino est tout de même ému, mais
au comble du désespoir, il exprime son amertume dans une
pathétique et superbe Cabaletta :
«
Ah! perchè non posso odiarti…
Ah!
pourquoi ne puis-je te haïr,
Infidèle,
comme je le voudrais !
Ah!
Tu n'es pas encore complètement
Effacée
de mon coeur ».
Les villageois l'invitent à aller
voir le comte mais il s’enfuit, éperdu, tandis que s'abaisse le
rideau.
Cette Cabaletta est l'exemple type du
morceau romantique où la passion la plus violente et la douleur la
plus profonde sont toujours exprimées avec retenue et délicatesse.
L’aspect, également typique du romantisme, un peu
"extérieur" de panache désespéré et ostentatoire, ou
de "gracieux désespoir", comme nous le nommons souvent,
ne manque pas non plus : le ténor pouvant briller d’un aigu final
interminable, s’il le peut, tandis que l’orchestre charge
vigoureusement. Là se réalise cette émotion, toute jouissance si
l’on veut, de l’amateur de ce répertoire qui retient alors son
souffle…
Second tableau [38’] : Un
Village. Au fond, on voit le moulin de Teresa ; un torrent en
fait tourner la roue.
Recitativo.
Un dialogue animé oppose Lisa à
Alessio, tentant de lui démontrer qu’Elvino sera vite convaincu
de l’innocence d’Amina… d’autre part, que faire d’un homme
qui vous épouse par dépit ?!… mais la calculatrice et
capricieuse Lisa n’est pas disposée à écouter la sagesse d’Alessio,
aussi, celui-ci déclare remuer ciel et terre avant d’endurer
calmement qu’on se moque ainsi de lui.
Coro e Cabaletta Lisa, Coro
Le choeur confirme la décision
d'Elvino et salue en Lisa sa nouvelle fiancée. Celle-ci jubile et
chante son émotion et sa gratitude dans une charmante Cabaletta
(souvent coupée, hélas!). Là également, selon l’interprète,
le morceau peut prendre un relief particulier, comme dans l’enregistrement
Naxos, où la colorature Dilbèr émet un hallucinant suraigu
quasiment final… se taillant ainsi un beau succès malgré une
justesse un peu vacillante.
Recitativo e Arioso Elvino, Conte,
Tutti
Elvino déclare à Lisa qu'il
n'aurait jamais dû rompre leurs fiançailles et lui demande un
pardon qu'elle se hâte d'accorder ! Ils partent en direction de
l'église mais le comte fait son entrée. Elvino l'aborde dans un
fier et digne Arioso : « Signor Conte ». Le comte a beau fournir
de savantes explications aux paysans attentifs et étonnés mais
ceux-ci ne peuvent y croire : « Une personne qui dort et qui marche
! Non, cela n'est pas, ne peut être ! ».
Scena e Quartetto concertato
Elvino-Teresa-Lisa-Conte
Teresa entre et leur demande de
respecter le sommeil d'Amina mais la vue de Lisa aux côtés
d'Elvino fait naître son inquiétude... L'arrogance de Lisa
affirmant que elle, elle n'a pas été découverte, seule, enfermée
dans la chambre d'un homme, provoque l'indignation de Teresa qui
exhibe le mouchoir perdu par Lisa, dans la chambre du comte (Teresa
l'avait ramassé lorsqu'on découvrit Amina endormie sur le sofa).
Nouveau coup de théâtre, nouveau
crève-coeur pour Elvino. Il exprime sa désillusion dans un beau
quatuor (souvent coupé !) reflétant également l'embarras de Lisa
et la rigueur de Teresa et du comte, qui n'est pourtant pas
étranger à l'affaire...
Recitativo.
Le comte soutient l'innocence d'Amina
qui va d’ailleurs inconsciemment la prouver : elle sort, endormie,
d'une fenêtre et marche sur le bord du toit... en bas, la roue du
moulin tourne rapidement... un faux pas et Amina est perdue...
- Stupéfaction générale -.
Le comte Rodolfo intime un silence
complet, il ne faut surtout pas éveiller la « sonnambula » qui
vacille en passant le pied sur une poutre à moitié pourrie, juste
au-dessus de la roue...
La poutre se brise mais Amina est
déjà sauve !
La musique de cette scène est très
dépouillée : quelques mesures de l'orchestre, quelques mots de
prière murmurés par le choeur.
Scena ed Aria finale Amina.
Bellini a choisi pour terminer son
opéra le grand air pour soliste "inventé" par Rossini
mais porté à un degré d'émotion, de diversité et de perfection
par Donizetti. La plupart des opéras du Romantisme italien se
terminent par ce type d’Aria double, très prisé du public et à
l’impact garanti. Le compositeur cristallisait ainsi le moment de
la catastrophe (ou de l’exultation) finale sur le personnage
principal et l’interprète y trouvait une possibilité de mettre
ses dons en valeurs, par l’écriture musicale mais également par
les extrapolations permises par le compositeur.
Scena. La "Scena" est un
récitatif plus élaboré et celle-ci va être l’occasion de
rappeler plusieurs motifs musicaux ayant rapport avec les instants
de bonheur du premier acte.
Amina apparaît, endormie, au milieu
de tous. Elle exprime ses regrets de ne pouvoir saluer Elvino une
dernière fois "avant qu’il ne conduise une autre à l’autel
!…".
Elle croit entendre les cloches : il
est trop tard ! – la flûte suggère timidement le thème de sa
première scène de somnambulisme, alors qu’elle se croyait à la
cérémonie..
Elle s’agenouille, implorant Dieu
de ne pas regarder ses pleurs, car elle lui pardonne ! Une dernière
prière, alors : qu'Elvino soit heureux autant qu'elle est
malheureuse. Le choeur est subjugué par autant de magnanimité...
Elle cherche l'anneau qu'il lui a
retiré et la clarinette le souligne, en rappelant tendrement le
sublime thème du duo « Prendi, l’anel ti dono »… Elle n’a
plus l’anneau, mais l'image d'Elvino... est « sculptée » dans
son coeur, personne ne peut lui ravir ! La flûte espiègle joue en
tempo de valse le début de la Stretta du même duo, correspondant
aux paroles d’Amina cherchant des mots pour exprimer son amour :
« Ah! vorrei trovar parole »…
La flûte soupire éperdument le
motif de l'instant où Elvino offrait à Amina le bouquet de
violettes qu'elle porte encore, et qu'elle regarde à présent avec
tristesse.
Aucune introduction du thème par la
flûte, ni par la clarinette… mais une sobriété absolue pour l’attaque
de l’air : l’orchestre soupire délicatement, les cordes
commencent leur accord linéaire, typiquement coloré de mélancolie
romantique :
Cavatina (ou première partie de l’Aria)
:
«
Ah! non credea mirarti
Sì
presto estinto, o fiore. »
Elle ne pensait pas voir se faner si
vite ces tendres fleurs, passées aussi vite que l’amour qui ne
dura un seul jour !
C'est le type d'air dont Bellini
avait le secret et que Verdi nommait « mélodie longue longue
longue ». Elle se déploie calmement, soutenue par les mêmes
accords répétés des cordes, le hautbois souligne les plaintes
d'Elvino, qui ne résiste plus à sa douleur… La mélodie s’étire
encore, semble ne plus finir… le violoncelle mélancolique
accompagne seul la la plainte infinie d’Amina : « Che un giorno
sol durò… (qui ne dura qu’un seul jour) »… Bellini est en
état de grâce… et transporte son auditoire, oublieux du monde,
au septième ciel…
Lorsque la voix d'Amina s'éteint…
il faut bien redescendre sur terre et se retrouver… dans son
fauteuil de velours !
(Scena) Elvino ne se contient plus
et repasse l'anneau au doigt d’Amina...
Amina se réveille au milieu de ceux
qu'elle aime. Surprise, elle croit bien sûr rêver (!!) et demande
qu’on ne la réveille pas ! Mais Elvino la rassure et le choeur
l'invite à se rendre enfin à l'église.
Cabaletta finale : « Ah! non giunge
uman pensiero » :
« Ah! la pensée humaine ne peut
concevoir / La joie si grande qui est en moi ».
Amina exulte dans ce grand morceau de
bravoure et l’interprète peut encore augmenter le caractère
brillant du morceau en variant le Da capo de la Cabaletta.
L’apothéose finale intervient
alors qu’Amina surmonte de ses suraigus vertigineux, la liesse
générale et tumultueuse des choeurs et des autres personnages, et
le vrombissement de l’orchestre déchaîné qui conclut, à grand
renfort de roulements de timbales et de cymbales. Ce brillant un peu
vain et démonstratif, ce paroxysme du bonheur comme du malheur : c’est
cela aussi, le Romantisme !
C’est également un grand moment d’émotion
pour l’auditeur, même si tout finit bien, car l’exubérance, l’engagement
de l’interprète sur laquelle repose le Finale, créent une
tension que le public sent instinctivement… le silence particulier
et unanime qui se fait miraculeusement plus intense à ce moment là
dans la salle, témoigne de ce moment magique.
Le digne et sensible Felice Romani,
librettiste ou "poeta", comme on disait à l’époque, a
su caractériser magnifiquement La Sonnambula par ces mots :
« Jamais la campagne n'eut une
nature plus verdoyante, le ruisseau, de plus doux murmures; l'amour,
de plus tendres soupirs ».
Yonel Buldrini