Photo - Maria Callas - Norma du siècle.
Norma fait partie de ces ouvrages que toutes les cantatrices veulent un jour interpréter au même titre que La Traviata et Tosca. Malheureusement, le rôle titre est un des plus exigeants de tout le répertoire et toutes les voix ne peuvent convenir! Nombreuses pourtant sont celles qui s'y sont plongées avec plus ou moins de bonheur et rares sont celles qui en sont sorties vocalement indemnes. L'idéal pour ce rôle serait de combiner une voix d'essence wagnérienne avec la flexibilité et la technique belcantiste héritée de Rossini. Certaines cantatrices avec des possibilités différentes (Callas, Gencer, Sutherland, Suliotis, Caballé, Deutekom, M. Price,…) ont approché cette sorte d'idéal et pour la plupart le disque a conservé leurs incarnations. D'autres se sont complètement fourvoyées dans un rôle excédant leurs moyens vocaux (Sills, Scotto) ou par défaillance technique et/ou stylistique (Cigna, Milanov, Eaglen). La discographie comparée qui suit se veut exhaustive en matière d'enregistrements officiels ou officialisés et présente un spectre assez représentatif de l'interprétation de Norma au XXème siècle.
J.R.
I. La Norma de
début de siècle
OPERA D'ORO OPD-9004 (2CDs) - Torino 1939
(studio)
Gina Cigna en Norma
Gina Cigna (Norma), Ebe Stignani (Adalgisa), Giovanni Breviario (Pollione), Tancredi Pasero (Oroveso) - Vittorio Gui (direction musicale)
Ce premier
enregistrement studio (1939) de Norma témoigne d'une époque
où les chanteurs d'opéra pouvaient communiquer leur art et leur
passion sans se livrer aux assauts de pyrotechnie vocale ou de
comédie affectée de tel ou tel (pourtant) illustre interprète !
Réputée pour être
un des grands sopranos dramatiques de la première moitié du XXème
siècle (Turandot fut l'un de ses plus grands rôles à la scène),
Gina Cigna chante ici Norma à pleine voix, sans effets, sans
artifices, mais (hélas) sans la nuance et parfois sans la justesse
de ton qu'imposeront plus tard Maria Callas, Leyla Gencer ou encore
Montserrat Caballé. Malgré une voix qui semble, au premier abord,
puissante et bien projetée, la soprano franco-italienne éprouve à
plusieurs reprises des difficultés avec les hautes notes,
particulièrement dans le duo "Oh! Rimembranza!" du
premier acte, sans parler de la tessiture excessivement tendue du
"Casta Diva" ! Toutefois elle ne peut laisser
indifférent; sa Norma pleure et se perd, regrette, se sacrifie, et
puis meurt, dans des accents proches du vérisme, parfois
ostentatoires, mais avec une sincérité et une véhémence qui font
aujourd'hui défaut dans un opéra qui a désespérément besoin
d'un chant compatissant.
Ebe Stignani, alors
jeune et fraîche, campe ici une Adalgisa touchée par la grâce;
certes, son interprétation n'est pas exempte de fautes de style, et
la couleur de sa voix et ses moyens exceptionnels font regretter
(comme le fait justement remarquer André Tubeuf dans un article de
la revue "L'Avant-Scène Opéra") qu'elle ne se soit pas
mesurée au propre rôle de Norma ; jamais elle ne retrouvera cette
justesse de ton et cet engagement dans la voix, même au côté de
Maria Callas, et surtout, malgré la révolution qu'opéra cette
dernière au début des années 1950! Il suffit d'écouter, pour
s'en convaincre, le duo "Mira, o Norma", véritable
point culminant de cette version.
Tancredi Pasero,
quant à lui, s'impose comme l'un des meilleurs Oroveso de toute la
discographie; il possède le timbre de voix idéal pour le rôle
(une basse profonde!), et l'autorité nécessaire dans l'accent pour
conférer à ses deux arie l'aplomb et la justesse
d'interprétation qu'elles requièrent.
Le point faible de
cette version réside essentiellement dans l'interprétation
catastrophique de Giovanni Breviario… Certes héroïque et
véhément dans son engagement dramatique, son Pollione relève
moins de la bravoure que de l'inconscience, accumulant fautes de
style, forte incessants et inappropriés (pour ne pas parler
de hurlements) et de détestables effets de portamenti, sans
lesquels il serait, de toute évidence, incapable de faire face à
la tessiture du rôle. Un tel manque de raffinement et de justesse
d'interprétation font de lui un Pollione totalement inacceptable!
Sous la conduite
alerte de Vittorio Gui, les Chœurs et l'Orchestre de l'EIAR offrent
un excellent soutien aux chanteurs; malgré des tempi devenus
parfois inhabituels pour des oreilles accoutumées à des
interprétations plus modernes, Vittorio Gui esquisse ici, et au
même titre que Tullio Serafin quelques années plus tard, le
travail de résurrection dont Maria Callas sera le catalyseur. Il
faut, hélas, déplorer la mauvaise qualité de cet enregistrement
(eût égard aux techniques et aux techniciens de l'époque), qui
relègue l'orchestre au second plan, dans un abîme de
bourdonnements qui fatigue l'oreille à la longue.
Y.M.
GAO 180 (2CDs) - New York Metropolitan Opera 30.12.1944
(live)
Zinka Milanov en Norma
Zinka Milanov (Norma), Jennie Tourel (Adalgisa), Frederick Jagel (Pollione), Norman Cordon (Oroveso) - Cesaro Sodero (direction musicale)
Célèbre pour sa Leonora du
Trouvère, son Alaide de La Straniera ou encore sa Gioconda dans l'opéra du même nom, Zinka Milanov s'est vu confiée le rôle de Norma à une époque où personne ne semblait plus capable de le chanter. La voix, enchanteresse dans les arie lunaires typiquement belliniennes ("Casta diva"), trouve ses meilleurs accents dans l'acte II, où elle injecte une passion et un venin qu'on ne lui connaissait guère, préparant ainsi le terrain
à Maria Callas. Cependant, et malgré une certaine souplesse dans la voix et une émission bien contrôlée, Milanov trahit son impréparation technique à plusieurs reprises, que ce soit dans la cabalette
"Ah ! Bello, a me ritorna", ou dans les parties rapides des duos entre Norma et Adalgisa… Si l'époque (nous sommes en 1944!) ne peut prétendre donner une leçon de Bel Canto (il faudra attendre la "révolution Callas"), Zinka Milanov est loin de pouvoir compenser ses faiblesses comme le fit Gina Cigna quelques années plus tôt, grâce à son engagement dramatique et à la sincérité de son interprétation.
Jennie Tourel, grande artiste au demeurant, campe ici une jeune et "fluide" Adalgisa, très touchante et très finement esquissée, mais pas assez idiomatique. Elle enferme son personnage dans une interprétation marginale, avec un rien de sophistication; certes très cohérente et loyale, cette Adalgisa séduit au premier abord mais reste trop éloignée de l'essence même du rôle.
Les emplois masculins, quant à eux, demeurent en retrait : Frederick Jagel n'a jamais été un grand ténor, mais son Pollione est solide et fiable. Il en va de même pour l'Oroveso de Norman Cordon qui, sans être un Ezio Pinza ou un Tancredi Pasero, assume très honorablement la tessiture de son rôle.
Le chef, Enzo Sodero, à la tête des Chœurs et de l'Orchestre du Metropolitan Opera, offre une direction tendue et quelque peu rigide, mais laissant aux chanteurs la latitude nécessaire à leur interprétation, grâce à de généreux et expansifs tempi… Trop complaisant envers ses chanteurs, Sodero est (hélas) loin de la direction alerte et pertinente de Vittorio Gui; plus d'urgence et plus d'énergie auraient sans aucun doute permis de tirer un meilleur parti des interprètes.
Y.M.
II. La révolution
Callas
MELODRAM CDM 26018
(2CDs) (existe aussi chez Myto) - Mexico City 23.05.1950 (live)
Maria Callas (Norma),
Giulietta Simionato (Adalgisa), Kurt Baum (Pollione), Nicola Moscona
(Oroveso) - Guido Picco (direction musicale)
C'est là le premier
témoignage discographique intégral de l'incarnation de Maria
Callas en Norma ! En 1950, la cantatrice grecque était au sommet de
moyens vocaux qui l'autorisaient à extrapoler et à ponctuer ses
interventions de spectaculaires suraigus. Certes, sur le plan
dramatique Callas ira beaucoup plus loin au fil des ans et souvent
au détriment de sa voix, mais ici, sur le strict plan vocal, autant
du moins que l'improbable prise de son permette d'en juger, tout est
d'une absolue perfection: legato entièrement sur le souffle,
rondeur du son, perfection technique, arrogance volcanique dans les
éclats du personnage !
A ses côtés
Giulietta Simionato offre une Adalgisa intègre et
extraordinairement juvénile. Peu de choses à dire de Kurt Baum et
de Nicola Moscona si ce n'est qu'ils remplissent avec efficacité
leur rôle de faire-valoir, le ténor restant toutefois bien
primaire. Guido Picco dirige l'ensemble avec nervosité, ce qui ne
peut en aucun cas faire office de conception dramatique de l'œuvre.
Le témoignage de
Londres en 1952, grâce à une prise de son beaucoup plus intègre,
rend davantage justice à l'art de Maria Callas.
J.R.
SAKKARIS RECORDS
PR.SR. 277/278 (2CDs) - London Covent Garden 08.11.1952 (live)
Maria Callas (Norma),
Ebe Stignani (Adalgisa), Mirto Picchi (Pollione), Giacomo Vaghi
(Oroveso) - Vittorio Gui (direction musicale)
Lorsque Maria Callas
reprend le rôle de Norma à Londres en 1952, après ses
saisissantes prestations de Buenos Aires en 1949 (un récent disque
Fono Enterprise 1012 en présente quelques extraits) et Mexico en
1950, le public découvre une Norma restituée à ses justes
accents, et débarrassée de la plupart de ces anciens effets
véristes… l'œuvre demeurant très mutilée dans sa partition.
Callas campe ici une
héroïne plus vibrante et plus hardie qu'elle ne le sera jamais en
studio (en 1954 et 1960, chez Emi Classics), débarrassant le rôle
de tout artifice et de tout maniérisme, se permettant tout au plus
quelques rubati bien sentis. Son "Casta diva"
est un pur moment de grâce, à la fois extatique et habité,
emprunt d'une poésie sans pareil et pleinement ressenti de
l'intérieur; Callas se joue de la tessiture tendue de l'aria,
comme portée par la ligne mélodique, sans jamais faillir! La voix
se plie à toutes les exigences de la partition, y compris dans les
passages les plus virtuoses, comme "Ah ! Bello, a me ritorna"
ou encore la conclusion de "Mira, o Norma".
L'absence des principales reprises contraint Callas à éviter toute
extrapolation superfétatoire, sans lui laisser l'occasion d'orner
son chant et n'autorisant qu'un insolent et splendide contre-ré en
conclusion du final du premier acte. Callas n'en demeure pas moins
remarquable, donnant des leçons de Bel Canto à qui veut l'entendre…
Joan Sutherland, ici simple Clotilde, saura en 1965 en appliquer les
principes!
Ebe Stignani, suivant
la voie ouverte par Callas, gagne en présence et en justesse de
style; mais son engagement dramatique reste inégal, et plus de dix
ans après son historique incarnation au côté de Gina Cigna, la
voix a perdu une certaine richesse de timbre, et la palette des
couleurs s'est considérablement amincie. Toutefois, galvanisée par
les feux de la rampe, Stignani trouve des accents d'une rare
justesse, notamment dans les duos " Oh ! Rimembranza !"
et "Mira, o Norma", sans doute portée par
l'engagement et la véhémence de Callas… mais on reste bien loin
de la "giovinetta" d'antan!
Mirto Picchi, en
Pollione, et Giacomo Vaghi, en Oroveso, ne se montrent
malheureusement pas à la hauteur de leurs partenaires féminines,
accusant tour à tour des faiblesses vocales ou des lourdeurs de
style, appuyant tel ou tel passage de manière exagérée… sans
doute est-il trop tôt pour comprendre l'importance de la
révolution instaurée par Callas, qui se heurtera maintes fois à
l'incompréhension de ses contemporains.
Vittorio Gui, quant
à lui, est un des piliers de cette version historique de Norma
; il sert l'œuvre avec maestria, évitant les tempi trop
lents du passé, sachant précipiter le drame dans l'urgence sans
jamais mettre en défaut l'un de ses interprètes.
Y.M.
EMI CLASSICS
(3CDs) - Milano, Teatro alla Scala 1954 (studio)
Maria Callas (Norma),
Ebe Stignani (Adalgisa), Mario Filippeschi (Pollione), Nicola Rossi
Lemeni (Oroveso) - Tullio Serafin (direction musicale)
Alors que la scène
lui offrit l'occasion de peindre une Norma d'ombre et de lumière,
tantôt extatique, tantôt passionnée comme aucune autre ne le fit
avant elle, le studio, quant à lui, permet à Callas de mettre en
valeur toutes les nuances psychologique de son personnage; sa Norma
est ici expressive et colorée, moins dramatique sans doute, mais
toujours aussi ardente!
A ses côtés, Ebe
Stignani retrouve ici l'aplomb et la justesse de ton qui lui firent
défaut à la scène quelques années plus tôt. Si son Adalgise
gagne par moments en crédibilité et en justesse de ton, elle
souffre néanmoins d'un timbre de voix passablement usé et d'une
palette de couleurs légèrement rétrécie!
Mario Filippeschi,
parfois inégal, est un Pollione relativement convaincant, mais qui
manque de vie manifestement. Il en va de même pour Nicola Rossi
Lemeni, Oroveso exemplaire dans le style, mais en proie à des
attitudes vocales parfois artificielles. Tous deux sont néanmoins
d'excellents partenaires vocaux, allant jusqu'au bout de l'option
"belcantiste" initiée par Callas.
Visiblement ancré
dans les modèles du passé, Tullio Serafin se révèle incapable de
saisir l'importance de la résurrection belcantiste! Bien loin des
assauts effrénés et passionnés mais stylistiquement justes de
Vittorio Gui, Serafin s'abandonne à des sonorités souvent creuses,
affadissant son propos et n'offrant aucune alternative aux
chanteurs; l'orchestre souffre de tempi trop relâchés, et
ne trouve que trop rarement de justes accents…
Y.M.
GALA GL 100 511
(2CDs) - Milan 07.12.1955 (live)
Maria Callas (Norma),
Giulietta Simionato (Adalgisa), Mario Del Monaco (Pollione), Nicola
Zaccaria (Oroveso) - Antonino Votto (direction musicale)
S'il est une Norma
de Maria Callas qu'il faut posséder, c'est bien celle-là! En
effet, en cette soirée d'ouverture de la Scala de la Milan le 07
décembre 1955, la diva grecque est à l'apogée de ses moyens
vocaux et dramatiques. Jamais plus nous n'aurons une telle fusion
entre le chant et le théâtre car quelques mois plus tard
l'inexorable déclin s'enclenchera. Ici, tout est à couper le
souffle, du récitatif d'entrée de Norma jusqu'à la montée finale
au bûcher! Callas est à la fois prêtresse, femme, amante et mère
et cette quadruple dimension, jamais plus elle ne pourra la
restituer ainsi!
Elle est ici
entourée de la meilleure distribution possible: une Giulietta
Simionato stylée et merveilleusement assortie à Callas, un Mario
del Monaco dans une forme superlative à la limite de l'histrionisme
et un Nicola Zaccaria de grande classe! Antonino Votto, un des plus
grands chefs des années 1950-1970, nous donne ici une
interprétation d'ensemble des plus excitantes d'autant que le son
de cette édition est tout à fait satisfaisant!
A acquérir de toute
urgence!
J.R.
EMI CLASSICS 7
63000 2 (3CDs) - Milano Teatro alla Scala 1960 (studio)
Maria Callas (Norma),
Christa Ludwig (Adalgisa), Franco Corelli (Pollione), Nicola
Zaccaria (Oroveso) - Tullio Serafin (direction musicale)
Pour sa seconde
intégrale de studio, Maria Callas s'entoure de redoutables
interprètes, à commencer par Christa Ludwig certes peu idiomatique
en Adalgisa, mais d'une incommensurable beauté de timbre,
s'abandonnant çà et là aux délices de la partition! Son chant
est vif, parfois inégal (la vocalisation !), mais toujours
caractérisé à dessein. Elle sert le rôle avec la fraîcheur et
la justesse qui firent largement défaut à Ebe Stignani en son
temps.
Franco Corelli,
luxueux Pollione, impose sa verve légendaire dans un rôle qui,
néanmoins, exige autant de bravoure que de subtilité dans la voix;
son Pollione gagne étonnamment en puissance et en autorité, et
jamais personne avant lui ne semble y avoir mis tant de cœur!
Nicola Zaccaria est
un Oroveso de grande classe, et s'impose comme un des meilleurs
interprètes de la discographie; son chant, un rien outré, semble
se jouer de toutes les difficultés de la partition, tant sur le
plan du style que sur celui de l'écriture vocale.
Maria Callas, quant
à elle, accuse une terrible usure vocale: la voix a perdu de sa
consistance, et la palette des couleurs s'est sensiblement
rétrécie. Sur le plan dramatique, son interprétation demeure
cependant magistrale! Les splendeurs vocales du passés n'ont fait
que renforcer l'intériorité du personnage: la Norma de Callas
semble ici mûrie, réfléchie, comme dévorée par le drame qui la
ronge, pressentant son funeste destin… La coloration vocale est
encore spectaculaire, l'emphase verbale toujours dynamique, et le
style bien plus affirmé, rendant compte des plus infimes nuances de
la psychologie du personnage. A ceci s'ajoute une compréhension
absolue du drame musical, où les émotions contradictoires se
mêlent, entre fidélité et amour interdit, et où la mort vient
soulager l'héroïne de ses passions exacerbées. Callas livre ici
sa conception la plus aboutie de Norma, en dépit d'une voix
(hélas) déjà abîmée…
Depuis l'intégrale
de 1954, Tullio Serafin semble enfin avoir compris ce que diriger Norma
veut dire; les tempi, plus réguliers et moins alanguis,
offrent un soutien idéal aux chanteurs, et précipitent le drame
dans une urgence (malheureusement) trop relative! Les détails de
l'orchestration, plus fouillés, servent mieux le propos, sans pour
autant s'imposer de manière trop vive aux oreilles de l'auditeur.
Les chœurs, quant à eux, gagnent en puissance et en netteté;
l'apparition récente de la stéréophonie confère à l'ensemble
l'ampleur requise pour donner toute la dimension dramatique qu'une
telle œuvre exige.
Y.M.
DECCA 425 488-2
(3CDs) - London 1964 (studio)
Joan Sutherland
(Norma), Marilyn Horne (Adalgisa), John Alexander (Pollione),
Richard Cross (Oroveso) - Richard Bonynge (direction musicale)
C'est en 1965 que
Joan Sutherland, nouvelle étoile du Bel Canto depuis une désormais
légendaire Lucia di Lammermoor donnée à Londres en 1959,
décide de laisser à la postérité sa première Norma sous
la direction de son époux Richard Bonynge. Il convient de préciser
tout de suite que ce dernier, musicologue passionné du XIXème
siècle, défendra haut les couleurs non seulement de son épouse
mais également de tout un répertoire trop malmené, voire oublié
et qu'à cet égard, cet enregistrement est le premier
véritablement intégral de la partition!
Sans avoir les
couleurs fauves de Maria Callas, Dame Joan par l'ampleur de ses
moyens vocaux et la maîtrise absolue du style requis n'en est pas
moins davantage Norma que son illustre devancière, du moins sur le
strict plan vocal. En effet, jamais la diva grecque n'avait à ce
point étalé pareille autorité vocale! Sutherland est la seule de
la discographie à restituer le "Casta diva" dans
sa tonalité originale de sol majeur au lieu du fa majeur
traditionnel. Qui plus est, elle assume avec aplomb une tessiture
meurtrière allant même jusqu'à extrapoler un vertigineux
contre-mi tenu à la fin de son duo avec Pollione. Quant à la
diction, elle s'avère bien supérieure à ce qu'annonçait une
certaine presse à l'époque!
A ses côtés,
Marilyn Horne campe l'Adalgisa idéale pour Sutherland tant les
caractéristiques techniques de leurs voix correspondent. Leurs duos
resteront à tout jamais des moments d'anthologie.
John Alexander est
excellent en Pollione tant par son timbre corsé et large que par
l'ardeur parfois excessive qu'il met dans son personnage! Richard
Cross, quant à lui, est un Oroveso de belle facture qui ne
démérite nullement face à de tels partenaires. Très belle
direction de Richard Bonynge, merveilleusement servi, il est vrai,
par l prise de son DECCA.
Probablement la
meilleure version studio de la discographie!
J.R.
MELODRAM 468
(2CDs) - Milan 30.01.1965 (live)
Leyla Gencer (Norma),
Giulietta Simionato (Adalgisa), Bruno Prevedi (Pollione), Nicola
Zaccaria (Oroveso) - Gianandrea Gavazzeni (direction musicale)
Voilà une excellente
surprise que cette Norma restituée dans un son excellent car
elle nous permet d'apprécier une autre grande Norma: Leyla Gencer.
Plutôt habituée aux Reines donizettiennes, Gencer offre ici une
conception située à mi-chemin entre Callas et Caballé. La voix,
glorieuse, est portée par un phrasé en tous points admirable et
servie par une technique irréprochable. Son incarnation est
brûlante comme toujours et se trouve en phase avec la belle
direction de Gianandrea Gavazenni. Giulietta Simionato dont la voix
est alourdie par ses nombreuses Amnéris compose une Adalgisa de
haut vol. Bruno Prevedi serait un excellent Pollione s'il n'était
pas tant en coquetterie avec le diapason car sur le strict plan
vocal, il a exactement les moyens du rôle. Oroveso satisfaisant
sans plus de Nicola Zaccaria.
J.R.
GALA GL 523 (2CDs)
- Paris Palais Garnier 29.05.1965 (live)
Maria Callas (Norma),
Giulietta Simionato (Adalgisa), Gianfranco Cecchele (Pollione), Ivo
Vinco (Oroveso) - Georges Prêtre (direction musicale)
Tout au long de sa
carrière, la voix de Maria Callas n'a cessé d'évoluer; d'abord
colorature dramatique (de 1940 à 54), puis lyrique dramatique (1955
à 58), et enfin une période de temps où l'instrument de Callas ne
cesse de décliner jusqu'au milieu des années 60.
Lorsque Callas aborde
Norma à Paris, en mai 1965, il est déjà trop tard; la Diva
n'est plus que l'ombre d'elle-même, bien loin des gloires passées…
et pourtant si proches! Malgré le métier, le pathos dans la
voix, et l'inimitable présence de son timbre, la soprano grecque
esquisse une Norma bien fatiguée, métallique et blanche dans
l'aigu, omettant certaines des hautes notes et savonnant la plupart
de ses vocalises, incapable de faire oublier son insuffisance vocale
par une interprétation pourtant de haut vol.
Giulietta Simionato,
déjà au côté de Callas à Mexico en 1950 et à Milan en 1955,
campe une Adalgisa de grande classe, sûrement plus stylée et plus
idiomatique que Stignani dans ses dernières années, et au timbre
somptueux, à faire mourir de jalousie toutes les grandes Adalgisa
du répertoire (Fiorenza Cossotto en tête de liste!)
Gianfranco Cecchele
en Pollione, et Ivo Vinco en Oroveso, sont d'honorables partenaires,
mais ne trouvent pas ici leur meilleur emploi.
Outre la splendide
Simionato, cette version vaut surtout pour la direction remarquable
de Georges Prêtre. Le chef français, sans pour autant être un
spécialiste du répertoire, apparaît comme étant l'orfèvre du
drame de Norma. La direction est soignée et précise, les tempi
parfaitement dosés, et, sans être représentatif de ce que le
style bellinien requiert comme urgence et comme dramatisme, il
parvient à exprimer le drame de la partition avec une efficacité
désarmante.
Y.M.
MYTO RECORDS
981.177 (2CDs) - Lausanne 06.10.1966 (live)
Leyla Gencer (Norma),
Fiorenza Cossotto (Adalgisa), Gastone Limarilli (Pollione), Ivo
Vinco (Oroveso) - Oliviero de Fabritiis (direction musicale)
Mieux entourée à la
Scala de Milan, en 1965 (avec Giulietta Simionato!), c'est à
Lausanne en 1966 que Leyla Gencer lègue sans doute sa meilleure
Norma. La soprano turque y est souveraine, digne héritière (et
pourtant contemporaine !) de la leçon imposée par Callas. Sa Norma
est une écorchée vive mais avec la ligne épurée qui sied à
l'extase de son chant et l'aspect élégiaque qui émane de son
personnage. Le chant de Gencer est quasi déclamatoire, avec un rien
de solennité dans la voix, parfois plus proche de la tragédie
grecque que de la tradition belcantiste; son "Casta diva",
parfois tendue dans les notes hautes, est chargé d'une émotion
indescriptible que seule la jeune Callas, jusqu'alors, avait su
faire passer.
Fiorenza Cossotto est
une Adalgisa bien décevante; son personnage manque de charisme et
de mordant, la voix paraît sans cesse fuir la ligne mélodique,
pour s'amoindrir dans des sonorités parfois aigrelettes, et sans
faire oublier la leçon de Bel Canto de Giulietta Simionato un an
auparavant !
Gianfranco Cecchele
est ici un Pollione braillard et poussif, la tessiture du rôle lui
posant vraisemblablement un certain nombre de problèmes! Ivo Vinco,
plus à l'aise qu'à Paris, campe ici un Oroveso de bonne tenue ; il
possède le timbre de voix idéal pour le rôle, mais manque
d'autorité pour conférer à ses deux arie l'aplomb et la
justesse d'interprétation nécessaires.
Oliviero de
Fabritiis, trop complaisant envers ses chanteurs, adopte des tempi
proprement inadmissibles! Sa direction se résume en une succession
anarchique de ralentissements et d'accélérations, entravant sans
cesse la progression de l'action scénique ainsi que l'intensité
dramatique de l'œuvre… Bref, un manque évident de style!
Y.M.
III. L'après Callas
MONDO MUSICA 10281
(2CDs) - Venise 15.12.1966 (live)
Elinor Ross (Norma),
Fiorenza Cossotto (Adalgisa), Mario Del Monaco (Pollione), Ivo Vinco
(Oroveso) - Ettore Gracis (direction musicale)
BELLA VOCE
BLV.107.214 (2CDs) - Berlin 1968 (live)
Elinor Ross (Norma),
Fiorenza Cossotto (Adalgisa), Mario Del Monaco (Pollione), Ivo Vinco
(Oroveso) - Gianandrea Gavazzeni (direction musicale)
Ces deux
témoignages, restitués dans de bonnes conditions sonores,
apportent peu de choses à la discographie de Norma, Fiorenza
Cossotto, Mario del Monaco et Ivo Vinco ayant déjà chanté leurs
rôles respectifs ailleurs et de façon plus intègre! Le seul
intérêt en est l'interprétation en Norma d'Elinor Ross, grosse
pointure vocale style Ghena Dimitrova et qui chantait plutôt
Turandot de Puccini. Ici, avec une voix puissante et arrogante, sa
Norma est assez bien chantée même si on la sent gênée par
l'écriture virtuose du rôle. Il est très difficile de distinguer
Ettore Gracis et Gianandrea Gavazzeni tant les deux chefs ont des
conceptions identiques, partageant les mêmes qualités et les
mêmes défauts! Deux versions
assez inutiles!
J.R.
DECCA 452 683-2
(2x33t) - Roma 1968 (studio)
Elena Suliotis (Norma), Fiorenza
Cossotto (Adalgisa), Mario Del Monaco (Pollione), Carlo Cava
(Oroveso) - Silvio Varviso (direction musicale)
Forte de
l'enregistrement de Joan Sutherland, DECCA n'avait, a priori, nul
besoin de se relancer dans l'aventure d'une Norma trois ans
plus tard! C'était toutefois compter sans l'arrivée sur le marché
lyrique d'une voix qui allait faire couler beaucoup d'encre: Elena
Suliotis dont on a tout de suite dit qu'elle était la nouvelle
Callas! La jeune cantatrice, grecque elle aussi, avait
littéralement stupéfait en 1965 par sa première intégrale studio
chez DECCA, Nabucco de Verdi. Elle y interprétait une
Abigaille -autre rôle meurtrier s'il en est- absolument
hallucinante tant sur le plan vocal que sur le plan dramatique. Elle
avait pour elle de nombreux atouts: un timbre de toute beauté, une
projection vocale d'une puissance et d'une insolence inouïes, la
maîtrise d'une tessiture vertigineuse jusqu'au contre-ré. Ce qui a
joué par la suite contre elle et a sensiblement raccourci sa
carrière, c'est que la soudure des registres n'était pas des plus
homogènes! Toujours est-il que la plupart de ses témoignages
studio ou live restent parmi les plus excitants qui se puissent
entendre et cette Norma de 1968 ne faillit pas à la règle.
Avec un autre ténor
et dans le contexte d'une véritable intégrale, nous tiendrions ici
une référence capable de faire vaciller les intégrales de Maria
Callas! Malheureusement, cette version est très sensiblement
abrégée et on ne compte plus le nombre de coupures qui émaillent
la partition; déjà à l'époque, elle était sortie en deux 33t.
Quant à Mario del Monaco qui interprète ici le rôle de Pollione,
il a beaucoup perdu depuis la merveilleuse Norma de Milan en
1955 avec Maria Callas. La voix reste percutante et la projection
arrogante mais ici, il ouvre démesurément les sons et s'évertue
à vouloir confondre Norma et Cavalleria Rusticana de
Mascagni! Pour le reste, il conviendra de dire que Carlo Cava prête
sa belle voix noire à un Oroveso de classe, que Fiorenza Cossotto
laisse là sa plus belle Adalgisa, en tout cas infiniment
supérieure à ce qu'elle nous laissera quelques années plus tard
chez RCA aux côtés de Montserrat Caballé et que Silvio Varviso
dirige toute cette équipe avec conviction et énergie.
Alors que dire de la
Norma d'Elena Suliotis si ce n'est qu'elle nous laisse là un des
plus beaux Casta diva de toute la discographie: tout est sur
le timbre et la tenue du souffle et le résultat est complètement
hypnotique. Ses autres très grands moments sont le Final de l'acte
1 où elle affronte Pollione avec une violence extraordinaire et
toute la scène finale avec, entre autres, le plus émouvant "son
io" qui se puisse entendre. A
acheter dès parution en CD !
J.R.
MYTO MCD 014 251
(2CDs) - Buenos Aires 02.07.1969 (live)
Joan Sutherland (Norma), Fiorenza
Cossotto (Adalgisa), Charles Craig (Pollione), Ivo Vinco (Oroveso) -
Richard Bonynge (direction musicale)
Ce document édité
dans un son excellent confirme que Joan Sutherland s'approprie de
plus en plus le rôle de Norma et que sa prestation se situe à un
niveau d'excellence difficilement égalable. Fiorenza Cossotto,
galvanisée par sa partenaire, en fait des tonnes vocalement, ce qui
contribue à rendre la soirée très excitante. Charles Craig livre
ici un Pollione plausible tant vocalement que dramatiquement. Ivo
Vinco est un Oroveso standard dont on ne peut dire ni bien ni mal!
Très belle direction, nerveuse et dramatique de Richard Bonynge.
Un très bon live!
J.R.
NUOVA ERA 2409/11
(2CDs) - New York 04.04.1970 (live)
Joan Sutherland (Norma), Marilyn
Horne (Adalgisa), Carlo Bergonzi (Pollione), Cesare Siepi (Oroveso)
- Richard Bonynge (direction musicale)
S'il est un live de Norma
du tandem Sutherland/Bonynge qu'il faut connaître, c'est bien
celui-là tant l'interprétation de tous les chanteurs frôlent
l'idéal. On y retrouve le duo Sutherland-Horne de la version DECCA:
ici la scène rend la confrontation encore plus excitante même si
on sent que la voix de Marilyn Horne commence un peu à s'alourdir.
Sutherland, elle, est royale du début à la fin: l'autorité de sa
voix et une articulation beaucoup plus nette que ce qu'on en a dit
font de son interprétation un moment majeur de l'histoire du chant.
A leurs côtés, un
Pollione très surprenant: Carlo Bergonzi! Pour le ténor italien,
c'était une prise de rôle et si sa voix n'est pas tout à fait
celle qu'on attend, le résultat n'en demeure pas moins excellent,
davantage en tout cas que ce que nous offrira Luciano Pavarotti
quelques années plus tard en studio. Cesare Siepi est un Oroveso de
luxe. Quant à Richard Bonynge, il dirige ce cast somptueux avec la
même flamme qu'à Buenos Aires l'année précédente.
J.R.
GALA GL 100.537
(2CDs) - San Francisco 06.10.1972 (live)
Joan Sutherland
(Norma), Huguette Tourangeau (Adalgisa), John Alexander (Pollione),
Clifford Grant (Oroveso) - Richard Bonynge (direction musicale)
Cette exécution
vibrante de Norma provient de la saison lyrique de l'Opéra
de San Francisco, en 1972. Sutherland, dont la voix était
littéralement à son apogée, campe ici l'une de ses meilleures
Norma! Encore plus sensible qu'au studio (en 1964), elle chante une
fois de plus "Casta diva" dans sa tonalité
d'origine (sol majeur), toujours extatique et élégiaque dans
l'accent. Tout au long de l'ouvrage, elle campe une Norma au pathos
exacerbé, très dramatique, employant à dessein des sonorités de
poitrine, "criant" même dans les passages de tension
extrême.
Elle trouve en
Huguette Tourangeau une Adalgisa accomplie, certes moins luxueuse
que Marylin Horne, mais au timbre et aux intonations plus proches du
personnage.
John Alexander se
révèle encore meilleur qu'au studio, visiblement galvanisé par
les feux de la rampe. Son Pollione y gagne en vaillance et en
héroïsme.
Belle direction de
Richard Bonynge qui trouve ici des sonorités plus contrastées et
des tempi particulièrement pertinents.
Y.M.
MYTO 2MCD 974.168
(2CDs) - Milan 1972 (live)
Montserrat Caballé (Norma), Fiorenza
Cossotto (Adalgisa), Gianni Raimondi (Pollione), Ivo Vinco (Oroveso)
- Gianandrea Gavazenni (direction musicale)
Cette soirée,
restituée dans un son satisfaisant, est à connaître à plus d'un
titre. En effet Montserrat Caballé est dans une forme superlative
et son interprétation atteint des sommets qu'elle ne retrouvera
qu'à Orange deux ans plus tard. La luminosité du timbre, la
transparence de la ligne de chant, la longueur du souffle, le
frémissement impalpable de ses pianissimi, l'autorité de la voix,
tout ici est réuni pour faire de sa Norma un moment magique.
Fiorenza Cossotto est
ici à son meilleur et offre une Adalgisa d'une grande féminité.
Gianni Raimondi chante correctement le rôle de Pollione sans en
avoir véritablement les moyens et Ivo Vinco est égal à lui même.
L'autre grand intérêt de ce document est la direction de
Gianandrea Gavazenni qui, visiblement inspiré par l'orchestre qu'il
a sous sa baguette, se surpasse en offrant sa meilleure prestation
dans l'ouvrage.
J.R.
EMI CLASSICS
1C153.95.521.2 (3LPs) - London 1973 (studio)
Beverly Sills (Norma), Shirley
Verrett (Adalgisa), Enrico di Giuseppe (Pollione), Paul Plishka
(Oroveso) - James Levine (direction musicale)
On doit à Beverly
Sills la plupart des premiers (ou parmi les premiers)
enregistrements studio d'œuvres exhumées ou restituées quelques
années plus tôt par Maria Callas (Anna Bolena), Renata
Tebaldi (L'Assedio di Corinto) ou encore Leyla Gencer (Maria
Stuarda / Roberto Devereux). Sa Norma de studio
vient ici compléter une discographie où seules Maria Callas, Joan
Sutherland et Elena Suliotis - et 35 ans plus tôt, Gina Cigna - ont
laissé un ou plusieurs témoignages officiels.
La Norma de Sills
n'est bien évidemment pas un modèle du genre; son timbre, léger
et même parfois aigrelet, lui interdit naturellement de s'attaquer
à un rôle aussi sombre et dramatique du répertoire bellinien.
Aussi à force d'artifices et de prouesses vocales, la soprano
américaine parvient-elle malgré tout à dessiner un personnage
convaincant, aux accents certes "fabriqués" mais avec une
véhémence et un abattage vocal rarement égalés! Consciente des
limites de ses moyens naturels pour ce rôle, Sills opte pour une
conception pleinement belcantiste, virtuose et esthétisante. Au
"Casta diva", alangui, où la voix se répand avec
somptuosité (sûrement le "Casta diva" le plus
lent de toute la discographie!), succède un "Ah ! Bello, a
me ritorna" endiablé, attaqué à 100 à l'heure
(sûrement le plus rapide de toute la discographie !) et
ébouriffant de virtuosité ! Mais peut-être Sills joue-t-elle trop
la carte de la pyrotechnie vocale… Bien qu'impressionnants, ses
graves poitrinés à l'octave inférieure dans les passages
dramatiques sonnent de manière très artificielle; ils n'arrivent
pas à conférer à son personnage toute l'épaisseur psychologique
qui convient au personnage de Norma. De plus, la surenchère de
suraigus et d'extrapolations de toutes sortes ne peut que desservir
la tradition belcantiste: Sills sert ici, bien malgré elle (et
surtout par anticipation), le discours d'un Riccardo Muti ou encore
d'un Gianluigi Gelmetti, hélas largement favorables à la
suppression de toute ornementation.
Shirley Verrett, à
l'instar de Marilyn Horne, campe une Adalgisa de très grande
classe; la mezzo se joue habilement de la tessiture élevée du
rôle, lançant à qui veut les entendre de magnifiques et insolents
contre-ut! Les duos sont de toute beauté, les aigus cristallins de
Sills s'accordant à merveille à la voix chaude et fumée de
Verrett.
Enrico di Giuseppe
est sûrement l'un des Pollione les plus raffinés de toute la
discographie: son chant est stylé, sa voix bien timbrée, et il
possède le charisme nécessaire à son personnage. Peut-être, le
studio l'amène-t-il a des attitudes vocales un peu figées, sans
être pour autant inexpressives… Paul Plishka se montre ici très
convaincant en Oroveso. James Levine ne semble pas très inspiré.
Sa direction est routinière et il ne semble pas comprendre
l'importance de l'orchestre dans le drame de Norma.
Y.M.
RCA GD86502 (3CDs)
- London 1974 (studio)
Montserrat Caballé (Norma), Fiorenza
Cossotto (Adalgisa), Placido Domingo (Pollione), Ruggero Raimondi
(Oroveso) - Carlo Felice Cillario (direction musicale)
Montserrat Caballé
est une Norma de haut rang: elle y chante extraordinairement,
couvrant de sa voix lumineuse toute l'étendue de la tessiture.
Supérieure dans le phrasé, sa Norma est nostalgique et
bouleversée mais parfois en retrait, laissant à l'hédonisme vocal
qui caractérise la diva espagnole se tailler la part du lion. Son
"Casta diva" est l'un des plus beaux de toute la
discographie, mais hélas sûrement pas le plus émouvant.
Qu'importe, Caballé possède bien d'autres qualités qui font de sa
Norma un modèle à part: une sincérité et une véhémence qui
font aujourd'hui défaut, des pianissimi jamais égalés, une
éloquence et une dignité rares dans la déclamation… bref, si
Caballé n'est pas toujours proche de la psychologie de son
personnage, sa voix, quant à elle, s'adapte à toutes les
subtilités de la partition, plus à l'aise dans les parties
extatiques que dans les passages les plus vocalisants ("Ah !
Bello, a me ritorna").
Fiorenza Cossotto se
révèle meilleure Adalgisa qu'aux côtés de Leyla Gencer, à
Lausanne en 1966. Peut-être le studio lui permet-il d'affiner son
interprétation, et de laisser sa voix se colorer sereinement sur
toute l'étendue de sa tessiture. Plus riche, le timbre de Cossotto
se mélange joliment à celui de Caballé dans les duos.
Placidò Domingo, peu
familier du répertoire bellinien, campe un Pollione de bonne tenue,
à la voix parfois légèrement tendue, mais très efficace dans
chacune de ses interventions. Ruggero Raimondi est un Oroveso
convaincant, aussi bien capable d'autorité que de compassion; son
timbre n'est pas idiomatique, mais il confère à son personnage une
dimension intéressante, parfois éloignée des modèles du genre,
mais beaucoup plus humaine.
Les chœurs et l'orchestre, sous la
direction de Carlo Felice Cillario, sont excellents: la direction du
maestro, énergique et vive, conduit inexorablement Norma à sa
perte, dans l'urgence dramatique que requiert une telle œuvre, mais
aussi avec des alanguissements bien sentis dans les passages de
grande poésie. Bref, une direction exemplaire!
Y.M.
ON STAGE 4704
(2CDs) - Moscou 12.06.1974 (live)
Montserrat Caballé (Norma), Fiorenza
Cossotto / Bruna Baglioni (Adalgisa), Gianni Raimondi (Pollione),
Ivo Vinco (Oroveso) - Francesco Molinari-Pradelli (direction
musicale)
Ce témoignage au son
excellent n'apporte malheureusement rien à une discographie déjà
très fournie. Montserrat Caballé déploie toujours ses trésors
vocaux mais se laisse aller à des effets pour le moins discutables.
Il faut dire que Francesco Molinari-Pradelli n'est pas Gavazenni! Le
chef italien est surtout soucieux de verdianiser la partition.
Fiorenza Cossotto est dans une méforme évidente dès le début de
la représentation et elle se voit contrainte de laisser la place à
l'acte 2 à Bruna Baglioni, mezzo superbe et très injustement
mésestimée. Gianni Raimondi et Ivo Vinco sont égaux à
eux-mêmes.
J.R.
OPERA D'ORO
OPD-1140 (3CDs) / HARDY CLASSIC (1dvd) - Orange 1974 (live)
Montserrat Caballé (Norma),
Josephine Veasey (Adalgisa), Jon Vickers (Pollione), Agostino Ferrin
(Oroveso) - Giuseppe Patanè (direction musicale)
Dans ce témoignage
devenu mythique des représentations au Théâtre antique d'Orange
en 1974, Montserrat Caballé, impressionnante et plus engagée qu'au
studio, brosse le portrait de ce qui pourrait bien être sa plus
belle Norma. "Casta diva" sonne comme un chant
céleste, habité, diaphane et élégiaque à souhait, parfaitement
soutenu par la ligne vocale et le phrasé légendaires de la Diva
espagnole. Caballé se révèle ici terriblement impressionnante, se
jouant de toutes les difficultés techniques de la partition, y
compris dans "Ah ! Bello, a me ritorna" ! Bien loin
des modèles des années cinquante, Caballé prouve une fois de plus
qu'on peut, sans adhérer totalement à la conception callassienne,
aller jusqu'au bout d'une option belcantiste, en partie hédoniste,
sans jamais desservir le propos bellinien.
Josephine Veasey
possède un beau timbre de voix, coloré et expressif; elle est ici
une Adalgisa idéale, évoluant sur le même terrain escarpé que
Caballé, sans jamais faillir.
Jon Vickers est un
Pollione de grande classe, grand et puissant, avec toute l'autorité
nécessaire dans l'accent. Son phrasé est exemplaire, même si son
timbre particulier ne sert pas toujours la verve naturelle de son
personnage.
Agostino Ferrin,
quant à lui, offre un Oroveso de grande stature, très digne et
charismatique; bien que coutumier du rôle, il lui manque quelques
intonations plus insolentes dans l'émission et un grave plus
appuyé dans les moments de grandes intensité dramatique.
Giuseppe Patanè,
souvent inégal, trouve ici une juste mesure, servant le drame avec
fougue et passion, sans jamais mettre en difficulté les chanteurs!
Il faut préciser que
le son de ce témoignage CD est assez infâme et que l'amateur de
Norma et/ou de Montserrat Caballé aura tout intérêt à préférer
la récente édition en DVD qui lui apportera non seulement l'image
mais également un son d'une tout autre qualité rendant infiniment
plus justice à la magie de la soirée. Car concernant le spectacle
que ce DVD nous propose il s'agit bien de parler de magie! Du début
à la fin on est envoûté: Caballé n'est plus une prêtresse
gauloise mais une Alcina, une Armida pour tous les Rinaldos que nous
sommes. Non pas que l'image soit de la plus grande qualité -nous
sommes bien évidemment très loin du numérique- mais le climat de
l'œuvre, la production, l'art consommé des chanteurs, la magie du
lieu, le mistral lui-même, tout concourt à faire de cette soirée
un événement extraordinaire!
Y.M. pour le
disque - J.R. pour le DVD
GALA GL 100.548
(2CDs) - San Francisco 31.10.1975 (live)
Cristina Deutekom (Norma), Tatjana
Troyanos (Adalgisa), Roberto Merolla (Pollione), Clifford Grant
(Oroveso) - Carlo Felice Cillario (direction musicale)
A mi chemin entre les
conceptions de Callas et de Sutherland, Cristina Deutekom est une
Norma à part entière. La voix est ample, impressionnante, l'accent
souverain et autoritaire, sans parler d'un timbre d'or, irisé des
plus magnifiques couleurs! Deutekom se révèle être une des
meilleures Norma de toute la discographie, sachant parfaitement
doser son chant; sa Norma est avant tout lumineuse, superbement
phrasée et élégamment projetée. Sans doute manque-t-il un peu
d'humanité à cette voix décidément hors norme… mais Norma
n'est-elle pas Le rôle des rôles? N'exige-t-elle pas des moyens
qui semblent surhumains? Ici Deutekom joue la carte de la passion,
reléguant les passages de plus grande fragilité au second plan: sa
Norma a de l'envergure, de l'élégance, elle brille de mille feux
et s'embrase dans les moments de grande tension dramatique. Son
"Casta diva", sûrement moins émouvant que
d'autres, est emprunt d'une grande solennité: la voix y est à
l'aise, s'accommodant sans peine de la tessiture tendue de l'aria
; elle y peint une Norma très digne, évitant tout effet
ostentatoire, avec une justesse d'intonation qui fit défaut à
nombre de ses consœurs!
Tatiana Troyanos est
une Adalgisa en tout point remarquable. Sa voix, miracle de richesse
et de noirceur, mais aussi succulente et sensuelle, rappelle les
couleurs d'acajou d'une Flagstad au sommet de son art. Son chant,
clair et précis, se joue des notes les plus hautes et des parties
les plus vocalisantes; le legato est inimitable, subtil et
usé à dessein, chaque note semble habitée, comme investie par les
sentiments contradictoires qui gouvernent l'intrigue de l'ouvrage.
Les duos sont magnifiques, spécialement "Oh ! Rimembranza !":
les deux voix s'y accordent à merveille, et trouvent ici leur
sommet absolu.
Clifford Grant, avec
une voix riche et imposante, est un Oroveso de bonne stature tandis
que Roberto Merolla se montre un Pollione réellement insuffisant,
sans nuance, un rien braillard, et dépassé par les exigences
vocales de son personnage.
Carlo Felice Cillario
mène le drame tambour battant: sa direction, énergique et
passionnée, est redoutable d'efficacité!
Y.M.
EXCLUSIVE
EX93T78/79 (2CDs) - Vienne 17.03.1977 (live)
Montserrat Caballé (Norma), Fiorenza
Cossotto (Adalgisa), Carlo Cossutta (Pollione), Luigi Roni (Oroveso)
- Riccardo Muti (direction musicale)
Editée dans un son
excellent, cette version live est le premier témoignage que nous
avons de Riccardo Muti dans Norma. Le maestro abordera
souvent l'ouvrage au fil des ans et en laissera même un
enregistrement officiel en 1994 mais c'est ici en 1977 qu'il se
montrera le plus en phase avec l'œuvre. Aux commandes d'un
orchestre d'une beauté totale, le philharmonique de Vienne, Muti
déploie sa science de l'architecture musicale, des colorations
instrumentales, de la dynamique et offre aux chanteurs un écrin
d'une splendeur absolue. Malheureusement, sur le plan du chant tout
n'est pas de la même eau à commencer par Montserrat Caballé!
Certes la diva espagnole étale son timbre unique mais la ligne de
chant s'entache de petites scories de ci de la et de quelques effets
véristes assez malvenus.
Pour Fiorenza
Cossotto, il commence à se faire tard et celle qui fut une Adalgisa
de qualité dix ans plus tôt a beaucoup perdu de sa voix: elle se
réfugie régulièrement dans un poitrinage excessif et vulgaire aux
aigus constamment plafonnés et semble davantage chanter Amnéris!
En revanche Carlo Cossutta est l'un des plus intéressants Pollione
depuis Franco Corelli et John Alexander. La voix est belle, saine et
franche, la tessiture est assumée avec vaillance et la
caractérisation dramatique du personnage est beaucoup plus fine
qu'à l'accoutumée. Luigi Roni, avec une voix solide mais un peu
rugueuse, n'a pour lui que de nous avoir évité l'éternel Ivo
Vinco (M. Cossotto à la ville!) que sa charmante épouse imposait
sur toutes les scènes ad nauseam! Un document inégal mais
très intéressant!
J.R.
ARTHAUS (1K7/1DVD) -
Sydney 1978
Joan Sutherland (Norma), Margreta
Elkins (Adalgisa), Ronald Stevens (Pollione), Clifford Grant
(Oroveso) - Richard Bonynge (direction musicale)
Ce témoignage
vidéo, issu d'une représentation donnée en 1978 à l'Opéra de
Sydney, a pour seul intérêt de nous montrer la Norma de Joan
Sutherland dans des conditions malheureusement discutables.
L'entourage, sans être indigne, n'est pas du tout à la hauteur de
la cantatrice australienne. Margreta Elkins compose une Adalgisa
sympathique mais bien maladroite scéniquement parlant. Ronald
Stevens a certes une plastique plus avantageuse que la plupart de
ses confrères mais sa voix, intéressante, se laisse aller à des
débordements qu'on ne pardonnait pas à un Mario del Monaco.
Clifford Grant est un Oroveso standard sans plus. Quant à Richard
Bonynge, il est très nettement moins inspiré que d'habitude et sa
direction reste souvent molle, innervée.
Peu de choses à dire
de la production elle-même si ce n'est que les décors sont dans
l'ensemble assez laids et les costumes plutôt ridicules.
Joan Sutherland sera mieux servie par
la vidéo canadienne de 1981.
J.R.
GALA GL 578 (2CDs)
- San Francisco 15.09.1978 (live)
Shirley Verrett (Norma), Alexandrina
Milcheva (Adalgisa), Nunzio Todisco (Pollione), Clifford Grant
(Oroveso) - Paolo Peloso (direction musicale)
Document très
intéressant que cet enregistrement live de 1978 à San Francisco
où décidément on aime beaucoup Norma! L'intérêt majeur
en est la conception radicalement différente de l'interprétation
du rôle titre. En effet ici la vocalité de Norma est rendue à une
voix beaucoup plus sombre comme c'était le cas lors de la création
de l'ouvrage avec Giuditta Pasta. Pour ce faire, le rôle est ici
confié à un des grands mezzos aigus des années 1970, Shirley
Verrett dont nous connaissions déjà l'Adalgisa qu'elle avait
enregistrée en 1973 avec Levine aux côtés de Beverly Sills.
L'incarnation de Norma qu'elle livre ici est très impressionnante:
La voix est d'une solidité à toute épreuve et sait se parer de
couleurs mordorées et en même temps rugir telle une lionne
blessée. Il ne faut pas oublier que quatre années auparavant, elle
s'était saisie avec le triomphe que l'on sait du rôle éprouvant
de Lady Macbeth et il est incontestable que cette expérience
verdienne l'aide pour le rôle non moins éprouvant de Norma. Tout
au plus pourrait-on pinailler sur telle ou telle vocalise un peu
scolaire. Peu importe: nous tenons là une Norma de haute lignée.
Il va malheureusement
être très difficile d'en dire autant de ses partenaires non pas
qu'ils chantent mal mais ils déparent quelque peu face à Verrett.
Pourtant Alexandrina Milcheva avait tout pour être une belle
Adalgisa et aux côtés d'une Caballé ou d'une Sutherland ça
pouvait très bien fonctionner mais ici sa présence frôle
l'aberration: en effet, quelle idée d'engager pour les deux rôles
féminins de l'œuvre deux mezzos!!! A partir du moment où l'on
essaye de restituer, autant que faire se peut, les couleurs de
Giuditta Pasta, alors il faut faire de même pour Adalgisa et se
rapprocher le plus possible de la vocalité de Giulia Grisi,
créatrice du rôle. C'était donc une Renata Scotto ou une
Margherita Rinaldi (dont nous parlerons ensuite) qu'il fallait
engager! Nunzio Todisco chante Pollione en prenant un peu trop Mario
del Monaco comme modèle. Quant à Paolo Peloso, si sa direction
s'avère efficace, on ne saurait lui pardonner les innombrables
coupures qu'il inflige à la partition.
J.R.
LYRIC DISTRIBUTION
LCD-203-2 (2CDs) - Firenze Teatro Comunale 01.12.1978 (live)
Renata Scotto (Norma), Margherita
Rinaldi (Adalgisa), Ermanno Mauro (Pollione), Agostino Ferrin
(Oroveso) - Riccardo Muti (direction musicale)
Si on restait sur sa
faim, à l'audition du témoignage de la première Norma de
Riccardo Muti en 1977 à Vienne, ce n'est certainement pas cette
nouvelle production florentine qui va combler notre appétit!
Restituée dans un son nettement moins flatteur qu'à Vienne et avec
un orchestre de moindre qualité, la direction de Muti perd
énormément en coloris et en dynamisme: tout est uniforme et assez
plat. Renata Scotto, avec laquelle le maestro avait enregistré une
Abigaille plus que discutable, se devait, comme toute belcantiste
qui se respecte, d'aborder le rôle de Norma. Précisons tout de
suite que, pas plus qu'Abigaille, Renata Scotto n'a jamais eu la
voix de Norma! Elle aurait pu être une merveilleuse Adalgisa mais
c'était compter sans l'ambition prétentieuse de la cantatrice
italienne. L'ambition peut être une excellente chose à condition
toutefois qu'on en ait les moyens ce qui n'est malheureusement pas
le cas ici! Certes le phrasé dans les passages lents et en dessous
de la portée garde un aspect envoûtant mais est-il besoin de
rappeler que Norma n'est pas Amina de la Sonnambula (rôle
bellinien le plus convaincant de Scotto!)? Les passages rapides, la
virtuosité, l'arrogance de la voix, la maîtrise du registre aigu,
la dimension quasi surhumaine du rôle, tout fait défaut à celle
qui a toujours été un soprano lirico leggero et qui, à force de
jouer à la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf,
a dégradé de façon irréversible ses moyens vocaux!
Avec une Norma aussi
petite et pointue, quelle mouche a donc piqué Riccardo Muti
d'engager en Adalgisa Margherita Rinaldi, véritable clône vocal de
Renata Scotto? Il est indispensable de différencier vocalement
Norma et Adalgisa et nous avions déjà souligné en ce qui concerne
le témoignage de Shirley Verrett à San Francisco en 1978
l'aberration d'engager deux mezzos. Ici, c'est pire car il est
souvent impossible de distinguer qui chante quoi et cela ne fait
qu'accentuer l'erreur considérable de confier le rôle titre à
Scotto.
Ermanno Mauro, ténor
solide vocalement mais primaire sur le plan de la caractérisation
se trompe d'ouvrage et chante Bellini comme on chante Mascagni!
Oroveso de belle stature d'Agostino Ferrin mais c'est bien peu pour
faire une Norma de qualité!
Une expérience qui
se voulait certainement intéressante mais qui se solde par un
échec complet!
J.R.
SONY 35902 (2CDs)
- London 1979 (studio)
Renata Scotto (Norma), Tatiana
Troyanos (Adalgisa), Giuseppe Giacomini (Pollione), Paul Plishka
(Oroveso) - James Levine (direction musicale)
Un an plus tard, la
firme CBS, aujourd'hui absorbée par SONY, forte du succès
considérable et mérité de l'enregistrement d'Adriana
Lecouvreur de Cilea effectué par Renata Scotto deux ans plus
tôt en 1977, décide d'enregistrer en studio sa Norma!
Hélas, c'est pire que tout car les micros impitoyables restituent
en les amplifiant tous les défauts de la cantatrice italienne et
ce, dès le Casta Diva qui est une véritable épreuve pour
l'oreille! Nous sommes loin, très loin de la composition d'une
Callas, de la splendeur d'une Sutherland, du chant à fleur de
lèvres d'une Caballé. Quinze ans plus tard, même Jane Eaglen fera
mieux. C'est dire! Seules petites bulles de savons positives:
l'attaque du final de l'acte 1, l'arioso du début de l'acte 2 et
les cinq dernières minutes de l'opéra où le pouvoir émotionnel
de cette musique finit par transcender l'absence de moyens vocaux.
En revanche, et c'est
tout de même un comble, le reste de la distribution est de haute
volée: Tatiana Troyanos est l'une des plus touchantes Adalgisa
conservées par le disque. Sa voix moelleuse se coule idéalement
dans l'écriture bellinienne. Giuseppe Giacomini fait partie de ces
ténors solides qui ont toutefois peu de choses à dire: ici le
chant est assumé avec goût et ardeur sans plus. Paul Plishka a
mûri le rôle d'Oroveso depuis sa première intégrale en 1973
également avec Levine (et Beverly Sills) et le portrait qu'il offre
ici est très touchant d'humanité. Quant à James Levine, il
délivre ici peut-être la plus belle direction d'orchestre de cette
discographie et fait d'autant plus regretter le choix retenu pour le
rôle titre!
J.R.
VAI (1K7/1dvd)
- Toronto 1981
Joan Sutherland (Norma),Tatiana
Troyanos (Adalgisa), Francisco Ortiz (Pollione), Justino Diaz
(Oroveso) - Richard Bonynge (direction musicale)
Ce deuxième
témoignage vidéo de Joan Sutherland en Norma est infiniment plus
intègre que celui de Sydney en 1978. La cantatrice australienne,
visiblement plus à l'aise dans une production nettement moins
grotesque que trois années auparavant, offre une Norma dans la
lignée de ce que le disque nous a déjà donné d'elle. A ses
côtés l'une des plus touchantes Adalgisa de la discographie: une
Tatiana Troyanos superbe de voix et d'investissement. Francisco
Ortiz n'est que solide vocalement: il a tendance à beugler
davantage qu'il ne chante et est physiquement dépourvu de
séduction. En revanche, très bel Oroveso de Justino Diaz. Richard
Bonynge, lui aussi nettement plus à l'aise ici qu'en 1978, dirige
avec flamme un orchestre d'une qualité moyenne mais survolté.
La production, sans
être exceptionnelle, a au moins le mérite d'éviter la laideur et
le ridicule qui nous gâchaient tant l'œil à Sydney.
Un document à
connaître et de beaucoup préférable à celui de 1978!
J.R.
IV. Les Normas
modernes
DECCA 414 476-2
(3CDs) - London 1984 (studio)
Joan Sutherland (Norma), Montserrat
Caballé (Adalgisa), Luciano Pavarotti (Pollione), Samuel Ramey
(Oroveso) - Richard Bonynge (direction musicale)
Presque vingt ans
après sa première intégrale studio et forte d'une fréquentation
régulière du rôle à la scène, Dame Joan Sutherland décide en
1984 de réenregistrer le chef d'œuvre de Bellini! Autant le dire
tout de suite, il va de soi que la vision proposée ici est
sensiblement différente que celle de 1964. La voix de Sutherland a
incontestablement mûri et s'est assombrie ce qui ne lui enlève pas
pour autant sa spectaculaire virtuosité. La différence majeure ici,
c'est un approfondissement psychologique du personnage: Norma souffre
en tant que femme, amante et mère davantage peut-être qu'en 1964 où
Sutherland privilégiait l'aspect quasi-divin du personnage.
A ses côtés, une
ex-Norma prêtant le charme de son timbre à une Adalgisa plus
philologique qu'à l'accoutumée: Montserrat Caballé. Le résultat
est saisissant car la diva espagnole apporte au rôle une fragilité
et une féminité inhabituelles et bienvenues! Le seul petit regret
que l'on pourrait formuler c'est que dans les duos, la fusion de leurs
deux voix n'est pas totalement homogène, moins en tout cas que les
tandems Sutherland/Horne (1964) ou Suliotis/Cossotto (1967).
Luciano Pavarotti,
partenaire préféré de la diva australienne, ne pouvait s'abstenir
de laisser son Pollione à la postérité: le résultat est dans
l'ensemble plutôt convaincant même s'il ne fait aucun doute que
jamais il n'aurait pu assumer ce rôle à la scène. Ici le ténor
italien aborde Pollione comme Edgardo de Lucia di Lammermoor,
ce qui est une erreur. Rappelons tout de même que Pavarotti, c'est
Nemorino de l'Elisir d'amore, Tonio de La Fille du Régiment,
Le Duc de Mantoue de Rigoletto et que ses incursions dans un
répertoire plus lourd ont contribué à amoindrir ses moyens vocaux!
Or, Pollione, c'est Franco Corelli et dans une moindre mesure Mario
del Monaco ou Placido Domingo! Ici Pavarotti étale un timbre de
lumière allié à une belle projection vocale mais il lui manque
l'arrogance d'un timbre corsé et la flamboyance d'un ténor presque
spinto.
Enfin, Samuel Ramey
impose le meilleur Oroveso de toute la discographie à tel point qu'on
se demande parfois en l'écoutant ce qu'on avait pu trouver de positif
aux autres. Tout y est: beauté du timbre, maîtrise technique,
caractérisation du personnage.
Richard Bonynge a, lui
aussi, évolué dans sa conception de l'œuvre. sa lecture s'attache
à mettre en évidence des détails orchestraux inouïs jusqu'ici
offrant aux chanteurs un magnifique écrin. Seule petite réserve:
l'aberration du tempo d'entrée des gaulois au deuxième acte suite à
l'appel de Norma empêchant matériellement les choristes d'entrer en
scène! Mais il est vrai que nous sommes dans un studio.
J.R.
OPERA D'ORO OPD-1183
(2CDs) - Firenze Teatro Comunale 16.06.1994 (live)
Jane Eaglen (Norma), Eva Mei
(Adalgisa), Vincenzo La Scola (Pollione), Dimitri Kavrakos (Oroveso) -
Riccardo Muti (direction musicale)
Récemment enregistré
en public (sur plusieurs soirées) pour Emi Classics, cette Norma
nous est ici proposée dans l'intégralité d'une seule et unique
représentation par Opera d'Oro.
Coutumière des grands
rôles wagnériens et pucciniens, Jane Eaglen semble complètement
dépassée par le rôle le plus exigeant du répertoire bellinien. Sa
Norma, toute en force et en puissance, manque totalement de finesse et
d'imagination. De toute évidence, la soprano ne possède ni la voix,
ni le style pour aborder le répertoire romantique italien: elle n'est
ni Sutherland, ni Callas. Seul son tempérament et sa conviction dans
l'accent permettent d'ébaucher quelques traits judicieux de son
personnage, laissant peu de place à la poésie et à l'élégie de
ses arie: il suffit, pour s'en convaincre, d'écouter son
"Casta diva" certes, bien mené du début à la fin
mais qui n'en reste pas moins dépourvu de toute son essence
bellinienne, comme si la cantatrice s'était contentée d'aligner les
notes les unes à côté des autres, sans jamais se soucier du
discours musical. Que dire alors, des passages vocalisants ou des
rares tentatives d'ornementation? Jane Eaglen semble perdue dans un
univers qui lui est totalement étranger, incapable de vocaliser
correctement, en proie à des tempi meurtriers où à aucun
moment l'orchestre ne lui apporte le soutien nécessaire.
Adalgisa, rendue à sa
tessiture de soprano, trouve en Eva Mei une interprète sensible,
précise et convaincante, à la couleur de voix idéale, mais à
l'expression vocale parfois fixe et métallique, notamment dans
l'extrême aigu. Toutefois, malgré les difficultés rencontrées par
Jane Eaglen, les deux sopranos offrent ici l'archétype même des
couleurs de voix des deux héroïnes: Norma, sombre et dramatique;
Adalgisa, claire et juvénile.
Dimitri Kavrakos
(Oroveso) est une basse vacillante, peu stable, mais à l'accent juste
et à l'articulation précise, tandis que Vincenzo La Scola chante
avec passion un Pollione très convenable, mais auquel il manque
l'insolence des aigus d'un Pavarotti, ou encore la verve d'un Corelli
ou d'un Del Monaco!
Riccardo Muti, quant à
lui, impose implacablement sa vision de l'œuvre, ne laissant aucune
liberté d'action aux chanteurs, et précipitant l'orchestre dans des tempi
effrénés, où l'urgence dramatique vient jusqu'à étouffer la
poésie de l'ouvrage. Muti, puriste dans l'âme, tue l'essence même
du genre romantique, sacrifiant à un soi-disant retour aux sources,
l'ivresse du chant bellinien, qu'il soit passionné, extatique ou
encore désespéré.
Y.M.
EMI 5 55471 2 (2CDs)
- Florence 06.1994 (live)
Jane Eaglen (Norma), Eva Mei
(Adalgisa), Vincenzo La Scola (Pollione), Dimitri Kavrakos (Oroveso) -
Riccardo Muti (direction musicale)
Peu de choses à rajouter
par rapport à ce qui a été dit juste au dessus si ce n'est pour
signaler l'évidente plus-value sonore apportée par les micros d'EMI
et qui permet de se faire une idée plus précise du travail
orchestral mené par Riccardo Muti mais qui dans la foulée trahit, en
les passant à la loupe, Jane Eaglen, véritablement hors - propos
dans Norma et Vincenzo La Scola dont le timbre apparaît très
métallique et aigre!
J.R.
Enregistrement
Privé - Amsterdam 16.01.1999 (live)
Nelly Miricioiu (Norma), Violeta Urmana
(Adalgisa), Carlo Ventre (Pollione), Dimitri Kavrakos (Oroveso) -
Maurizio Barbacini (direction musicale)
Nelly Miricioiu, à
l'instar d'Hasmik Papian (magnifique et très impressionnante Norma à
Orange, en 1998), semble aujourd'hui l'un des seuls sopranos en mesure
d'affronter Norma: son timbre est séduisant, corsé, aux accents
très marqués; la voix possède une certaine envergure, bien
projetée, et sait se colorer de la manière la plus subtile qui soit.
Sa Norma est digne et autoritaire, élégiaque aussi, mais ne peut
empêcher la comparaison avec l'interprétation légendaire de Maria
Callas. En effet, dès son entrée en scène "Sediziose voci !",
Miricioiu emprunte à la Divine nombre de ses accents… un procédé
qui finit par agacer à la longue! Pourtant son "Casta diva"
est proprement envoûtant : la ligne de chant quasi ininterrompue
porte la voix de la Diva roumaine aux confins d'une mélancolie et
d'une poésie rarement atteintes. Sans doute moins virtuose que ses
consœurs (Sutherland en tête!), Nelly Miricioiu sort victorieuse
d'un "Ah ! Bello, a me ritorna" rendu à la plus pure
tradition belcantiste.
Plus connue pour ses
incomparables Kundry que pour ses incursions dans le répertoire
romantique italien, Violeta Urmana trouve en Adalgisa un rôle qui
sied bien à son timbre de voix, mais dont le style lui est
parfaitement étranger. Cependant, sa voix sait se plier aux exigences
de la partition, évitant la plupart des écueils, sans jamais perdre
de vue la psychologie de son personnage. Les duos remarquables
d'équilibre - Miricioiu constamment à l'écoute de sa partenaire (et
vice-versa) - sont soutenus par la direction sensible de Maurizio
Barbacini malgré quelques lourdeurs dans les charges orchestrales.
Carlo Ventre est un
interprète très insuffisant, tandis que Dimitri Kavrakos continue à
se fourvoyer dans un rôle qui ne lui convient plus depuis longtemps.
Y.M.
Enregistrement
Privé - Paris, Opéra Bastille 19.06.2000 (live)
June Anderson (Norma), Sonia Ganassi
(Adalgisa), Johan Botha (Pollione), Giacomo Prestia (Oroveso) - Bruno
Campanella (direction musicale)
Après avoir abordé à
la scène les principaux rôles du répertoire belcantiste, June
Anderson affronte depuis quelques années la terrible tessiture du
chef d'œuvre de Bellini.
D'abord Norma à
Chicago, Anderson offre à Paris une Norma épurée et respectueuse du
style. La voix est ample, bien projetée, parfois même autoritaire,
mais ne parvient pas toujours à trouver de justes intonations.
Certes, le style est impeccable, mais la voix a perdu les couleurs et
les accents qui firent sa gloire, il y a encore quelques années.
Aussi, la soprano américaine égraine-t-elle sans véritable passion
les notes d'un "Casta diva" aux tempi
considérablement ralentis, laissant sa voix s'abandonner à une
certaine indolence, dans des sonorités souvent blanches et
métalliques. Que dire alors des duos avec l'Adalgisa de Sonia
Ganassi, où Anderson semble imposer au chef ses propres tempi,
désamorçant le drame bellinien dans ses moments les plus intenses?
Que dire également de ces reprises supprimées, notamment dans "Ah
! Bello, a me ritorna", privant ainsi l'œuvre de toute
ornementation? Même Callas, dont certains voient en June Anderson la
légitime héritière, s'était autorisée en public un percutant
contre-ré, à la fin de l'acte I… Ici, Anderson qui pourtant
possède les notes, se contente de suivre scrupuleusement la
partition, incapable de rehausser son chant du moindre ornement.
Difficile de juger la
prestation de Sonia Ganassi, tant les tempi du chef semblent
l'handicaper… Son timbre sait néanmoins se fondre dans les couleurs
de bronze du rôle, et les duos seraient presque réussis si Anderson
n'était pas constamment aux prises avec un vibrato de plus en plus
envahissant.
Johan Botha est un
Pollione absolument inacceptable: son chant est frustre, peu stylé,
tandis que le timbre s'engorge dans les aigus, en dépit d'un très
agréable médium. Giacomo Prestia, quant à lui, est sûrement l'un
des meilleurs Oroveso actuellement en activité: son chant est
exemplaire, bien mené et très stylé, et son interprétation
fouillée force le respect… une voix à suivre qui tient déjà ses
plus belles promesses!
Bruno Campanella, trop complaisant
envers la soprano américaine, adopte une direction d'orchestre
littéralement aberrante; à aucun moment il n'est capable de donner
le ton juste à son orchestre, coupant çà et là la partition,
supprimant un bon nombre des reprises. Campanella, pourtant coutumier
du répertoire belcantiste, montre ici le plus profond mépris envers
une partition qu'il croit défendre… Or Norma n'est pas
n'importe quelle partition! Elle souffre tout, excepté le
désintéressement et la médiocrité!
Y.M.
V. Les prochaines
Normas
Quel avenir au disque
pour Norma?
Certes l'industrie du
disque "live" est chaotique, mais elle nous livre
régulièrement de grands témoignages du passé; ainsi trouve-t-on
telle ou telle illustre Norma sous des labels différents, ou
bien encore telle ou telle anthologie réunissant des extraits d'une
Norma oubliée ou que l'on croyait à jamais disparue (les extraits de
Norma de Callas à Buenos Aires, en 1949, ou bien encore celle de
Shirley Verrett, d'abord publiée en extraits avant d'être restituée
dans son intégralité).
Quant à l'industrie du
disque officiel, elle reste très timide en ce qui concerne l'édition
d'œuvres du répertoire romantique italien, préférant se réfugier
dans des "valeurs sûres".
Nightingale Classics,
qui souhaite s'imposer comme une figure de proue du répertoire
belcantiste, au même titre que Bongiovanni ou Opera Rara, devrait
bientôt enregistrer une nouvelle Norma à l'occasion de sa
prise de rôle par Edita Gruberova (en 2003-2004). La soprano
d'origine slovaque sera alors âgée de près de 60 ans (comme Joan
Sutherland en son temps)! Consciente des limites que lui impose sa
voix (il lui manque la voix sombre et corsée d'une Verrett ou d'une
Gencer) , elle reconnaît elle-même ne pas venir naturellement au
rôle de Norma, semblant plutôt préoccupée par l'envie de
satisfaire aux désirs de ses plus fidèles admirateurs… Ceci dit,
Beverly Sills avait su, en son temps, adapter le rôle à ses moyens,
tant au disque qu'à la scène, et Gruberova peut encore surprendre
plus d'un de ses détracteurs! Dans une interview accordée récemment
à la presse spécialisé, elle confirme sa volonté d'interpréter le
"Casta diva" dans sa tonalité originale de sol
majeur… peut-être aurons-nous la chance alors d'avoir une Adalgisa
restitué à sa juste tessiture (bien que la superlative Vesselina
Kasarova soit prévue dans la plupart des distributions)?
Plus proche de nous,
Luana de Vol (excellente straussienne et wagnérienne) ambitionne, à
près de 60 ans (!) d'affronter sa première Norma à Essen, en
Allemagne, le 29 juin et les 3, 5, 12 et 14 juillet 2000… peut-être
le "disque privé" nous laissera-t-il un témoignage de
cette Norma, a priori incongrue, en espérant qu'elle sera loin
des désastreuses incursions de Gwyneth Jones ou Anna Tomowa-Sintow
dans ce répertoire.
Il reste que l'amateur
de lyrique fait une bien triste mine lorsqu'il contemple l'avenir de
Norma et de ses sœurs romantiques, les interprètes d'exceptions se
faisant de plus en plus rares…
Yann Manchon
Vous trouverez ici un
supplément critique réalisé par Yonel Buldrini
N O R M A - Par Yonel Buldrini
Enregistrements officiels et bandes "privées"….
[Ici s’insèrent tableaux et commentaires de Yann Manchon, dit : Giovanni Manicotto…
…auxquels s’ajoutent les miens, qui suivent, et concernent des versions non possédées par lui, et dont il était dommage de ne pas parler.]
Une NORMA vraiment originale ?…
A l’occasion du bicentenaire de la naissance de Vincenzo Bellini, le Teatro Regio de Parme a opéré un patient travail de reconstitution de partition originale, comprenant également le retour à des instruments identiques à ceux pour lesquels Bellini écrivait les diverses parties de ses opéras. On trouvera donc, dans les mains des 53 instrumentistes retenus par leur premier violon et chef d’orchestre Fabio Biondi, notamment des flûtes et des hautbois en… bois !
Techniquement, la variation progressive du diapason ayant glissé de pratiquement un ton, si l’on veut conserver la tonalité originale pensée par Bellini, il ne faut pas suivre son indication de Fa majeur reportée par les partitions d’aujourd’hui mais choisir un Sol majeur, plus proche de ce qu’était le Fa de l’époque de Bellini ! C’est la tonalité adoptée par certaines interprètes comme Joan Sutherland dans son premier enregistrements studio, ou June Anderson dans cette curieuse reprise parmesane.
Norma, June Anderson,
Adalgisa, Daniela Barcellona
Pollione, Smith Yong Hon ? remplaçant Ivan Momirov
Oroveso, Ildar Abdrazakov
Clotilde, Svetlana Ignatovitch
Flavio, Leonardo Melani
Orchestra Europa Galante
Coro del Verdi Festival
Primo Violino e Direttore, Fabio Biondi
Maestro del Coro, Martino Faggiani
Parma, Teatro Regio, 13–03-2001
Retransmis en direct par la R.A.I. Radiotelevisione italiana (radio), puis en différé par la télévision.
June Anderson impressionne encore par l’épaisseur de son timbre et sa relative agilité. L’aigu est un peu étriqué et durci, et ses attaques « traînantes », ses sons plaintifs sont toujours un peu exaspérants, mais l’interprète fait preuve d’un métier certain.
Daniela Barcellona est une appréciable Adalgisa pour son timbre rond et charnu, sans être « gras » comme celui de M. Horne, et sa capacité à atteindre facilement des aigus ni étranglés ni forcés !
Smith Yong Hon ? [orthographe incertaine] remplaçant Ivan Momirov allie la vaillance à la chaleur, ce qui est déjà intéressant, si l’on pense aux chanteurs frustes ayant souvent sévi dans le rôle ingrat du proconsul.
L’Oroveso de Svetlana Ignatovitch, à peine plus âgé de vingt ans et déjà vainqueur du prestigieux « Concorso Callas » de la RAI, impressionne par la noirceur de son timbre et la belle tenue de son interprétation. On ressent, même à le seule audition, l’impression suggérée par cette appréciation finale émerveillée du commentateur de la RAI, et qu’il n’est pas besoin de traduire ne français : « una presenza scenica di assoluta autorità ».
Fabio Biondi est parfois une catastrophe de non-sens, comme la pauvre marche des Gaulois prise sèchement et à toute allure, ce qui ne la fait pas passer plus vite mais la ridiculise en l’expédiant ! F. Biondi est capable de « respirations gavazzeniennes » comme de brûler les ailes à la musique : l’admirable passage « Mira, o Norma », par exemple, est pris trop vite, ce qui le « liquide » en brisant sa magie qui suspend merveilleusement le temps autour de l’auditeur ! La célèbre Stretta du même duo laisse perplexe, tant le tempo est "élastifié" et assoupli, (en cela, plus gavazzenien que jamais !), pour le thème habituellement sautillant, puis, brusque et précipité dans la « bridge section » reprise dans la conclusion orchestrale, tout cela dans un fracas de cuivres (les trombones… d’époque ! ).
Les autres instruments offrent eux-aussi leur déplorable et déroutante sonorité : les cordes aigres (désagréables même lorsqu’elles « s’accordent » !) nous privent d’un moelleux convenant si bien aux sonorités on ne peut plus caressantes de Bellini. L’agressif hautbois sec et péremptoire, insupportable lorsqu’il double les voix en fureur de la Stretta du Finale primo….et de sa sonorité menuet Louis XIV, démystifiant le dramatisme du passage. Les cors assourdissants, le fracas coin-coingnant des trombones, les timbales au son « rentré » et ronflant mais sans rondeur et très « frappant », genre « feux d’artifices royaux » ! à tel point qu’on se croit projeté à des joutes du Moyen Age lorsqu’elles interviennent ; des cymbales sèches et métalliques et n’éclaboussant guère du brillant habituel…
On comprend vraiment le commentateur, qui, devant le succès final, réalise à grand peine que six jours plus tôt, au même moment, c’était le "finimondo", la fin du monde, selon son expression voulant montrer les protestations du public ! Le présentateur des studios à Rome en conclut avec sagesse que l’histoire se répète, comme lors de la création désatreuse de Norma ! (Y.B.).
* *
*
Une curiosité
ou Bellini +Wagner = Verdi jeune !
Par un beau soir de juin 1971, l’Opéra de Boston reprit Norma… jusqu’ici, rien de particulier, mais l’originalité de cette représentation consistait à remplacer l’air avec choeur d’Oroveso (Acte II, 2ème tableau) par celui que Wagner réécrit avant de comprendre que les opéras de Bellini n’étaient pas réorchestrables !
Nous n’entendons ici que le Oroveso de Donald Gramm, l’orchestre du Boston Lyric Opera et la direction de Sarah Caldwell mais rappelons tout de même que Norma était la grande Beverly Sills, Adalgisa, Beverly Wolff et Pollione, John Alexander. L’enregistrement pirate du 11 juin existerait en totalité, mais le seul extrait porté à notre connaissance est précisément ce curieux air du chef des druides Oroveso.
La « réécriture » date de 1837 et il est intéressant de comparer la composition de Wagner à ce qui se faisait à la même époque. Que connaissons-nous aujourd’hui des opéras italiens de 1837 ? Un chef-d’œuvre : Roberto Devereux de Gaetano Donizetti, d’autres opéras fort intéressants du même Donizetti : Pia de’ Tolomei et Maria de Rudenz et Il Giuramento, considéré habituellement comme le chef-d’œuvre de Saverio Mercadante. Ceci dit, cette réécriture de Wagner n’a rien en commun, comme « air du temps », avec les opéras à peine cités… ni même avec ce que l’on connaît de Wagner ! Il nous lègue en fait, et c’est étonnant de le constater, un air héroïque plus verdien que nature… à une époque où Verdi n’a pas encore composé ! (son premier opéra, Oberto conte di san Bonifacio, ne date que de 1839).
Après quelques mesures d’introduction encore de Bellini, la musique change brusquement sur des accord amers et tourmentés des cuivres. L’air proprement dit sonne comme une mauvaise Cabaletta caricature du Verdi de jeunesse le plus flamboyant et le plus raccoleur !… mais ce mélange romantique de gravité et d’héroïsme triomphant et ostentatoire, demeure fortement sympathique et à tel point que le public fait un triomphe à Donald Gramm – qui termine par un aigu méritoire - et aux choeurs de l’Opéra de Boston, menés avec une belle flamme par Sarah Caldwell.
En fait de réorchestration, c’est plutôt une recomposition totale… et d’un Wagner inhabituel, qui ravirait plus d’un amateur de Meyerbeer ! (Y.B.).
* *
*
La confrontation Callas / Callas, à cinq mois de distance !
Norma : Maria Callas
Adalgisa : Ebe Stignani
Pollione : Mario Del Monaco
Oroveso : Giuseppe Modesti
Clotilde : Rina Cavallari
Flavio : Athos Cesarini
Orchestra sinfonica e Coro di Roma della radiotelevisione italiana
Maestro del Coro : Nino Antonellini
Maestro Concertatore e Direttore : Tullio Serafin
Roma, Auditorium della RAI, 29 giugno 1955
Norma : Maria Callas
Adalgisa : Giulietta Simionato
Pollione : Mario Del Monaco
Oroveso : Nicola Zaccaria
Clotilde : ?
Flavio : ?
Orchestra e Coro del Teatro alla Scala di Milano
Maestro del Coro :
Maestro Concertatore e Direttore : Antonino Votto
Milano, Teatro alla Scala, 7 décembre 1955
Grande année que cette 1955 : Andrea Chénier avec Mario Del Monaco et l’autorité du chef Antonino Votto, La Sonnambula avec Cesare Valletti et Leonard Bernstein, la célèbre production viscontienne de La Traviata avec Giuseppe Di Stefano, Ettore Bastianini, tous magnifiés par le chef Carlo Maria Giulini, Il Turco in Italia avec le Maestro Gavazzeni, l’enregistrement de Madama Butterfly avec von Karajan, cette Lucia di Lammermoor légendaire à Berlin et toujours avec le maestro von Karajan… magnifique année de rôles incroyablement diversifiés et qui allait se conclure par la plus prestigieuse des inaugurations de saisons, celle du Teatro alla Scala.
On l’a dit et redit : le magnétisme, le charisme de Callas place d’emblée l’auditeur sous le charme : l’attaque du Recitativo de « Casta Diva », ces mots célèbres « Sediziosi voci », captive par son autorité, cette raucité particulière du timbre étonne et captive… et ne nous libère plus ! L’air proprement dit est un irrésistible miracle, au charme indicible et faisant vivre le génie bellinien. L’écoute attentive et quasi simultanée de chaque morceau de ces deux interprétations devrait montrer pourquoi celle de la RAI a toujours été considérée comme la meilleure de Callas… la divina semble en effet, dans les studios de la RAI, être habitée d’une mystérieuse croyance, qui illumine chaque mot, chaque inflexion, et tout autour d’elle !
Le son un peu plus « cotonneux » pour employer le terme consacré, de l’enregistrement de la Scala, lime quelque peu notre perception de l’interprétation de Callas, mais elle semble tout de même, comment dire ?… plus rêveuse, plus méditative… Mais la Scala a d’autres avantages, la sonorité du plus bel orchestre du monde pour cette musique et la vie de la scène : si à la RAI le public se contient quelque peu, à la Scala il applaudit frénétiquement, unanime, en un seul cri spontané et par dessus la musique ! Comme en conclusion de la Cabaletta du « Casta Diva », lorsqu’explose la marche… quelle belle émotion d’entendre le public réagir passionnément. Il le fait encore, après la dénonciation de Norma qui lance un sublime « Son’io » et tient la note, qui dure, qui dure !… Et ce débordement d’enthousiasme à la fin de l’Acte I (même si la Stretta finale est plus coupée encore à la Scala qu’à Rome !), débordement véritablement unanime que l’éclaboussant fracas des cymbales domine à grand peine !
Dans son interprétation, Callas demeure le phénomène que l’on connaît : tantôt tendre, tantôt brûlante, mais toujours précise dans la parole, attentive à chaque mot. Au début du second acte est placée une simple Scena « Teneri figli », même pas un air, et l’art sublime de Callas va jusqu’à lui faire briser sa voix, lorsqu’elle est elle même paralysée par l’émotion qui la saisit au moment de lever le poignard sur ses enfants (l’effet est un peu plus évident à la RAI mais elle le fait également à la Scala).
Bouleversante, déchirante est enfin Callas, à Rome comme à Milan – mais est-il besoin de le (re)dire ?! - dans le sublime Concertato finale qui nous laisse, la gorge serrée, un peu éperdu.
Les partenaires de la divina ne déméritent pas, à commencer par l’ineffable Mario Del Monaco, magnifiquement égal à lui-même ! Fougueux au possible, mais sans les petites outrances du studio. Ebe Stignani est le mezzo-soprano méritant que l’on sait, même si sa voix sonne ici pâteuse et ses aigus parfois pénibles… il faut rappeler qu’elle arrivait à sa fin de carrière, après avoir été la première Adalgisa du disque… mais du disque 78 tours, et en 1939 ! et lorsque Callas l’interpelle par ce charmant « giovinetta », on ne peut que sourire, mais l’histoire de l’interprétation d’opéras est riches en pères plus jeunes que leurs enfants. Giulietta Simionato est une Adalgisa plus jeune mais également plus vibrante, comme le veut le rôle de cette jeune prêtresse sur le point de prononcer ses vœux. A l’inverse de Stignani, pour elle, il n’est pas besoin de « traficoter » la Stretta du premier duo avec Norma, afin de remplacer par une quelconque fioriture, le terrible aigu, si difficile à atteindre (car sans progression). D’ailleurs si un murmure s’élève dans la salle à ce moment, c’est pour Callas, qui pourtant l’a atteint avec dignité, cet aigu ! La Simionato « bat » facilement la pauvre Stignani, pourtant attentive et soignée, dans la Stretta du célèbre duo « Mira, o Norma », où la virtuosité – avec aigu facile et juste ! - est indispensable.
Le très correct Giuseppe Modesti, à la RAI, (sans faire de jeu de mots sur son nom) ne peut être comparé à Nicola Zaccaria qui a déjà un timbre plus ample et somptueux. On comprend qu’il ait été un comprimario efficace.
Tullio Serafin est pesant et brusque, Antonino Votto « appuie » ou plutôt souligne également, mais avec une souplesse particulière. La brusquerie de Serafin qui « hache » souvent ses tempi, se remarque notamment dans le chœur des druides (Acte II, 2e tableau), venu tout droit de Bianca e Fernando, en passant par Zaira, on apprécie alors la mesure, la finesse de Antonino Votto. Remarquons que cette brusquerie serafienne va bien au chœur sauvage « Guerra, guerra !! », même si on frôle les décalages.
La conclusion est simple : il faudrait posséder les deux enregistrements, celui de la RAI de Rome pour Callas et celui du Teatro alla Scala pour tout et tous ! (Y.B.).
* *
*
Héritières de Callas ?
Une version à ne pas oublier !
Norma : Elena Suliotis
Adalgisa : Fiorenza Cossotto
Pollione : Mario Del Monaco
Oroveso : Carlo Cava
Clotilde : Giuliana Tavolaccini
Flavio : Athos Cesarini
Orchestra e Coro dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia in Roma
Maestro del Coro : Giorgio Kirschner
Maestro Concertatore e Direttore : Silvio Varviso
Decca Stereo SET 368-9 ( 2 LP)
Enregistré à Rome, en 1968.
Il faut d’emblée établir un fait reconnu par Decca dans la plaquette originale accompagnant les deux trente-trois tours : il s’agit d’une version abrégée, et se voulant expérimentale, en quelque sorte. Outre les coupures habituelles des représentations scéniques, disparaît le deuxième tableau du second acte (concenant le chœur et Oroveso). D’après A Note by the producer imprimé dans la plaquette, Decca possédant déjà un enregistrement intégral, tenta de restituer ici l’aspect dramatique de la figure de Norma, trop adouci par la tradition dont les accomodements finissent par aboutir à une « excessive sentimentalité ». Un exemple flagrant réside dans la « nécessaire férocité des paroles « In mia man’ alfin tu sei » [Duetto Norma-Pollione, Atto II°] tendant à être sacrifié à la beauté vocale ».
Mario Del Monaco est un Pollione péremtoire, impétueux et emportant tout sur son passage ! Son Legato caressant séduit tant qu’on passe sur certains sons ouverts, sur certaines outrances, certains effets un peu frustes, mais au moins, tant qu’à faire un Pollione péremtoire et fruste, saluons le panache et la justesse, l’assurance désarmante du grand ténor, qui gagne bien sa place aux côtés de Beniamino Gigli, autre phénomème vocal du siècle.
Elena Suliotis est surprenante par la consistance de sa voix évidemment callassienne mais également par la belle maîtrise qu’elle en a, lui permettant de multiplier les piani, autant que sa technique lui concède d’attaquer dignement les embellissements de la ligne vocale. Elle restitue, par exemple, de manière impressionnante cette « férocité » dont parle le producteur, dans la Stretta du Finale I, n’omettant pas d’y faire également des nuances ! Exemplaire de pianissimo et de sensibilité, sa Scena « Teneri figli ». Et quelle attaque du duo « In mia man’ alfin tu sei » à la raucité, à la sauvagerie donnant le frisson… même si Del Monaco qui ne se laisse pas faire fait craindre l’empoignade !…
Fiorenza Cossotto campe une impétueuse et vibrante Adalgisa et son timbre coupant ne gêne pas trop dans ce rôle… l’aigu est juste, sûr et tenu, ce qui n’est pas souvent le cas chez les autres interprètes de la jeune prêtresse.
L’Oroveso de Carlo Cava est limité à l’Introduzione mais son interprétation est toute dignité.
Silvio Varviso est énergique dès l’ouverture et autant qu’il le peut, sans brûler les ailes à la musique de Bellini qui a tant besoin d’expansion tranquille. Admirables ses accélérations et ralentissements dans la linéaire et tellement répétitive (d’autant qu’on y opère les habituelles coupures la rendant plus monotone encore) Stretta finale du Duetto Adalgisa-Pollione, qui comme disait Bellini, « ne plaira jamais car il ne plaît déjà pas à moi-même. » (Y.B.)
Surtout une question de timbre…
Norma : Lucia Aliberti
Adalgisa : Ildiko Szönyi
Pollione : Juraj hurny
Oroveso : Konstantin Sfiris
Clotilde : Fran Lubahn
Flavio : Walter Pauritsch
Chor und Extrachor der Grazer Oper
Das Grazer philharmonische Orchester
Musikalische Leitung : Wolfgang Bozic’
Graz, Oper,12.11.1993
Cet enregistrement présente une exécution sans coupure et l’on ne peut être indifférent aux accents callassiens de Lucia Aliberti ! La ressemblance est parfois frappante et l’interprète sensible, il est d’autant plus dommage qu’il y ait des piani ratés ou des aigus approximatifs. Les autres personnages sont bien tenus et la direction, souvent intéressante de dynamisme sans brusquerie outrancière…
Il faudrait confronter l’interprétation de Lucia Aliberti à celle des autres voix callasiennes comme Maria Dragoni, Silvia Sass… (Y.B.)