L'Opéra Naturaliste Français
un dossier proposé par Vincent Deloge

 
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Gustave Charpantier
compositeur naturaliste ?
par Hervé Lussiez


Photo - Gustave Charpentier


Dur travail, que Forum Opera me demande de réaliser dans le dossier Naturalisme. Gustave Charpentier, compositeur tant décrié, critiqué, abhorré, adulé n' est connu principalement que pour son opéra Louise, créé en 1900, œuvre presque aussitôt épinglée de l'étiquette Naturaliste. Qu'en est-il vraiment ? Cet ouvrage est resté à l' affiche jusqu'à nos jours ; même si certains vantent les mérites éminemment plus louables des compositions de Bruneau, Lazzari… restées un " rêve frappé de lèpre " à nos oreilles devant l'impressionnant " ouragan " discographique de Louise.


Charpentier est né à Dieuze le 25 juin 1860 d'une famille lorraine fort modeste. Son père, boulanger, était musicien amateur et donna les premiers cours au jeune Gustave. Puis ce fut la guère et toute la famille s'installa à Tourcoing où l'enfant put parfaire dans sa ville puis à Lille son éducation musicale dans les classes de violon et d' harmonie. La ville de Tourcoing vota une pension pour que le jeune musicien puisse faire ses études au Conservatoire de Paris. Il gravit lentement les marches de la réussite avec des prix d'écriture (1885-1886.)

Il se présenta au prix de Rome en mai 1887 et il fut reçu premier grand prix avec la cantate Didon (sur les Prix de Rome.) A la Villa Médicis entre 1888 et 1890 il composa une bonne partie de son œuvre, La vie du poète, les Impressions d'Italie et le premier acte de Louise. De retour à Paris, il termine Louise. Il fut promu chevalier de la légion d'honneur en 1900, officier en 1922, commandeur en 1930 et grand officier en 1950. Il entra à l'Académie des Beaux- Arts dès sa première tentative en 1912 en remplacement de Massenet. 

En 1913 il donna une suite à Louise avec Julien ou la vie d'un poète récemment repris en Allemagne .Œuvre pleine de belles pages musicales dans un livret un peu maladroit toutefois, elle a connu un certain succès contrairement à ce que toutes les histoires de la musique affirment. Charpentier composa peu. Il mourut à 96 ans en 1956.

Catalogue des oeuvres

Avant de présenter et discuter la problématique de Louise je pense qu il est essentiel de vous présenter le catalogue de ce compositeur. Heureusement, ce n’est pas l’œuvre pléthorique de Saint-Saëns. Cela tient en quelques lignes

Opéras

* Louise (roman musical, 4, avec Saint-Pol-Roux), 1889-96, OC (Favart), 2 février 1900

* Julien, ou La vie du poète (poème lyrique, prol, 4), 1913, OC (Favart), 4 juin 1913 [basé sur la partition de La vie du poète, Impressions fausses et Louise]

* L'amour au faubourg (drame lyrique, 2), c 1913, non représenté

* Orphée (légende lyrique, 4), 2 actes terminés selon Delmas (1931)

Autres oeuvres dramatiques

* Didon (scène lyrique, A. de Lassus), 1887 

* La vie du poète (symphonie-drame, 3), solo vv, chorus, orch, 1888-9, rev. 1890-92, Conservatoire, 18 mai 1892

* Sérénade à Watteau (P. Verlaine), solo vv, chorus, orch, 1896, Jardin du Luxembourg, 8 novembre 1896 également arr. 1v (1896)

* La couronnement de la muse (spectacle, 9 sections), solo vv, choeurs, orch, début 1897, Nouveau-Théâtre, juin 1897 [d'après Louise, Acte 3 scène 3], rev. Avec ajouts dt Chant d'apothéose no.4, 1902

* Le chant d'apothéose (spectacle, 5 sections, with Saint-Georges de Bouhélier), S, T, Bar, chorus, orch, début 1902, Place des Vosges, fin de l'été 1902]

* La vie féerique (film scenes), 1v, orch, après 1913, projet

Autres oeuvres vocales (pour une voix et piano - sauf précision)

La petite frileuse (J.L. Guez), 1885 (1894); A une fille de Capri (L. Puech), 1888 (1889); Prière (E. Blémont), 1888 (1888); A mules (J. Méry), 1890 (n.d.) [paraphrase d'Impressions d'Italie no.3], également arr. Bar, female vv, orch (n.d.); Chanson d'automne (Verlaine), 1890 (1890); La cloche fêlée (C. Baudelaire), 1890 (1890)

La chanson du chemin (C. Mauclair), S, T, female vv, pf, 1893 (1893), orchd (n.d.); Les chevaux de bois (Verlaine), 1893 (1893), également arr. S/T, female vv, orch (n.d.); Complainte (Mauclair), 1893 (1893); Parfum exotique (Baudelaire), 1893 (1894), également arr. T/S, female vv, orch (n.d.); Les trois sorcières (Mauclair), 1893 (1893); Allégorie (G. Vanor), S/T, female vv, orch, 1894 (1894), also arr. 1v, pf (1895)

Impressions fausses (d'après Verlaine), Bar, male vv, orch, 1894 (1895), également arr. 1v, pf (1895): 1 La veillée rouge, 2 La ronde des compagnons; La musique (Baudelaire), 1894 (1894); Les fleurs du mal (Baudelaire), 1895 (1895): 1 Les yeux de Berthe, 2 Le jet d'eau, également orchd, 3 La mort des amants, 4 L'invitation au voyage

Éditions

Le chant populaire (1913) [folksongs inspirées de plusieurs pays]

Orchestre

Impressions d'Italie, suite symphonique, 1889-90 (1892): 1 Sérénade, 2 A la fontaine, 3 A mules, 4 Sur les cîmes, 5 Napoli; Second suite, 1894, détruite par le feu

Munich, poème symphonique, 1911, non publié [devait être le premier d'une série de 'souvenirs de voyage' qui auraient inclus Prague, Vienne et Monte Carlo]

Louise

Louise, créée en 1900, est un des ouvrages de l' opéra français sur lequel les critiques, asséchant leur encrier, s'en sont donnés à cœur joie pour ternir ou sublimer la partition. C'est pourquoi il est périlleux de présenter objectivement cette œuvre. Mettant de coté mes propres valeurs esthétiques je vais essayer de dresser un schéma qui j'espère conviendra à tous. 

Charpentier, vécut le drame de l'action de Louise en 1882 , il songea à en faire un drame en 1887. Il avait voulu faire une œuvre à tendances sociales très violemment accusées. A ce moment il fréquentait le milieu anarchiste.

 "Tout être a le droit d'être libre .Tout cœur a le devoir d'aimer."

Si je vous dis : Le personnage principal est un "notable fermier" Julien, dont le fils unique se marie malgré son père, l'abandonne pour aller vivre avec la famille de sa femme, puis revient avec un bébé et se fait pardonner… Certes ce n 'est pas le livret de Louise (Voir ci-dessous le synopsis de l' opéra.) mais l'histoire du Seigneur bienfaisant, opéra en trois actes composé par Etienne Joseph Floquet (1748-1785) en 1780. En introduction à cette œuvre on trouve

"J'ai laissé la fable et la féerie avec lesquelles on a fait tous les opéras, pour poser sur la scène du monde et offrir aux spectateurs quelques tableaux de la vie humaine, parlant au cœur sans négliger de frapper les yeux……"

Comme déjà Floquet au XVIIIè siècle, Charpentier, musicien poète prend place sur un tramway et se rend dans les faubourgs. Chemin faisant il note les cris de Paris, fraternise avec les ouvriers. Mais attention, comme dans les opéras de Bruneau l'originalité n'est pas de faire chanter sur scène des personnages de la vie commune (en ce cas les Noces de Jeannette et tous les opéras comiques du XVIIIè siècle l'auraient devancé), mais elle consiste exactement à transporter dans le genre sérieux, dans la tragédie lyrique, les sujets qui avaient été traités jusqu' ici à la manière de l'idylle ou de poème faisant tableau de genre.

Paul Morand écrit en 1930 : "C'est Zola en musique, le brave et modeste ouvrier, la soupe fumante, les bons sentiments sous la suspension" pour définir le roman musical en quatre actes et cinq tableaux qu'est Louise.

En effet associer Zola à Charpentier est une tentation facile. Que penser alors de la conclusion de Jean Sébastien Macke dans sa thèse sur Alfred Bruneau et Zola ?

L'opéra naturaliste n'est pas mort. Pour s'en persuader il suffit de constater la diffusion énorme de Louise de Charpentier ; opéra qui, pourtant, contraste singulièrement avec les drames de Zola et de Bruneau tant par sa banalité littéraire que par son peu de profondeur idéologique. Il suffit d'en écouter un extrait pour s'en persuader . C'est d'ailleurs peut-être en cela qu'il est encore écouté et joué de nos jours.

Il est probable que le jugement de Macke critique la nature même du livret mais la musique est tout de même parfois inattendue et novatrice.

L'action

Acte I. Louise (soprano), midinette, fille d'ouvrier, et Julien (ténor), jeune poète pauvre, sont amoureux l'un de l'autre. La mère de Louise (contralto) a surpris une conversation entre les deux jeunes gens - l'une au balcon et l'autre à la lucarne de sa chambre. La discussion qui s'ensuit entre les deux femmes est interrompue par l'arrivée du père (basse), qui demande à sa fille de lui lire le journal. Celle-ci s'exécute et commence sa lecture par "La saison de printemps est des plus brillante. Paris n'est qu'une fête...". Elle répète "Paris..." et sa voix est brisée par les pleurs.

Acte II
(2 tableaux). C'est l'aube à Montmartre. Prélude orchestral : "Paris s'éveille". Parmi les humbles vaquant à leurs occupations, le dernier noctambule (ténor), en haut-de-forme, habit et macfarlane, personnifie la Ville-Lumière et chante "Je suis le plaisir de Paris." Louise se rend à son travail ; Julien l'aborde et cherche à la convaincre d'abandonner sa famille pour aller vivre avec lui. Un peu plus tard, le babillage de l'atelier où travaille soudain : on entend la musique d'une fanfare qui passe dans la rue, puis une voix se détache et entonne une romance. C'est celle de Julien. Louise prétend être prise d'un malaise et en profite pour s'absenter. De le fenêtre, ses compagnes de travail l'aperçoivent qui s'éloigne au bras du jeune homme.

Acte III.
Les deux amants vivent dans une petite maison qui domine paris. Ils invoquent la ville afin qu'elle protège leur bonheur et leur amour. Survient un cortège d'artistes et de grisettes, le "cortège du plaisir", qui vient couronner Louise "muse de Montmartre". Un noctambule déguisé en pape des fous préside la cérémonie. La fête est soudain interrompue par la mère de Louise, qui informe celle-ci que son père, prostré par la douleur à la suite de sa fugue, est mourant. Julien, ému, accepte que Louise se rende à son chevet.

Acte IV.
Le retour de Louise n'a pas ramené la sérénité dans la famille. Toujours sombre, le père ressasse ses accusations contre les injustices de la société. La démolition de la vieille maison d'en face offre maintenant à la vue de Louise le panorama de Paris. Il lui semble entendre l'appel de la ville. La colère du père est terrible : que sa fille ingrate s'en aille pour toujours ! Louise s'enfuit. Son père comprend qu'il ne la reverra jamais plus, et maudit Paris qui lui a pris son seul bien.

Hervé Lussiez

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