Richard Strauss: les opéras de jeunesse
un dossier proposé par Vincent Deloge

 
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Avant propos
par Vincent Deloge


Avant-propos

Muré dans un splendide isolement artistique, à l'égal d'un Montherlant construisant son masque romain, Richard Strauss a bâti une oeuvre lyrique incontournable au travers de quinze opéras de styles et de mérites fort variables. Indifférent aux écoles, ayant très vite assimilé la leçon wagnérienne pour créer son propre langage, Strauss occupe une place prépondérante quoique pas forcément essentielle dans l'Opéra de la première moitié du XXe siècle. Doué d'un instinct dramatique très sûr et, en dépit des reproches que lui adressa fréquemment Hofmannstahl à ce sujet, d'un indéniable sens littéraire, Strauss révolutionna l'Art lyrique par la violence harmonique et la sauvagerie de ses premières grandes partitions lyriques. Ayant conscience d'avoir exploré jusqu'au bout cette voie paroxystique, il brisa brusquement sa trajectoire pour imposer un néo-classicisme très personnel et un style de conversation en musique qui devint sa nouvelle marque. En dépit de sa réussite éclatante, Strauss reste un musicien très contesté. Il est vrai que le dernier quart de siècle de son existence ne fut qu'un long crépuscule au cours duquel il tira néanmoins profit d'un langage musical désormais arrêté pour signer des ouvrages d'un charme indéniables, de l'enivrante Arabella au mélancolique Capriccio. De plus, on lui reprocha vertement son comportement vis à vis du Troisième Reich alors que les récents travaux du musicologue britannique Michael Kennedy établissent qu'il n'agit alors que par faiblesse, préoccupé avant tout d'assurer la sauvegarde de sa famille et de son oeuvre. Chez Strauss, l'idéal artistique bannissait toute opinion politique. Il n'est pas question ici de suivre pas à pas le parcours du compositeur et chef d'orchestre mais d'offrir un guide de conduite au travers de son oeuvre dramatique. Pour le reste, nous recommandons la lecture de la biographie récemment publiée par Michael Kennedy (Fayard) qui, sur la base de sources nouvelles, offre un éclairage complet et objectif sur cette personnalité complexe. Le premier volet de ce dossier, consacré aux opéras de jeunesse de Richard Strauss, nous montre un compositeur qui saura digérer rapidement l'écrasante influence wagnérienne pour poser les premières bases de son propre univers musical. La réalisation est timide encore dans ces épreuves mais tous les ingrédients des triomphes à venir sont déjà en voie d'être réunis...

L'influence wagnérienne

On nous pardonnera ici de ne pas insister sur la biographie de Richard Strauss, puisque ces informations sont disponibles dans tous les dictionnaires musicaux. Rappelons toutefois qu'il a vu le jour le 11 juin 1864 à Munich, où son père, Franz Strauss, était corniste. Le jeune Richard commença l'étude du piano dès l'âge de quatre ans, et à huit se mit au violon. On considère qu'il commença à composer dès 1870, ce qui permet de l'ajouter à la longue liste des enfants prodiges. Il entama rapidement une carrière de chef d'orchestre qui, pour la période qui nous intéresse, le mena à la Cour de Meiningen, puis à Munich en tant que troisième chef, à Weimar et de nouveau à Munich.

Dans le sillage de son père, qui considérait que la "bonne musique" s'arrêtait à Beethoven et qui l'avait mis en garde contre l'influence pernicieuse du "charlatan de Bayreuth", Richard Strauss était d'abord resté insensible à la musique de Wagner. A sa première audition de Siegfried, en 1878, il déclarait même s'être ennuyé à mourir. Pourtant, il tomba à dix-sept ans sous le charme de Tristan. On peut ici parler d'un véritable coup de foudre et l'œuvre resta avec Lohengrin celle qu'il préférait chez le maître, la plaçant sans hésitation au-dessus de la Tétralogie. L'amitié influente de Hans von Bülow n'était sans doute pas étrangère à cette révélation. Strauss rencontra ensuite Cosima Wagner et travailla à Bayreuth dès 1889. Cinq ans plus tard, il y dirigeait pour la première fois Tannhäuser. Il n'est donc pas surprenant que les premiers essais lyriques de Strauss aient été fortement marqués de l'empreinte wagnérienne. Faut-il pour autant le considérer à cette époque comme un simple épigone du maître ? C'est une question à laquelle nous nous efforcerons de répondre.

C'est son ami Alexandre Ritter, violoniste et compositeur, wagnérien de stricte obédience, qui avait convaincu Strauss de la nécessité d'écrire un opéra et c'est dans un feuilleton publié dans la Neue freie Presse que celui-ci trouva son sujet. Il y était question d'ordres à la fois artistiques et religieux apparus dans l'Autriche médiévale pour contrecarrer l'influence profane des Minnesänger. Ritter lui ayant affirmé que tout bon wagnérien devait composer lui-même son livret, Strauss s'attela à la rédaction du texte. L'ouvrage l'occupa d'août 1887 jusqu'en mars 1892 et il lui donna un titre aux consonances wagnériennes : Guntram (probable combinaison de Gunther et Wolfram). Dans cette entreprise, l'influence de Ritter avait été décisive, comme Strauss le reconnut lui-même : "J'ai découvert grâce à lui ma vocation dramatique. Sans ses encouragements et sa collaboration, figé comme je l'étais dans le respect immense que je portais à l'oeuvre gigantesque de Richard Wagner, il ne me serait jamais venu à l'esprit d'écrire un opéra".

Vincent Deloge

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