Au mois de novembre 1898, Strauss quitta Munich pour Berlin. Deux ans plus tard, ayant sagement renoncé à ses ambitions de librettiste, il s'attelait à la composition de son deuxième opéra. Le sujet en était tiré d'une légende médiévale flamande assez leste, Le Feu éteint d'Audenaerde, et le livret signé par l'écrivain satirique Ernst von Wolzogen (1855-1934). L'intrigue a été déplacée dans la Munich du XIIe siècle où l' apprenti magicien Kunrad est amoureux de Diemut, la fille du bourgmestre. Pour laver un affront que la jeune femme lui a infligé, il décide d'éteindre tous les feux da la ville, qui ne pourront être rallumés que lorsque la jeune fille aura accepté de sacrifier sa virginité. Kunrad aura au préalable prononcé un long sermon contre l'hypocrisie et l'étroitesse d'esprit des habitants. Dans l'esprit de ses auteurs, cet ouvrage, derrière ses aspects comiques, cachait une véritable satire da la société. On peut de plus affirmer que Strauss y cherchait une vengeance contre sa ville natale, où il estimait que Guntram avait été saboté par la troupe et injustement éreinté par la critique.
Le compositeur acheva l'orchestration de cette farce en un acte le 22 mai 1901, jour anniversaire de la naissance de Wagner, et marqua l'évènement par cette inscription : "Vollendet am Geburtstag und zur höheren Ehre des Allmöchtigen". En accord avec son librettiste, il s'était amusé à parsemer l'œuvre de citations et d'allusions empruntées à Wagner ainsi que d'airs populaires munichois. La situation de l'action la nuit de la Saint-Jean et la caractérisation des personnages secondaires évoquent ainsi immanquablement Les Maîtres Chanteurs. Mais on voyait aussi apparaître par moments dans cette oeuvre aux textures légères le style de conversation qui sera la marque du compositeur dans ses oeuvres de maturité. Le sommet de la partition est incontestablement la scène d'amour finale, qui est parfois donnée sous la forme d'un extrait orchestral séparé. Malheureusement pour Strauss, l'esprit et le charme de l'ouvrage ne suffisaient à compenser aux yeux des bonnes consciences berlinoises la légèreté, pour ne pas dire la grivoiserie du livret et le compositeur dut se résigner à faire créer son oeuvre à Dresde le 21 novembre 1901, non sans lui avoir apporté quelques modifications. Elle y reçut bon accueil mais il n'en fut pas de même à Vienne où, malgré la présence de Gustav Mahler à la baguette, elle reçut un accueil unanimement hostile, pas plus qu'à Berlin où l'ouvrage n'eut pas l'heur de plaire à Guillaume II et fut rapidement retiré de l'affiche sur les instances de l'impératrice qui jugeait le livret obscène.
Feuersnot était un ouvrage très prisé par Thomas Beecham qui en dirigea les premières représentations anglaises. Strauss lui-même, tout en reconnaissant qu'il s'agissait d'une oeuvre imparfaite, lui accorda toujours une place importante dans son évolution créatrice. Il est vrai que l'on y trouve déjà une ébauche des chefs-d'œuvre à venir, La Femme sans ombre en particulier. Les réminiscences wagnériennes y sont de leur coté toujours présentes, Strauss citant notamment le motif du Walhalla et celui du Hollandais. Wolzogen chercha ensuite à intéresser Strauss à un nouveau sujet, inspiré cette fois de Cervantès et baptisé du nom invraisemblable de Coabbradibosimpur, mais le compositeur songeait déjà à un autre sujet : il venait de découvrir la Salomé d'Oscar Wilde...
Pour l'écouter : Feuersnot ; Gustav Kuhn ; S.Hass, W.Raffeiner (live de l'Opéra de Munich disponible sur le site House of Opera)
Vincent Deloge