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Nous avons écouté douze enregistrements d’opéra de Monteverdi pour écrire cette critique : les trois trilogies complètes et trois Poppea disponibles sur le marché français. Un enregistrement a été écarté de cette sélection : L’Incoronazione de Karajan. En allemand, avec une instrumentation « bruknérienne » et souffrant de nombreuses transpositions de rôle, nous la jugeons hors de propos dans ce dossier. - Trilogie Harnoncourt, Teldec : L’Orfeo (1968), Il Ritorno d’Ulisse (1971), L’Incoronazione di Poppea (1973-74) : Avant tout, signalons que ces enregistrements ont marqué, comme en leur temps l’intégrale des cantates de Bach Harnoncourt-Leonhart, un épisode majeur dans l’histoire de l’interprétation baroque. Pour la première fois un chef appuyait son travail sur une réelle recherche musicologique d’interprétation, d’ornementation, de spatialisation de l’orchestre. Mais être le premier est, en musique, souvent un handicap. Il fallait, à la fin des années 60, réinventer une technique instrumentale et vocale adaptée à cette musique ; bien que souvent juste, certains choix peuvent paraître aux auditeurs de ce début de millénaire, bien pâles face aux enregistrements des années 80-90. * L’Orfeo : Orfeo : Lajos Kozma ; Euridice : Rotraud Hansmann ; La Musica : Rotraud Hansmann ; Messaggiera : Cathy Berberian ; Speranza : Cathy Berberian ; Caronte : Nikolaus Simkowsky ; Proserpina : Eiko Katanosaka ; Plutone : Jacques Villisech ; Apollo : Max van Egmond. Capella antiqua München Concentus musicus Wien Dès la Toccata d’entrée, le problème principal de cette version apparaît : le timbre aigre des saqueboutes, des cornets à bouquin, des flûtes à becs et des trompettes naturelles du concentus musicus de Wien en 68 se rapproche plus d’un vieil orgue de barbarie que de la magnificence des fêtes de Mantoue ! L’articulation, l’énergie et l’esprit sont là mais c’est la technique instrumentale et la facture encore balbutiante des instruments qui sont en cause. Pour ce qui est des chanteurs le problème est un peu le même : pas de grosses lacunes vocales ou de style mais des voix un peu faibles et une ornementation encore hésitante. La jolie Musica de Hansmann, très musicale, est gâchée par un vibrato serré et une technique un peu trop « petit garçon ». Même problème pour les Pastori et les Spiriti : toute l’équipe défend cette partition avec beaucoup de conviction mais les moyens semblent aujourd’hui un peu justes. Autre problème, mais là beaucoup plus grave, le chœur capella antiqua München et ses horribles soprano-garçons, se trouve dans l’impossibilité de traduire toute la sensualité et l’éclat des nombreuses pages chorales de l’œuvre. Mais le handicap majeur de cet enregistrement c’est l’Orfeo nasal et efféminé de Kozma : jamais le divin musicien n’a sonné aussi pâle et mièvre ! De plus on pourrait penser que cette voix légère pourrait donner une version quasi idéale des roulades redoutables du « Posente spirito » : peine perdue, comme un élève appliqué (mais peu doué !) Kozma débite trilles et roulades sans aucun esprit. Mais arrêtons là les critiques et soulignons ce qui fait l’intérêt de cette version. Tout d’abord la Messaggiera et la Speranza hallucinées de Berberian : toujours sur le fil de la voix (mais sa technique lui permet-elle de faire autrement ??!!) Cette grande musicienne nous offre ici une leçon de théâtre et de musicalité : saisissant. Ensuite, certains chanteurs sortent vraiment du lot : le caverneux Carone de Simkowsky, la très sensuelle Proserpina de Katanosaka, le Plutone génialement humain de Villisech et enfin le très « paternel » Apollo de van Egmond. Mais la star de cet enregistrement c’est bien sûr Harnoncourt. Il faudra attendre plus de 15 ans et Jacobs pour entendre au disque une instrumentation aussi fine (Ah ! le récit de la Messaggiera, les ritournelles du Prologue), une direction aussi nerveuse, une articulation aussi théâtrale : le drame est là, les acteurs n’en sont pas toujours à la hauteur ! *Il Ritorno d’Ulisse in Patria : Ulisse : Sven Olof Eliasson ; Penelope : Norma Lerer ; Telemaco : Kai Hansen ; Minerva : Rotraud Hansmann ; Eumete : Max van Egmond ; Melanto : Margaret Baker-Genovesi ; Eurimaco : Nigel Rodgers ; Iro : Murray Dikie ; Antinoo : Walter Wyatt ; Pisandro : Kurt Equiluz ; Anfinomo : Paul Esswood ; Ericlea : Anne-Marie Mühle ; L’Humana Fragilita : Sven Olof Eliasson ; Tempo : Walter Wyatt ; Fortuna : Margaret Baker-Genovesi ; Amore : Rotraud Hansmann ; Giove : Ladislaus Anderko ; Nettuno : Nikolaus Simkowsky ; Giunone : Margaret Baker-Genovesi. Junge kantorei Concentus Musicus Wien. Trois ans plus tard, le grand Nikolaus s’attaque au Ritorno d’Ulisse. Bizarrement le Concentus Musicus semble plus à son aise, les instruments sonnent moins grêles, moins faux. L’instrumentation est toujours aussi intelligente avec un accompagnement par personnage : harpe pour Penelope, régale d’orgue pour les personnages comiques ou caricaturaux (Iro, Antinoo, Nettuno), orgue et grand clavecin pour Ulisse et Telemaco, etc… Tous ces choix donnent une dynamique étonnante à la partition et beaucoup de perspective au drame. La direction est toujours aussi énergique et intelligente. Les chanteurs sont, eux aussi, plus adaptés que dans l’Orfeo. Beau couple princier, très poétique ; on trouvera des Penelope plus dramatiques que Lerer et des Ulisse plus virils et solides qu’Eliasson mais ces deux chanteurs servent à merveille le discours inspiré de Monteverdi. On retrouve Hansmann en Minerva : toujours handicapée par son « vibratello », elle assume bien le personnage et l’articulation, la prononciation sont plus précises. Le caverneux Nettuno de Simkowsky et le tonitruant Giove d’Anderko caractérisent bien le « duo divin ». Baker-Genovesi et Rodgers semblent un peu légers à la première écoute mais les personnages pleins d’innocence de Melanto et Eurimaco leur vont comme un gant. Van Egmond campe un Eumete étonnamment noble et donne aux interventions du berger une profondeur que l’on réentendra rarement. Le Telemaco de Hansen est très chantant, peut-être un rien « mature » pour ce rôle de jeune garçon ; mais rarement le récit après la disparition d’Ulisse sous terre n’a paru si dramatiquement juste. Le très beau trio des prétendants, très équilibré, donne une vraie image madrigaliste à ses interventions ; les voix sonnent aussi très bien dans leurs récits solistes, avec une préférence pour le très séduisant Anfinomo d’Esswood. Seule ombre au tableau, l’Iro un peu trop sage de Dickie et le chœur (encore les voix d’enfant !!!) beaucoup moins sollicité, il est vrai, que dans l’Orfeo, mais toujours aussi peu inspiré. En définitive, un enregistrement beaucoup plus équilibré que celui de l’Orfeo mais qui souffre encore de petites imperfections d’interprétation. A noter qu’Harnoncourt a distribué le rôle de l’Umana Fragilita à un ténor, chanté par le même interprète qu’Ulisse, perspective séduisante dramatiquement mais qui ôte au personnage la dimension mystérieuse de la tessiture de Contre-Ténor. Le chef obéit ainsi à une longue tradition de transposition des rôles chez Monteverdi. Ici pas de problème harmonique, la Fragilité Humaine n’intervient qu’en soliste, mais nous verrons ce « tic » de chef entacher beaucoup d’enregistrement. *L’Incoronazione di Poppea : Poppea : Helen Donath ; Nerone : Elisabeth Söderström ; Ottavia : Cathy Berberian ; Ottone : Paul Esswood ; Seneca : Giancarlo Luccardi ; Drusilla : Rotraud Hansmann ; Nutrice : Maria Minetto ; Arnalta : Carlo Gaifa ; Lucano : Philip Langridge ; Valletto : Margaret Baker ; Damigella : Jane Gartner ; Fortuna : Jane Gartner ; Virtu : Rotraud Hansmann, Amore : Soloist of the Wiener Sängerknaben. Concentus Musicus Wien. C’est en 73-74 qu’Harnoncourt clôt sa première trilogie Monteverdi(1) avec L’Incoronazione di Poppea. Teldec a apparemment cassé sa tirelire pour offrir enfin une distribution de stars au chef viennois : Donath, Söderström, Berberian, Esswood, Langridge. Nous le verrons par la suite, ça ne fait pas tout, mais ici le miracle a lieu, toujours grâce à l’intelligence du chef. La prise de son est, elle aussi, supérieure et elle rend enfin justice aux merveilleux coloris du continuo. On retrouve malheureusement les quelques problèmes des deux autres volets de cette trilogie : l’éternel « vibratello » de Hausmann enlève à Virtu et surtout à Drusilla toute profondeur ; c’est dommage, la musicienne est sensible. Rédhibitoire, une fois de plus, l’utilisation d’une voix d’enfant, et en soliste cette fois : le petit soliste du Wiener Sängerknaben débite les merveilleux passages d’Amore comme une épreuve de déchiffrage de fin d’année : navrant. L’orchestre l’oblige même plus d’une fois à forcer sur sa voix et la justesse devient alors plus qu’approximative. Parmi les seconds rôles, la Nutrice très fatiguée de Minetto n’arrive pas à traduire tout le comique du personnage et le vibrailleux Valletto de Baker tire l’espiègle gamin vers la matrone hystérique. Mais tout cela reste assez anecdotique face aux grandes réussites de cette version. On est instantanément, dès le premier duo, séduit par la Poppée sensuelle et féminine en diable de Donath. La grande mozartienne use de tout son art des sons filés, de son timbre fruité, n’hésite pas à mettre un voile délicat sur sa voix pour nous attirer dans ses filets, tout comme Néron. Il faudra attendre Delunsch en 99 au festival d’Aix (mais malheureusement pas au disque) pour entendre une Poppée aussi sensuelle. Choisir la grande Söderström en Néron pouvait paraître risqué : la straussienne arriverait-elle à rentrer dans la peau du personnage tout en nuance du jeune empereur ? En douter c’était oublier la grande interprète de lieder chez Söderström : Il faut entendre la confrontation avec Sénèque pour apprécier les talents de tragédienne et l’intelligence du texte de l’artiste ; elle est, en effet, un peu effacée face à sa Poppée lors du premier duo, mais ce choix se défend dramatiquement. Bien sûr la cantatrice souffre un peu dans les coloratures du duo avec Lucain, mais quelle diseuse, quel velours dans le timbre ! De plus le travestissement lui va très bien et l’on croit dès les premières mesures à son personnage. La troisième grande dame de cette version est bien sûr Berberian : elle nous avait ébloui dans l’Orfeo, mais ici, dans un rôle plus conséquent, on sent les limites techniques beaucoup plus cruellement. La voix n’est pas assez sur le souffle, les passages sont trop marqués, l’émission est voilée, et tout ça empêche la grande tragédienne de rendre complètement justice au personnage d’Ottavia ; c’est dommage car rarement une artiste aura aussi bien saisi toutes les facettes de l’impératrice. Berberian restera malgré tous ces problèmes techniques l’Ottavia la plus juste dramatiquement de toute la discographie. Le Sénèque de Luccardi n’est pas immédiatement séduisant, mais l’intelligence musicale et la noblesse de la caractérisation font vite oublier une émission pas toujours très catholique. L’Arnalta de Gaifa est tout à fait dans le ton de la vieille nourrice-ténor léger, mais pourquoi détimbrer autant la berceuse ? Cela rend fade l’une des plus belles pages de la partition. Nous arrivons enfin à la plus belle réussite de cet enregistrement : l’Ottone d’Esswood. La voix est solide, les graves bien mixés, l’aigu très clair, le phrasé est d’une grande justesse et l’artiste se permet juste ce qu’il faut de fragilité pour donner du relief à ce personnage trop souvent falot. Esswood campe sans hésiter le meilleur Ottone de toute la discographie. Harnoncourt tient tout son petit monde à merveille, menant le drame de bout en bout dans le ton juste. L’instrumentation paraît encore plus luxuriante que dans les deux premiers volets de sa trilogie : écoutez le premier duo Poppée-Néron, c’est un enchantement. En définitive, la trilogie Harnoncourt, avec tous ses problèmes d’interprétation, reste un jalon important dans l’histoire du disque. Ces enregistrements ne sont pas vraiment adaptés à la découverte des œuvres de Monteverdi, mais pour qui veut mieux les connaître, ils restent des documents précieux. -Trilogie Jacobs, Harmonia Mundi : L’Incoronazione di Poppea (1990), Il Ritorno d’Ulisse (1992), L’Orfeo (1993) : *L’Incoronazione di Poppea : Poppea : Danielle Borst ; Nerone : Guillemette Laurens ; Ottavia : Jennifer Larmore ; Ottone : Axel Köhler ; Seneca : Michael Schopper ; Drusilla : Lena Lootens ; Nutrice : Dominique Visse ; Arnalta : Christoph Homberger ; Lucano : Guy de Mey ; Valletto : Christiana Högman ; Damigella : Maria Cristina Kiehr ; Fortuna : Hanne-Mari Orbaek ; Virtu : Maria Cristina Kiehr ; Amore : Martina Bovet. Au début des années 90, René Jacobs entame sa trilogie des opéras de Monteverdi. Depuis 20 ans beaucoup de choses ont changé : la révolution baroque initiée par Harnoncourt en Autriche a gagné toute l’Europe : Herreweghe et Jacobs en Belgique, Christie et Malgoire en France ont poussé les recherches musicologiques, de facture d’instrument, de technique vocale et d’ornementation bien plus loin que les géniaux « artisans » viennois. C’est donc sous les meilleurs hospices que se présente cette intégrale. Dès la première sinfonia du disque on sent le chemin parcouru : le son du continuo est plein, les instruments à vent ont des émissions sûres et coupantes, la justesse est au rendez-vous. L’instrumentation et la direction de Jacobs sont dans la droite ligne d’Harnoncourt : luxuriante, vivante, dynamique, d’une articulation très sûre (que quelques-uns trouveront un peu froide, manquant d’italianité). Mais c’est chez les chanteurs que la différence se fait le plus sentir : l’ornementation est foisonnante et toujours au service du texte, la prononciation excellente, la théâtralité servant la musique et vice-versa. Autant le dire, on aura du mal à trouver des points faibles à cet enregistrement. Seul l’Ottone un peu jeune vocalement de Köhler (mais si touchant, avec son coté « sérial looser ») et la Drusilla poids plume de Lootens (mais si fruitée et si musicale) peuvent paraître comme de petits bémols face à tant de perfection. Jusque dans les seconds rôles on apprécie le génie de cette équipe : les deux nourrices, à la fois comiques (Ah ! la merveilleuse Nutrice de Visse, délicieusement nasale) et poétiques (le velours de l’Arnalta de Homberger dans la berceuse) ; le Valletto roué de Högman, la Damigella aguicheuse de Kiehr ; le Lucain virtuose de de Mey ; jusqu’aux petits chœurs de solistes des Amorini et des famigliari di Seneca, débordants de vie : tout cela est vraiment réjouissant. Le miracle se produit aussi, par bonheur, chez les rôles principaux. On pourra trouver la Poppea de Borst moins pulpeuse que celle de Donath, mais la sensualité, la séduction du timbre sont là, le style en plus. Cette Poppée est légère, plus femme-enfant, petite fille gâtée que mangeuse d’homme. Elle est l’exacte moitié du Nerone poétique de Laurens. La grande Guillemette est, en 90, au sommet de son art (la voix va malheureusement s’user prématurément). Ce Néron, tout en nuance, magnifie comme jamais la musique et le texte. Sa noblesse est étonnante, même dans ses éructations contre Sénèque : une perfection. Ce couple nous offre logiquement le plus inspiré des « Pur ti miro » au disque. De même jamais Sénèque n’aura sonné si juste, si humain. Schopper n’a pas la voix la plus séduisante, la plus caverneuse de la discographie, mais il donne au personnage du vieux philosophe une profondeur rare, sans jamais tomber dans la caricature des basses montéverdiennes. Nous avons gardé le meilleurs pour la fin : l’Ottavia de Larmore. Grande tragédienne, la mezzo américaine, encore au début d’une carrière qui la poussera à faire des choix fatals pour sa voix, campe une impératrice blessée, calculatrice et fière, explorant toutes les facettes de ce personnage trouble ; passant des souffrances du premier monologue, aux éructations du duo avec Ottone pour terminer sur un « Addio Roma » d’anthologie. On l’aura compris cet enregistrement frise la perfection, grâce aussi à une communion parfaite entre instrumentistes et chanteurs. *Il Ritorno d’Ulisse in Patria : Ulisse : Christophe Prégardien ; Penelope : Bernarda Fink ; Telemaco : Christiana Högman ; Minerva : Lorraine Hunt ; Eumete : Martyn Hill ; Melanto : Faridah Subrata ; Eurimaco : Jörg Dürmüller ; Iro : Guy de Mey ; Antinoo : David Thomas ; Pisandro : Mark Tucker ; Anfinomo : Dominique Visse ; Ericlea : Jocelyne Taillon; L’Humana Fragilita : Dominique Visse ; Tempo : Michael Schopper ; Fortuna : Lorraine Hunt ; Amore : Martina Bovet; Giove : Olivier Lallouette ; Nettuno : Michael Schopper ; Giunone : Claron Mc Fadden. Deux années plus tard Jacobs s’attaque aux aventures d’Ulysse, et le miracle se reproduit. Même continuo luxuriant, même « orchestre » virtuose et surtout même direction inspirée. Le maestro opte pour la version en cinq actes agrémentée d’emprunts musicaux à Monteverdi ou à des contemporains pour compléter les parties manquantes de la partition. Le résultat est très cohérent et permet une continuité dramatique qui manquait quelque peu à la version Harnoncourt. La distribution est du même niveau que pour l’Incoronazione, avec le même soin porté à la distribution des rôles secondaires. Un seul problème se présente : pourquoi avoir transposé le rôle de Télémaque pour un Mezzo ? Jacobs explique dans le livret du disque que la multiplication des ténors (7 rôles sur 19 !) nuisait au drame. Mais l’utilisation de différentes couleurs de voix pour toutes ces « clefs d’Ut 4 » permettait de garder tout son relief au livret. Högman ne démérite pas dans cet emploi travesti mais les duos avec Minerve et surtout Ulisse souffrent autant harmoniquement que dramatiquement de cette transposition : dommage. Le reste de la distribution est dominée par la noble Penelope de Fink (son premier monologue est un des moments les plus prenant du disque) et le très sobre Ulisse de Prégardien. Derrière ce couple presque idéal, le reste de la distribution ne démérite pas : beau couple Melanto-Eurimaco (Subrata-Dürmüller) délicieusement virtuose et frais, hilarant Iro de de Mey, Ericlea aimante de la doyenne Taillon, très beau trio de prétendants (Visse-Tucker-Thomas), quatuor divin très à l’aise dans le style très orné de ses interventions (La Minerve de Hunt en particulier). Tout ce petit monde arrive à faire vivre Il Ritorno comme rarement, alors que cette œuvre est la plus « monotone » de Monteverdi ; écoutez seulement ce prologue enjoué pour comprendre tous les atouts de cet enregistrement. * L’Orfeo : Orfeo : Laurence Dale ; Euridice : Efrat ben Nun ; La Musica : Efrat ben Nun ; Messaggiera : Jennifer Larmore ; Speranza : Andreas Scholl ; Caronte : Paul Gérimon ; Proserpina : Bernarda Fink ; Plutone : Harry Peeters ; Apollo : Nicolas Rivenq. Après tant de merveilles, vous imaginez bien comment le dernier volet de cette trilogie était attendu ! Jacobs se penche donc sur le premier chef d’œuvre du maître en 93. Même continuo foisonnant, mêmes instrumentistes virtuoses, même distribution luxueuse (peut-être même plus luxueuse que dans les deux premiers enregistrements), tout semblait être là pour clore la version définitive de la trilogie Monteverdi. Patatras ! La désillusion est grande à l’écoute du résultat ; dès la Toccata d’entrée, tonitruante, tout n’est que perfection instrumentale, articulation léchée, ornementation torturée, mais rien ne vit, rien n’est habité : un joli Orfeo sur papier glacé ! Jusqu’au deux fausses bonnes idées originales de cet enregistrement : la spatialisation en trois continuos et les parties chorales chantées par un petit ensemble de soliste (et quels solistes ! Visse, Fink, Kiehr, Rivenq, Berg, Scholl !), qui tombent complètement à plat. La position en trois continuos distrait l’auditeur du drame plus qu’il ne le sert et les grands ensembles paraissent bien chiches chantés par ce luxueux consort, on perd l’alternance Chœur-Solistes qui donne tant de relief à cette œuvre. Pour couronner ce ratage, Jacobs confie le rôle titre à Laurence Dale. Le grand ténor n’a plus, en 93, les aigus qui auraient fait de son Orphée une incarnation solaire, la voix semble forcer au-dessus du Mi, artificiellement assombrie sur le reste de la tessiture et a une fâcheuse tendance à bouger sur toutes les tenues. En outre Dale n’a jamais été un grand vocalisateur (c’est un euphémisme) : résultat, son « Possente spirito » et le duo avec Apollo en deviennent presque comiques. Autre « guest star » de cette enregistrement, La Messagère de Larmore : il est malheureusement trop tard pour la Mezzo américaine. depuis son Ottavia l’émission s’est engorgée, le vibrato s’est élargi et ses talents de tragédienne ne peuvent plus sauver son incarnation. Reste la Musica et l’Euridice luxueuses de Ben Nun, la pulpeuse Proserpine de Fink, l’Apollo virtuose de Rivenq, les deux très belles basses infernales de Gérimon et Peeters et la Speranza touchante (mais un peu petite) de Scholl pour sauver cet Orfeo du naufrage complet : triste moisson ! En définitive pour ceux qui aiment les enregistrements bien léchés, cet Orfeo sera parfait. Les splendeurs renaissances de l’œuvre ont apparemment échappé à Jacobs : dommage. Ce qui aurait pu être l’intégrale de référence s’est transformé en deux merveilleuses surprises et une grande désillusion, comme quoi rien n’est jamais acquis dans l’interprétation baroque. A noter que les luxueux livrets de ces enregistrements sont des documents précieux pour comprendre l’approche du chef et le travail musicologique nécessaire à l’interprétation des œuvres de Monteverdi. -Trilogie Garrido, K617 : : L’Orfeo (1996), Il Ritorno d’Ulisse (1998), L’Incoronazione di Poppea (2000) : * L’Orfeo : Orfeo : Victor Torres ; Euridice : Adriana Fernandez ; La Musica : Maria Cristina Kiehr ; Messaggiera : Gloria Banditelli ; Speranza : Maria Cristina Kiehr ; Caronte : Antonio Abete ; Proserpina : Roberta Invernizzi ; Plutone : Furio Zanasi ; Apollo : Maurizzio Rosano. En 96 sort un enregistrement de l’Orfeo qui va révolutionner la vision de l’œuvre. Gabriele Garrido, plus connu des mélomanes pour son travail sur la musique baroque sud américaine, va en un enregistrement éblouir toute la critique, pour une fois unanime, et on la comprend. Dès les premières mesures du disque on quitte le froid viennois et les brumes flamandes pour le soleil toscan, l’impressionnante rigueur saxonne pour la délicieuse folie méditerranéenne. On a envie de dire que l’on entend l’Orfeo de Monteverdi pour la première fois ! Ici pas de star, mais une équipe aux voix et aux instruments gorgés de soleil, tout à l’euphorie d’une direction échevelée. Le continuo s’emporte dans de folles improvisations, les cornets, les harpes et les violons dans des envolées lyriques délicieuses, les chœurs électrisés nous donnent instantanément l’envie de danser. La Toccata d’entrée avance enfin (comparez avec celle, tonitruante et empesée de Jacobs), la Musica espiègle de Kiehr se moque de nous sans jamais se prendre au sérieux. Les Pastori et les Ninfe fredonnent délicatement la cantate nuptiale : tout vit et respire. Mais attention, ne croyez pas que l’énergie de cette interprétation soit superficielle et ne serve que l’effet musical : le théâtre est toujours là, bien présent, vivant et juste comme rarement. Cette vision très italienne de l’œuvre est servie par l’Orphée viril (voir macho) de Torres. Là aussi on n’attendait pas le baryton verdien et pourtant, l’intelligence du phrasé, la justesse de l’ornementation (quelle virtuosité !), l’aigu triomphant, le médium (enfin là) charnu sont au rendez-vous. Tous les autres rôles sont de ce niveau : la superbe Messagère de Banditelli (écoutez les deux exclamations d’entrée, déchirantes, annoncées par une géniale et unique note de luth, comme arrachée à la corde), la Speranza mystérieuse de Kiehr, la Proserpine féminine et séductrice d’Invernizzi, le Caron enfin comique d’Abete, le Pluton grommelant mais si humain de Zanasi et l’Apollo ensoleillé de Rosano. La Moresca finale nous laisse épuisé par tant de vie, tant d’enthousiasme, mais ébloui par une version enfin italienne et festive de l’Orfeo. *Il Ritorno d’Ulisse in Patria : Ulisse : Furio Zanasi ; Penelope : Gloria Banditelli ; Telemaco : Jean-Paul Fouchécourt ; Minerva : Maria Cristina Kiehr; Eumete : Roberto Abbondanza ; Melanto : Guillemette Laurens ; Eurimaco : Mario Cecchetti ; Iro : Gian Paulo Fagotto ; Antinoo : Marcello Vargetto ; Pisandro : Pablo Pollitzer ; Anfinomo : Fabian Schofrin ; Ericlea : Alicia Borges ; L’Humana Fragilita : Fabian Schofrin ; Tempo : Marcello Vargetto ; Fortuna : Maria Cristina Kiehr ; Amore : Adriana Fernandez ; Giove : Giovanni Caccamo ; Nettuno : Antonio Abete ; Giunone : Adriana Fernandez. Le même ton général transparaît deux ans plus tard dans la version du Ritorno du génial Argentin. Mais tant d’italianité, de folie convient-elle à l’âpre Ulisse ? Là est tout le problème de cet enregistrement : la multiplication des parties de cornet et de flûte à bec dans l’instrumentation tire l’œuvre vers une couleur Renaissance qui n’avait plus court en 1640. Ce choix musicologique peut déranger, car il affaiblit un peu la portée philosophique de l’œuvre en la rendant artificiellement pastorale. Garrido a adopté la même démarche que Jacobs : 5 actes avec des emprunts pour « boucher les trous » du manuscrit viennois. Mais là où Jacobs avait juste rajouté quelques sinfonias courtes, recomposé les chœurs « dans le style de », Garrido nous impose des intermezzi roboratifs qui freinent l’action théâtrale : tout ça est très beau mais ne sert pas toujours le drame (pourquoi cette interminable sinfonia d’ouverture de Grillo, où la sinfonia du prologue aurait suffit !). Pour ajouter à ces réserves, la distribution n’est pas sans lacune : la voix miaulante et cotonneuse de Schofrin a du mal à rendre justice au mystère de l’Umana Fragilita ; la très belle et très musicale Melanto de Laurens n’a malheureusement plus une voix assez fraîche pour défendre correctement ce rôle de jeune suivante ; le Iro très comique de Fagotto (enfin un vrai bégaiement !) est un peu juste techniquement (l’aigu !). Le trio des prétendants est handicapé, là encore, par l’horrible Anfinomo de Schofrin. Enfin, et c’est plus grave, la Pénélope de Banditelli semble très peu concernée par son rôle, trop évanescente et laiteuse pour servir le personnage. Mais reconnaissons que Zanasi se hisse au niveau de Prégardien avec un Ulisse d’une grande noblesse, peut-être même plus concerné par le texte et moins par le beau son que le ténor allemand. De plus le Télémaque poétique et clair de Fouchécourt mérite à lui seul l’écoute de ce disque : enfin une vraie voix légère qui correspond à ce personnage d’adolescent fougueux. Tout le reste de la distribution est d’un très bon niveau, bien chantant et servant à merveille la couleur très festive de cette interprétation. Malheureusement Garrido, qui avait évité le piège de la superficialité dans son Orfeo, pêche parfois par un trop grand enthousiasme où l’on attendait un peu plus de profondeur. *L’Incoronazione di Poppea : Poppea : Guillemette Laurens ; Nerone : Flavio Oliver ; Ottavia : Gloria Banditelli ; Ottone : Fabian Schofrin ; Seneca : Ivan Garcia ; Drusilla : Emanuela Galli ; Nutrice : Alicia Borges ; Arnalta : Martin Oro ; Lucano : Mario Cetthetti ; Valletto : Elena Cecchi Fedi ; Damigella : Adriana Fernandez ; Fortuna : Beatriz Lanza ; Virtu : Emanuela Galli ; Amore : Adrinana Fernandez. Les mêmes problèmes se retrouvent dans le dernier volet de la trilogie Garrido, sorti récemment. Une couleur trop renaissance affaiblit le propos, bien qu’elle corresponde mieux au ton sensuel de l’Incoronazione qu’au plus sérieux Ritorno. La direction est toujours très enjouée et vivante, l’orchestration foisonnante (encore trop de cornets !) mais on aurait aimé un peu plus de profondeur dans les moments dramatiques. On retrouve certaines erreurs de distribution qui handicapaient le volet précédent, le Ottone falot de Schofrin en particulier ! Banditelli, sans approcher l’incarnation hallucinée de Larmore, semble plus concernée par Ottavia que par Penelope. La curiosité principale de cet enregistrement est d’avoir confié le rôle très tendu de Nerone à un contre ténor : Oliver, bien qu’il soit poussé dans les limites de sa technique, se sort bien de ce challenge. L’ambiguïté du rôle s’en trouve soulignée, et c’est bien, mais les limites dans l’aigu se font sentir cruellement dans le premier duo et dans la scène avec Lucain. On retrouve Laurens, cette fois en Poppée ; l’artiste est toujours aussi sensible et musicienne, mais la voix est bien abîmée. Cette grande Monteverdienne arrive à se servir de ses faiblesses pour camper une Poppée brûlante et calculatrice, qui séduit mais nous laisse sur notre faim. Galli est la plus pimpante Drusilla de la discographie, Borges est étonnamment juste dans le rôle de Nutrice, généralement distribué à un homme, Oro campe une Arnalta très poétique, mais on l’aurait préféré en Ottone à la place du triste Schofrin. Bon Sénèque de Garcia, sans plus. Dans l’ensemble, sans atteindre la perfection de la version Jacobs, Garrido nous offre une vision, sa vision, très vivante de l’Incoronazione. Cette trilogie est marquée par un Orfeo d’exception et par deux autres volets un peu moins heureux. Dans tous les cas, le Monteverdi échevelé que nous offre Garrido ne peut laisser indifférent. A vous de juger. - L’Incoronazione di Poppea (1990), Hickox, Virgin : Poppea : Arleen Auger ; Nerone : Della Jones ; Ottavia : Linda Hirst ; Ottone : James Bowman ; Seneca : Gregory Reinhart ; Drusilla : Sarah Leonart ; Nutrice : Catherine Denley. Rien ne sonne italien dans cet enregistrement : l’orchestre anglais, la direction très « pseudo-baroque » de Hickox (ou trop rapide, cf l’air d’entrée d’Ottone, pris à toute bombe, ou trop violent comme l’ouverture) et pire, les accents italiens soit très Oxford (Auger, Jones et surtout Hirst ) soit carrément exotiques (Reinhart !) L’instrumentation est neutre et sans esprit. La Poppée d’Auger fait très vieille courtisane victorienne (c’est un genre !), le Nerone de Jones est complètement hystérique, le Sénèque de Reinhart sans séduction : toutes les notes y sont, les ornements aussi, pour le sens du texte il faudra repasser ! avec les seconds rôles, on frise le désastre : écoutez la Drusilla de Leonart ou la Nutrice de Denley, c’est comique ! Reste l’Ottone bien chantant de Bowman, quand il n’est pas bousculé par les tempi incohérents d’Hickox. Sans commentaires. - L’Incoronazione di Poppea (1996), Gardiner, Archiv : Poppea : Sylvia Mc Nair ; Nerone : Dana Hanchard ; Ottavia : Anne-Sofie von Otter ; Ottone : Michael Chance ; Seneca : Francesco Elero d’Artegna ; Drusilla : Catherine Bott ; Nutrice : Roberto Balconi ; Arnalta : Bernarda Fink ; Lucano : Mark Tucker ; Valletto : Constanze Backes ; Damigella : Marinella Pennicchi ; Fortuna : Anne-Sofie von Otter ; Virtu : Catherine Bott ; Amore : Marinella Pennechi. Voilà une preuve discographique de plus qu’une distribution luxueuse ne fait pas obligatoirement un bon disque. L’option prise par Gardiner dans son orchestration est minimaliste : beaucoup de basse continue, tenue par un continuo très pauvre et des ritournelles bien pâles, rajoutez à ça une direction molle et peu inspirée, et vous aurez un tableau peu reluisant mais bien réel de ce disque. Si les chanteurs étaient tous à la hauteur pour exprimer le drame avec leur seule ligne de chant, ces choix se justifieraient, ce n’est malheureusement pas le cas. La Poppée très « sale gamine » de Mac Nair passe à coté de toute une partie du rôle. Les rares moments de sensualité dont elle nous gratifie sonnent complètement faux, la chanteuse nous imposant un timbre nasal et un flou artistique dans l’émission « pour faire sensuel » : une grande déception. Ce n’est pas l’Ottone empêtré dans ses problèmes techniques de Chance, le Nerone sans saveur de Hanchard ni le Sénèque pâteux d’Artegna qui vont sauver ce disque du naufrage. Ajoutez à ça le Valletto beaucoup trop féminin de Backes, la Damigella trop « petit garçon » de Pennechi (un comble !) et les caractérisations totalement ratées des nourrices (la Nutrice trop uniquement comique de Balconi et l’Arnalta trop grade dame de Fink, bien que celle-ci nous offre l’une des berceuses les plus classes de la discographie) et vous mesurerez toute la catastrophe que peut être cet enregistrement. Il reste à nous mettre sous la dent la très belle Drusilla de Bott (bien qu’un peu fatiguée) et surtout l’Ottavia fière et blessée de Von Otter. La mezzo suédoise défend bec et ongles son incarnation hallucinée de l’impératrice, au risque d’être parfois un peu « too much » : pauvre consolation ! Rajoutez à ça le prix prohibitif de ce coffret et vous trouverez vous-même la conclusion ! - L’Incoronazione di Poppea (1997), Bolton, Farao : Poppea : Anna-Caterina Antonacci ; Nerone : Davis Daniels ; Ottavia : Nadja Michael ; Ottone : Axel Köhler ; Seneca : Kurt Moll ; Drusilla : Dorotea Röschmann ; Nutrice : Marita Knobel ; Arnalta : Dominique Visse ; Lucano : Claes H. Ahnsjö ; Valletto : Christian Baumgärtel ; Damigella : Caroline Maria Petrig ; Fortuna : Silvia Fichtl ; Virtu : Jennifer Trost ; Amore : Solist Tölzer Knaben Chors. Ce n’est sûrement pas la direction molle de Bolton, son continuo maigrichon ou les seconds rôles presque tous catastrophiques qui font l’intérêt de cet enregistrement. Non, seuls les premiers rôles excellents sauvent ce disque de la catastrophe. Depuis son Ottone chez Jacobs, Köhler a, à la fois arrangé ses défauts techniques et fouillé son personnage : le timbre est toujours aussi peu séduisant, mais son incarnation est l’une des plus fouillées au disque. Visse étonne en Arnalta : il sait être comique mais on le savait déjà grâce à sa très belle Nutrice chez Jacobs, mais il devient caressant et très bien chantant pendant la berceuse. Röschmann est la plus belle Drusilla jamais enregistrée ; enfin un soprano lyrique léger, et non une tête d’épingle, dans ce rôle. La Poppea d’Antonacci est l’une des plus brûlantes que l’on n’ait jamais entendu ; un peu éprouvée par la tessiture, elle nous offre une composition très fouillée de la courtisane, tantôt femme-enfant, tantôt mangeuse d’homme, toujours amoureuse. Sans atteindre la perfection de Larmore ou Von Otter, l’Ottavia de Michael est plus qu’honnête. Daniels est actuellement le seul contre ténor à pouvoir assumer la tessiture meurtrière de Nerone de bout en bout sur scène sans souffrir de la comparaison avec ses illustres devancières mezzo. Bien sur le texte n’est plus vraiment compréhensible dans l’aigu mais l’ambiguïté sexuelle du rôle est tellement jouissive ! le duo final en devient plus troublant que jamais. Enfin, et c’est une raison suffisante pour acquérir cet enregistrement, le Sénèque de Moll est une révélation. Après ses Fafner, Zarastro et autres Ochs, le vieux monsieur trouve le ton juste, la noblesse, et oh ! surprise le style, la virtuosité et la netteté d’émission nécessaire à un grand, un très grand Sénèque. Les graves sont caverneux, l’aigu triomphant et jamais pris en défaut, l’ornementation et la déclamation semblent naturelles : face à Mozart, Wagner Strauss ou Monteverdi, un grand artiste reste un grand artiste. Chapeau bas, monsieur Moll ! Le mélomane désireux de découvrir les œuvres lyriques de Monteverdi se tournera vers l’Orfeo de Garrido, L’Incoronazione et Il Ritorno de Jacobs. S’il veut une trilogie d’un seul et même chef, Jacobs et Garrido sont recommandables, avec un meilleur rapport qualité prix chez K617. Mais comment oublier la direction d’Harnoncourt, la messagère de Berberian, l’Ottone d’Esswood, la Drusilla de Röchmann, le Nerone de Daniels et surtout le Sénèque de Moll. Seules les versions Gardiner et Hickox sont à déconseiller ; Monteverdi ne va décidément pas aux anglais. Il faut noter trois grands absents de cette discographie : Christie qui après des vêpres bien pâles nous a livré un Ritorno de haute volée cet été à Aix (mais une trilogie se prépare chez Erato), Savall qui reste le grand triomphateur de la discographie des vêpres, et surtout Minkowski qui nous a offert depuis deux ans à l’Archevêché le plus sensuel des couronnements de Poppée. (1) La deuxième trilogie, qui n’est en fait que la bande son des films de Ponnelle, n’est plus disponible sur le marché. Ce n’est pas vraiment une grande perte, ces enregistrements souffrants de nombreuses coupures, et de pas mal de fautes de distribution. |