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Claudio Giovanni Antonio Monteverdi naît le 15 mai 1567, à Crémone. Il sera l’aîné de cinq enfants. La famille est ancienne, de bonne renommée, des luthiers et des médecins. Le père, Baldassare Monteverdi, est docteur. Crémone, au bord du Pô, quelque part entre Milan et Parme, et pas bien loin de Mantoue, est déjà une ville consacrée à la musique, une ville florissante grâce à ses luthiers : les meilleurs luths, les meilleures violes en proviennent, et fournissent les cours et les chapelles d’Italie, de France ou d’Allemagne. Cette ville restera un havre pour Monteverdi, un endroit où il n’hésitera jamais à venir se réfugier, au sein de la tribu, car les liens sont forts dans la famille : son frère Giulio Cesare (eh oui !) bien que de six ans son cadet, sera pour toujours son protecteur, son défenseur. Quant à Papa Baldassare, il ne refusera jamais d’accueillir, réconforter, soigner, nourrir son fragile rejeton et sa nichée. Sur maman Monteverdi, on n’a aucune information. Maigriot, sec, nerveux, délicat, sensible, Claudio passera sa vie à se plaindre de sa santé, de la fatigue (« bien que mon désir de servir votre seigneurie soit grand, de tels travaux ne peuvent qu’abréger ma vie » ; « ce travail m’amène presque jusqu’à la mort » …). Mais il est doté d’une volonté de fer, et sera intraitable quant à ses principes musicaux. De ces malades dont on fait les centenaires, en somme. A Crémone, sous la houlette du maître de chapelle Marc-Antonio Ingegneri, compositeur et madrigaliste religieux, le jeune Claudio apprend le chant, le contrepoint et la viole. Il dédiera ses premiers livres de madrigaux à son maître. En 1582, à l’âge de quinze ans, il fait imprimer son premier recueil de motets à trois voix, les sacrae cantiunculae. Car depuis 1501, on sait imprimer des recueils de musique. Et c’est le début d’un grand circuit d’échange entre musiciens de toute l’Europe : les musiciens voyagent, visitent l’étranger, et tout particulièrement l’Italie, et se tiennent aux courants des innovations de leurs confrères. Se faire publier, c’est se faire connaître d’éventuels commanditaires, et aucun compositeur ne l’oublie. Monteverdi fera rapidement et régulièrement imprimer le meilleur de ses œuvres. En 1590, à l’âge de vingt trois ans, Monteverdi quitte le nid familial, pour se mettre au service du duc de Gonzague, à Mantoue. Au service ? oui, car à l’époque, un musicien de cour n’est qu’un domestique parmi les autres, et les humiliations, aussi bien que la pingrerie de son employeur ne lui seront pas épargnées. Son patron, le duc Vincent de Gonzague, archétype du prince du XVIème siècle, a tout du fou-furieux : violent, brutal, emporté, jaloux, ombrageux, vaniteux, possessif… par-dessus tout, il désire éblouir le monde par l’éclat de ses fêtes autant que par sa collection de peintures, l’art des ses castrats et la renommée des artistes qu’il protège. Mécène, le duc entretient à sa cour aussi bien Galilée que Rubens ou que le Tasse…enfin entretenir…le duc n’est large qu’avec ceux qui risquent de le quitter…alors, un musicien italien, qui commence seulement à être connu, engagé non pas comme maître de chapelle, mais comme chanteur et violiste…douze écus par mois, c’est largement suffisant…quand on n’oublie pas de les payer… Aussi Monteverdi, rejoint plus tard par son petit frère Giulio Cesare, contraint sans cesse de réclamer son salaire, va ronger son frein et attendre son heure. Plusieurs fois, le poste de maître de chapelle va lui échapper, le duc lui préférant des médiocres. Cependant, Monteverdi va apprendre à maîtriser son métier dans des conditions optimales : les musiciens et les chanteurs de la cour de Mantoue sont parmi les meilleurs au monde, les instruments de qualité. Plus intéressé par le madrigal, il se sert des nouvelles techniques de chant soliste, chargé d’émotion, et d’accompagnement instrumental, qui utilise le contrepoint de façon dramatique, ce qui lui attire les foudres du théoricien conservateur Giovanni Artusi, qui ressentait les innovations musicales et le traitement Monteverdien de la dissonance comme un sacrilège. Artusi ne publiera pas moins de quatre pamphlets contre Monteverdi, il déclarera en particulier de deux de ses madrigaux qu’ils sont insupportables à l’oreille, et la blessent au lieu de la charmer. Monteverdi répondra brièvement, et de façon cinglante, dans la préface de son cinquième livre de madrigaux en 1605 : « …les esprits novateurs pourront acquérir la certitude que le compositeur moderne bâtit ses œuvres en les fondants sur la vérité …». La polémique est close. Mais aussi, à la cour de Mantoue, Claudio rencontre sa Claudia. Amour profond, amour vrai, qui ne sera interrompu que par la mort. En 1599, Claudio Monteverdi épouse la jeune et jolie cantatrice Claudia Cattaneo. Claudia lui donnera deux garçons : Francesco et Massimiliano. En 1595, Monteverdi, qui n’a rien d’un belliciste, part en Hongrie dans les bagages du duc faire la guerre aux Ottomans. Même en temps de guerre, pas question de se passer de la pompe de la cour, ni de sa musique ! En 1599, il accompagne encore son maître en voyage d’agrément aux Pays Bas, prendre les eaux à Spa. Ces voyages seront musicalement très profitables au compositeur, qui assimilera la musique du Nord. Le 6 octobre 1600, le duc de Mantoue assiste aux festivités données à Florence pour le mariage de Marie de Médicis et d’Henri IV, peut être accompagné de Monteverdi. Il, ou ils, assiste(nt) à la représentation de l’Euridice de Jacopo Peri. Dés lors, le duc n’a plus qu’une obsession : faire créer une œuvre qui dame le pion aux Médicis, et pour cela, il va harceler Monteverdi… sans pour autant aller jusqu’à le payer ! Après une première représentation privée, la fable en musique, l’Orfeo, est présentée à un plus large public pour mardi gras, le 24 février 1607. Le duc a choisi lui-même les chanteurs, veillé à la splendeur de la mise en scène, fait imprimer des livrets, afin que tous puissent suivre le déroulement de l’action. Le succès fut immense. Génial synthésiste plus que novateur, Monteverdi a réussi à allier tout ce qu’il a appris de la musique italienne, française ou flamande, tout ce qu’il a pu connaître des recherches, principalement des recherches florentines, sur les moyens d’exprimer les sentiments humains dans la musique. Voici l’avènement du recitar cantando. Mais Claudia, malade depuis un certain temps, meurt à Crémone, où Monteverdi l’avait transportée, dans le fol espoir de la voir sauvée par son père. Francesco a sept ans, Massimiliano trois. Faut-il voir dans le désespoir du chant de l’Orfeo privé de son Euridice, celui de Claudio privé de Claudia, déjà condamnée au moment de la composition de l’opéra ? A Crémone, la rumeur du succès de l’Orfeo a précédé son compositeur, accueilli en héros par la population. Mais le duc de Mantoue, qui n’a rien à faire de la douleur d’un veuf, oblige son serviteur à quitter le giron familial et à regagner Mantoue. C’est que pour célébrer les noces de François de Gonzague avec Marguerite de Savoie, il y a un nouvel opéra à créer, et plus vite que ça ! De ce dernier, Arianna, créé en 1608, il ne nous est parvenu que le lamento, qui en dit long sur l’état d’esprit de Monteverdi à cette époque…Nouveau coup pour le compositeur : la cantatrice Catarina Martinelli, sa préférée, celle pour qui il a composé Arianna, ne créera jamais ce rôle : elle meurt de la variole à dix-huit ans. Si le lamento nous est parvenu, c’est qu’il fût si célèbre en son temps qu’il fût imprimé à des milliers d’exemplaires, adapté par Monteverdi aussi bien que par d’autres pour instruments, en cantate religieuse, en madrigal… Après la création d’Arianna, Monteverdi, épuisé nerveusement et moralement, s’enfuie de Mantoue et se réfugie à Crémone. Le duc lui ordonne de revenir à la cour, malgré les certificats médicaux et les mots d’excuse de papa Baldassare (« [mon fils est] proche de la mort. Et alors, j’aurai la charge de ses deux enfants, une chose terrible étant donné mon âge et mes ressources réduites…). Mais vingt ans de vexations suffisent. Monteverdi refuse, envoie une lettre au secrétaire du duc, se met d’autorité en congé, et en 1610, il part pour Rome. Il dédie sa messe à six voix et ses vêpres de la vierge au pape Paul V, qui les accepte avec empressement…mais ne lui offre pas d’engagement. C’est la première fois qu’en dehors d’une messe, un office liturgique musicalement complet est écrit. Monteverdi revient sans gloire et l’oreille basse à Mantoue, mais les choses changent : le duc Vincent rend son dernier soupir, et est remplacé par le duc Francesco, qui s’empresse de renvoyer le musicien. Et c’est le retour de Claudio et de ses fils dans la tribu Monteverdi, à Crémone, et sans un sou vaillant. Le bruit court que le célèbre Monteverdi est libre. On lui propose de postuler à la charge de maître de chapelle de Saint-Marc, à Venise, ce qu’il fait, le 19 août 1613. Il est élu à l’unanimité, pour un salaire de trois cent ducats, sans compter les bénéfices ordinaires et habituels. Enfin ! après vingt trois ans de pauvreté et d’humiliations, Monteverdi accède à l’un des postes les plus importants de la musique italienne, et y restera trente ans. Il doit alors se tourner davantage vers la musique sacrée, et compose assez peu de musique dramatique, si ce n’est pour le carnaval 1624 sa cantate dramatique le combat de Tancrede et Clorinde, destinée à une exécution scénique, quoique n’étant pas un opéra. Admiré, recherché, on le demande partout : Venise, Parme, Bologne se disputent l’honneur de l’inviter pour écouter ses dernières compositions. Il ne suffit pas à la tâche pour honorer son carnet de commande, et se fait aider notamment d’Heinrich Schütz. Avec Monteverdi, s’installent à Venise ses fils chéris. Mais le cadet Massimiliano est un bon à rien, il est emprisonné par l’inquisition pour détention de livres interdits. Quant à Francesco, l’aîné…A la fin de 1630, la peste dévaste Venise…et parmi les victimes, nouvelle douleur pour Claudio, Francesco…En 1630 ou 1631, disparaît également le frère protecteur, Giulio Cesare. Profondément affecté, Claudio, qui n’avait jamais remplacé Claudia, reçoit les ordres mineurs en 1632. Il revient progressivement à la scène, aimanté par l’ouverture du premier théâtre public payant, le San Cassiano. Il compose Proserpina rapita (1630) l’Adone, les nozze di Enea con Lavinia (1641), qui sont perdues, et, seul ou en collaboration, en 1640, il ritorno d’Ulisse in Patria. En 1642, à soixante quinze ans, probablement en atelier avec ses élèves, il compose l’incoronazione di Poppea, le premier opéra qui met en scène des personnages qui ne sont pas tirés de la mythologie, mais de l’histoire, et basé sur l’ambition et le pouvoir du sexe. Monteverdi meurt le 29 novembre 1643, à l’hôpital public de Venise, après une semaine de fièvre pernicieuse. Il eut droit à des funérailles somptueuses, en présence du doge, des sénateurs, d’une foule de vénitiens, tandis que la maîtrise de Saint Marc n’accompagnait pas le service de ses chants, mais de ses larmes. |