Gentilhomme
vénitien dont on possède assez peu de portraits, Carlo Gesualdo est un
peu le Michael Jackson des madrigalistes. Sont-ce ses travaux musicaux
ou sa tendance à débloquer sérieusement qui le rendent célèbre, encore
aujourd'hui, près de 400 ans plus tard ? Il n'est pas déraisonnable de
penser qu'il y a sans doute des deux.
Un beau jour, Gesualdo organisa une fausse partie de chasse afin de surprendre
sa douce et tendre épouse, Maria d'Avalos, au lit avec son jeune coquin.
Ce qui leur arriva reste assez vague ; ce qui est certain c'est que les
deux jeunes gens furent tués ; elle retrouvée avec d'atroces blessures
dans la région du bas ventre, lui pendu par les pieds pendant quelques
semaines en place publique. Gesualdo - dans sa clémence suprême ou par
simple crainte d'épidémies - finira par le décrocher et par lui accorder
une sépulture.
Quelques années plus tard il parvint à contracter un second mariage avec
Eleonora d'Este (famille bien connue quand on fréquente le répertoire
donizettien).
Leur bonheur fut d'assez courte durée ; ce fut cependant Carlo qui cette
fois s'autorisa quelques écarts à la charte matrimoniale. On commença
par lui
prêter des maîtresses, puis un amant, puis des amants et tout cela finit
en rumeur précise et morbide : Gesualdo aimait se faire fouetter par une
meute de
jeunes garçons. Auprès des autorités il masquait cette innocente pratique
sous des flots de paroles sacrées ; ce rite n'était après tout qu'une
manière de faire fuir les
démons qui l'habitaient. Faut-il être tordu pour y voir quelque perversion
!
Le fait est que tout cela se termina bien mal. Les époux firent chambre
à part et Carlo continua à se faire fouetter dans son coin. Le 8 septembre
1613, alors qu'on lui prêtait environ cinquante-trois ans, Gesualdo succomba
à la suite d'une séance d'" expiation " un peu trop véhémente.
Ceci n'est qu'une théorie bien sûr, mais les musicologues et les historiens
du monde entier s'accordent à trouver étrange qu'un homme en pleine santé
décède subitement - nu - après avoir passé quelques heures en compagnie
de ses pages.
Musicalement, Don Carlo n'était pas plus en harmonie avec son époque.
Ses débuts sont pourtant fort classiques : dans ses quatre premiers livres
de madrigaux, il se contente de marcher sur les pas de Monteverdi et de
Marenzio, deux musiciens qu'on ne présente plus. Précédemment il a étudié
le luth avec son cousin, Ettore Gesualdo et la composition auprès de Pomponio
Nenna. Très vite cependant sa musique sort des sentiers battus, elle devient
presque exclusivement chromatique (inouï pour le XVIIe siècle) et subordonnée
à la logique poétique. Il écrit notamment sur des textes du grand Torquato
Tasso (lui aussi fort connu des donizettiens,. décidément !) avec qui
il s'était lié d'amitié à Ferrare.
Bien évidemment sa musique n'est pas appréciée des hommes d'église qui
lui préfèrent les bondieuseries habituelles (et pas forcément moins agréables
à
entendre). Carlo n'est pas inquiété car il est prince. On en connaît d'autres
que lui qui - pour bien moins que ça - ont fini leurs jours en étant conspués
et tourmentés par la chrétienté tout entière. Gesualdo, malgré ses quelques
travers, resta jusqu'à la fin de ses jours un homme fort pieux et conscient
de la haute portée du message biblique. Peu après avoir occis son épouse,
il fit don à sa chapelle d'un tableau, le
représentant prostré aux pieds du Christ sauveur et de Marie-Madelaine,
bien connue elle aussi pour sa repentance.
Mais peu importent tous ces détails qu'on jugera comiques ou tragiques,
Gesualdo restera sans doute le musicien le plus avant-gardiste de la Renaissance
et ouvrit le chemin du chromatisme à certains de ses collègues comme Wagner
et Schoenberg. Ceux-ci ne lui tiendront pas rigueur de l'édulcoration
relative de
leur démarche créative.
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