|
||
I " D'un bell'uso
di Turchia (D'une belle coutume
de Turquie
Un
verdict non universel ni définitif Quand L'Italiana in
Algeri est créé au Teatro San Benedetto de Venise, le 22
mai 1813, son compositeur a vingt-et-un ans et dix opéras à
son actif, dont plusieurs succès et surtout un triomphe, tout récent
: Aujourd'hui,
nous dirons que le Finale du premier acte de L'Italiana est " original
", avec ses onomatopées de bruits divers dont ces marteaux
frappant avec fracas, pour évoquer la confusion régnant
dans la tête de tous les personnages. A l'époque de la création,
Stendhal écrivait : " A
(Mais il y a, en Italie,
une plus belle coutume : Circonstances de la création de Il Turco in Italia
Luigi Pacini (Don Geronio), par ailleurs père du compositeur Giovanni Pacini, était si excellent dans sa caractérisation, qu'il était capable de la varier : " Je me rappelle, écrit Stendhal, que presque chaque soir il jouait cette cavatine d'une manière différente : tantôt nous avions le mari amoureux de sa femme et désespéré de ses folies ; tantôt le mari philosophe qui se moque le premier des bizarreries de la moitié que le ciel lui a donnée. ". On ne résiste pas au plaisir de rapporter le chef d'oeuvre de Luigi Pacini en matière de caricature, car un beau soir, nous dit Stendhal, il fut audacieux au possible !... : " Il faut savoir que ce soir-là, la société était fort occupée d'un pauvre époux qui était loin de prendre avec philosophie les accidents de son état. On ne parlait, dans la plupart des loges de la Scala, que des circonstances de son malheur, qu'il venait d'apercevoir le jour même. Pacini, contrarié de voir que personne ne faisait attention à l'opéra, se mit au milieu de sa cavatine à imiter les gestes fort connus et le désespoir du mari malheureux. Cette impertinence répréhensible eut un succès incroyable ; il y eut de la progression dans les plaisirs du public. D'abord quelques personnes seulement s'aperçurent qu'il y avait un grand rapport entre le désespoir de Pacini et celui du duc di***. Bientôt le public tout entier reconnut les gestes et le mouchoir du pauvre duc, qu'il tenait sans cesse à la main lorsqu'il parlait de sa femme, pour essuyer les larmes du désespoir. Mais comment donner une idée de la joie universelle, lorsque le duc malheureux lui-même arriva au spectacle et vint se palcer en évidence dans la loge d'un de ses amis, fort peu élévée au dessus du parterre ? Le public en masse se retourna pour mieux jouir de sa présence. Non seulement ce mari infortuné ne s'aperçut point du grand effet qu'il produisait, mais encore le public reconnut bientôt à ses gestes, et surtout aux mouvements piteux de son mouchoir, qu'il contait son malheur aux personnes de la loge où il venait d'arriver ". C'est là que Pacini entre en scène... pour ainsi dire, puisqu'il y est déjà ! Réussirons-nous à imaginer ces " accès de rire convulsif qui saisirent un public vif et malin à la vue de l'époux malheureux dans la loge, et de Pacini sur la scène qui, les yeux fixés sur lui en chantant sa cavatine, copiait à l'instant ses moindres gestes et les exagérait d'une manière grotesque. L'orchestre oubliait d'accompagner, la police oubliait de faire cesser le scandale. Heureusement quelque personne sage entra dans la loge et parvint, non sans peine, à en extraire le duc éploré. ". On ne peut qu'être touché par la juste mesure humaine du grand auteur, s'équilibrant entre le comique de la situation et la compassion pour un homme qui souffre. Serafino Gentili (Lindoro
dans L'Italiana) était ténor de demi-caractère ;
il débuta dans un rôle féminin, c'est dire sur ses
capacités d'agilité, mais assuma égalements des rôles
sérieux. Giovanni David (Don Narciso) n'avait rien à lui
envier car il allait être appelé à créer six
opéras et deux cantates du cygne de Pesaro et à interpréter
vingt-quatre rôles de ténors rossiniens, de " sa voix
grêle et brillante " comme dit Stendhal. David était
capable de mettre de l'éclat dans la Dans sa passionnante étude sur les voix rossiniennes, Giorgio Appolonia regroupe ainsi Paolo Rosich (Taddeo de L'Italiana) et Pietro Vasoli (le " Poeta " Prosdocimo) : " voix peut-être non belles mais à la personnalité comique particulièrement remarquable, et très adaptées à colorier les multiples caricatures que le compositeur sut inventer, avec la complicité des librettistes. "
" Ah ! Turcaccio
maledetto ! "
Les commentateurs
qui se sont penchés sur cette réaction négative parlent
de parti pris du public milanais, estimant recevoir un camouflet de la
part de Rossini, qui au lieu de leur donner " du neuf ", aurait
" réchauffé " pour eux, un vieux succès
vénitien (L'Italiana), et c'est là qu'intervient l'aspect
presque interchangeable des deux titres : L'Italiana in Algeri / Il Turco
in Italia ! Cette sorte de "
affection/désaffection " du public, dirons-nous, pour ces
deux opéras, s'est tout de même prolongée jusqu'à
nos jours. En effet, L'Italiana n'a quitté l'affiche que de 1891,
jusqu'à la saison 1919-20, où elle fut reprise par le Metropolitan
Opera de New York, avant d'être " définitivement relancée
" 6 , cinq années plus tard, par Vittorio
Gui à Turin. Tandis que Il Turco semble être représenté
pour la dernière fois en 1853, pour ne reparaître, définitivement
également, que le 19 octobre 1950 (au Teatro Eliseo de Rome). Le
mérite de l'avoir tiré Depuis, le Turco a pratiquement rejoint L'Italiana en intégrales studios ! L'Italiana in Algeri
: Il Turco in Italia
: Il existe, pour les
représentations d'opéra, une expression un peu terre à
terre comparant le résultat de la soirée à une sauce
qui "prend" ou non... le phénomène est pourtant
analogue car la musique, non pas comme la peinture, exécutée
une bonne -et magnifique- fois, doit être recrée à
chaque " exécution ". Le public passionné d'aujourd'hui
sait fort bien que la réussite ne dépend pas forcément
du luxe déployé dans la recherche d'interprètes prestigieux,
mais dans un quelque chose de difficilement palpable qui va où
non faire "prendre la sauce".... Un exemple : le dernier enregistrement
paru de Il Turco est tiré d'une représentation effectuée
au Teatro Verdi de Pise ; il y a redire sur certains chanteurs, mais la
"sauce prend", l'opéra vit, boîte parfois,
" Che final
! che finalone ! " Conclusion... momentanée Une expression italienne
dit " mettersi nei panni di " littéralement : se mettre
dans les habits de.... (et donc : se mettre à la place de) alors,
revêtons un instant les amples chemises romantiques et leurs lavallières
compliquées portées, les soirs de première, par un
Rossini
Je n'ose imaginer
la réaction du public de la création, si certains vers n'avaient
pas été délaissés... La Scène 12 de
l'Acte I (Don Geronio, il Poeta) s'arrête aujourd'hui à cette
réplique du Poeta Prosdocimo : " È tal perchè
in voi trova un uom di paglia ", mais le texte continue, non mis
en musique ! Le poeta va " chercher " Socrate, mis au désespoir
par son épouse, comme Don Geronio... Don Geronio Poeta Voilà les derniers scrupules du bon Don Geronio vaincus par ce brigand de poeta ne pensant qu'à expérimenter son " dramma " ! !
NOTES
2
Arnaldo Fraccaroli : Rossini ; Casa editrice Mondadori, Verona 1941, 3
Paul Scudo : Critique et littérature musicale, Première
série, III, 4 Giorgio Appolonia : Le Voci di Rossini , Edizioni Eda, Torino, 1992. 5
Briefe von und an Hegel, Leipzig, 1887, p. 155. La citation est 6
Fedele D'Amico : Il Teatro di Gioacchino Rossini . Cours donné
à l' |