Don Geronio
est l'un des personnages qu'il préfère à cause de
" cette petite veine pathétique, triste " imprégnant
tout le personnage. D'autre part, cette mélancolie qu'il garde
durant tout l'opéra doit sortir, " sortir, se résoudre
" c'est-à-dire s'exprimer d'une manière ou d'une autre.
Don Geronio, par exemple est gagnant à la fin, car " à
un certain moment, il frappe sur la table et s'impose ".
La
" bonté " de ces personnages profondément humains
est ce qui touche le plus le coeur d'Enzo Dara, et il les retrouve également
dans les personnages de Donizetti dont le style les crée déjà
naturellement mélancoliques, comme Don Pasquale ou Don Gregorio,
véritable bonne pâte d'homme, dans L'Ajo nell'imbarazzo.
Enzo Dara préfère donc ces personnages pathétiques
aux personnages plutôt bouffes -mais qu'il a tout de même
du plaisir à interpréter !- comme Don Magnifico, une beau
" sale type ", pour tenter de traduire l'expression familière
italienne de " carogna " qui, loin d'avoir le sens très
noir et négatif du charogne français, signifie plutôt
" chameau ", avec la pointe de sympathie venant atténuer
le côté négatif.
L'aspect purement vocal différencie également Don Geronio
d'un Don Magnifico, pour rester dans ce personnage. Alors que l'orgueilleux
baron de Montefiascone demande un " cantar fitto ", chanter
" serré, épais, dense ", ce fameux chant "
sillabato " ou syllabique avec ses notes " rebattues ",
Don Geronio offre un chant plus " cantabile ", des " notes
plus longues ".
En
ce qui concerne la caractérisation du rôle, Enzo Dara repousse
toute exagération :
-D'abord musicale, pour ainsi dire, avec par exemple, l'abus du falsetto,
et il cite l'air " Ombretta sdegnosa del Missipipì "
(La Pietra del paragone) dans laquelle certains interprètes chantent,
de leur propre chef, un passage en falsetto, mais lorsque Rossini désirait
un falsetto, il l'écrivait (comme dans un des airs de Don Magnifico),
nous ne sommes pas plus " bravi ", dans le sens " intelligents
", que Rossini ! Les embellissements et variations des " Da
Capi " ne doivent pas être extravagants détournant,
noyant la mélodie initiale, comme on a parfois tendance à
le faire aujourd'hui : dans Rossini, il lui arrive d'entendre certaines
cadences sorties tout droit de La Traviata !
-L'exagération dramatique est également hors de propos :
le personnage est suffisamment caractérisé par sa partition,
il est inutile de charger dans les attitudes ou dans les gestes, Enzo
Dara rappelle qu'il s'est trouvé au centre de la Rossini-Renaissance,
à Milan, au Festival Rossini de Pesaro, à Vienne... travaillant
avec des personnes Comme Claudio Abbado et Jean-Pierre Ponnelle, garants
de la mesure en toute chose, et là, Enzo Dara a une superbe formule
résumant sa règle de conduite, il faut avoir :
" Un rigore nella fantasia ", de la rigueur dans la fantaisie,
dans l'imagination, car le mot " fantasia " en italien, signifie
aussi bien imagination que fantaisie. Lorsqu'on voit Enzo Dara sur scène
ou dans une vidéo, c'est bien l'impression qu'il donne.
Cette rigueur dans l'interprétation se complète d'un autre
sentiment important : la simplicité, et Enzo Dara voit cette intelligence
de la simplicité, comme la condition de toute relation. Il a apprécié
de la trouver même auprès de "grands", comme Thomas
Schippers, Claudio Abbado, ou le Maestro Gavazzeni, homme de grande culture.
Un souvenir particulier lié au personnage de Don Geronio : près
de fêter ses quarante ans de carrière, il se trouvait à
Buenos Aires, dans le célèbre (et immense pour ceux qui
virent des photos de la salle !) Teatro Colòn et s'aperçut
qu'il y avait chanté vingt ans plus tôt ce même Don
Geronio mais le succès auprès du public et de la critique
fut bien plus grand cette fois !
Autres personnages interprétés par Enzo Dara, et l'un des
rares " méchants " de sa carrière : Filippo de
Bianca e Fernando de Bellini, mais il considère trop modestement
cette expérience presque comme un accident dû au fait que
l'avènement de Samuel Ramey n'avait pas encore eu lieu ! Il chanta
également dans Un Giorno di regno de Verdi, dans des opéras
de Cimarosa comme Il Matrimonio segreto, ou Amor rende sagace, partition
redécouverte par lui et montée au teatro Comunale di Bologna,
ou encore le sympathique Il Maestro di cappella, dont il assure en même
temps la mise en scène.
Bien sûr, un regret reste même s'il l'assume heureusement
bien, " le " regret de sa carrière est de n'avoir pas
chanté Leporello, ainsi que de plus nombreux Mozart... qu'on lui
demandait alors qu'il était toujours engagé dans cette prenante
Rossini-Renaissance dont nous parlions plus haut....
La " regia ", la mise en scène, est une passion qui plaît
beaucoup à Enzo Dara, qui y déploie également son
sens de la mesure, tirés des enseignements de J.P. Ponnelle et
de Giancarlo Menotti, ainsi, la critique a reconnu.... " enfin, ceux
qui comprennent... car tous ne comprennent pas !... ", précise-t-il
avec une gentille ironie, le critique a compris la différence qu'il
a voulu faire en assurant la mise en scène de Il Campanello et
de Betly de Donizetti, oeuvres occupant idéalement une soirée
car courtes et composées à la même époque (1836),
mais si la première est une farce, la seconde est une comédie
sentimentale, à ne surtout pas confondre ! Il est également
très heureux de sa récente mise en scène d'une farce
bizarre (se déroulant dans un asile d'aliénés!),
donnée en plain air au Festival Donizetti de Bergame : I Pazzi
per progetto (les fous à dessein).
" L "'oeuvre qu'il rêve vraiment de monter, en tant que
" regista ", nous ramène à Rossini, puisqu'il
s'agit de L'Italiana in Algeri .
Une autre activité est très chère à Enzo Dara,
et qu'il mène en liaison avec le Conservatoire de Mantoue, c'est
le " Laboratorio dell'Opera buffa del Settecento " (je traduis
uniquement le siècle car en italien on peut également le
désigner par le chiffre des centaines : le " Settecento ",
le XVIIIième siècle, l' " Ottocento ", le XIXe).
L'intérêt de ce " Laboratorio " consiste dans la
recherche de jeunes talents, après de longues auditions, mais également
dans le fait que les opéras montés dans un charmant théâtre
de la famille Bibiena sont soit rarement donnés, comme Il Filosofo
di campagna de Galuppi, ou surtout jamais exécutés à
notre époque, comme Il Fanatico in berlina (le philosophe porté
en dérision) de Paisiello, qui va être remonté dans
quelques mois.
Il faut ajouter une autre dimension à l'Artiste, connu et estimé
dans le monde entier, celui d'écrivain : après un premier
ouvrage " molto ironico " (point n'est besoin de traduction
!) publié en 1994, il est sur le point d'en faire paraître
un autre, consacré à tous les personnages qu'il a connus,
de Beniamino Gigli, dont il entendait tant parler durant son enfance,
aux étoiles d'aujourd'hui...
Le temps ne semblait guère passer, tant la discussion était
agréable, avec un interprète intègre, une personne
si sympathique et profondément humaine.
Qu'il soit remercié, au nom de tous les passionnés qui découvriront
ici ses pensées !...
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