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L'uvre
d'Antonin Dvorak (1841-1904) fait incontestablement partie du patrimoine
musical mondial, et jouit d'une popularité immense et amplement
méritée. Les symphonies, les concertos, la musique de chambre,
mais aussi les grandes partitions chorales sont constamment interprétés
et enregistrés. Seul et unique volet de son uvre à
rester dans l'ombre : l'opéra. Et pourtant, Dvorak se considérait
avant tout comme un compositeur d'opéras. Il en composa dix qui
aucun n'entrèrent au répertoire international, hormis, peut-être,
la jolie Roussalka (1901). Il partage en cela un peu le sort de Tchaïkovsky
qui, lui aussi, chérissait particulièrement ses opéras,
occultés par ses uvres symphoniques. Les opéras de Dvorak peuvent se classer en deux catégories. Ceux d'humeur paysanne, simple et charmante, tels, bien sûr, Roussalka, mais aussi Le Jacobin, Le Paysan malin ou Le Diable et Katherine. Et puis, il y a ceux qui se veulent de grande allure, aux sujets plus ambitieux, tels Alfred, Vanda, Dimitri, ou Armida. Influencé sans doute par les fresques historiques de Smetana (Dalibor, Libuse), Dvorak ne parviendra pas cependant à égaler leur force incontestable. Si certains de ses opéras " intimistes " révèlent des pages adorables de fraîcheur et de poésie, les opéras " grandioses " pèchent par un évident manque de souffle. Dvorak n'a pas la tête épique, il faut se l'avouer. Et pourtant il a cru l'avoir, jusqu'au bout. La preuve en est qu'après le beau succès de Roussalka, il s'attelle immédiatement à cette Armida, laquelle sera sa dernière partition achevée. La création, le 25 mars 1904 (quelques semaines avant sa mort) ne fut pas une brillante réussite, due, semble-t-il, à une fort mauvaise direction d'orchestre, et à une mise en scène ridicule. L'uvre fut retirée après sept représentations, et ses reprises sont rarissimes, même en Tchécoslovaquie. Le livret de Jaroslav
Vrchlicky reste très fidèle à " La Jérusalem
délivrée " hormis le dénouement durant lequel
Renaud tue Armide déguisée en chevalier, épisode
repris de l'épisode de Tancrède et Clorinde de la même
épopée. Contrairement à Quinault qui, pour Lully
(et, partant, Gluck) ignore les personnages de Godefroy de Bouillon, de
Gernando et du magicien Ismen, Vrchlicky les rétablit, mais supprime
par contre les personnages allégoriques à la mode du XVIIème
siècle, ainsi que les confidentes d'Armide. Telle quelle, l'intrigue
peut se résumer comme suit. Musicalement, il y a quelques belles pages. Dvorak réussit essentiellement les moments intimes et doux, comme les deux duos d'amour, fort touchants. Le premier tableau de l'acte III est ainsi particulièrement plaisant, faisant se succéder un bel air d'Armide, un ravissant chur de sirènes puis le duo et le vigoureux trio avec Ismen. Si l'atmosphère purement magique des lieux aura été mieux dépeinte par Gluck (ou, dans un contexte différend mais similaire par Massenet au second acte d'Esclarmonde), l'ardeur des deux amants fait l'objet d'une jolie inspiration mélodique. Mais voilà où le bât blesse. L'histoire d'Armide est une histoire d'amour certes, mais aussi une histoire de bruit et de fureur, de magie et de batailles. Cet aspect-là échappe complètement à Dvorak. Il tente désespérément de se hausser à la hauteur de son sujet, mais là, son inspiration bucolique le lâche, et il n'obtient que des effets bien creux et même pompiers. Tous les finales d'acte sont ainsi fort plats, même orchestralement, ce qui est étonnant de la part d'un si brillant technicien. Lui qui avait réussi ses opéras " intimistes ", qui bénéficiait d'une belle inspiration pour les chants les plus simples, se perd et se noie dans l'évocation historique. Il ne semble pas ému et se réfugie dans un éclat aussi vain que superficiel. Que conclure ? Dvorak
est certes les plus occidental des musiciens tchèques, et voilà
sans doute pourquoi, l'influence de Brahms et du milieu musical germanique
aidant, il s'accomplit totalement dans son uvre instrumentale. Les
modèles choisis convenaient à son tempérament. Ceux
suivis pour ses opéras " grandioses ", calqués
sur le Grand Opéra français ou sur Smetana, n'étaient
pas pour lui. C'est en voulant endosser un vêtement impropre à
sa muse qu'il dut, je pense, l'insuccès de ces opéras. Il
est dommage que la longue liste des oeuvres inspirées par le thème
d'Armide s'achève par un échec. L'Armide du Xxème
siècle n'était pas destinée à Dvorak. Par
contre, j'aurais bien vu Martinu composer quelque Armide. Il est vrai
qu'il a écrit une Ariane. La magie émanant du sujet, sa
force d'évocation, sa puissance dramatique, ce sont Lully, Gluck
et Rossini qui en sont les hérauts, à jamais. |