Blanche de La Force :
Denise Duval
Madame Lidoine : Régine Crespin
Madame de Croissy : Denise Scharley
Sur Constance : Liliane Berton
Mère Marie : Rita Gorr
Le Marquis de La Force : Xavier Depraz
Le Chevalier de La Force : Paul Finel
Chur et Orchestre du Théâtre National de l'Opéra
de Paris
Direction : Pierre Dervaux
2 CD EMI |
A tout seigneur tout
honneur, commençons par l'enregistrement de 1958, qui fit suite
à la création de l'uvre, et qui, par sa valeur de
témoignage, reste encore la version de référence.
On peut se procurer cette version seule ou dans le coffret des uvres
lyrique de l'édition du centenaire Poulenc édité
par EMI, qui contient en outre d'autres enregistrements historiques ou
de référence : les mamelles de Tirésias, la voix
humaine, le gendarme incompris, le bal masqué, l'histoire de Babar
etc.
Il est toujours bon de réécouter de tels monuments avec
une oreille neuve. Ainsi, alors que cette version est inattaquable et
inattaquée de tout mélomane bon teint, quelle surprise de
constater que la voix de Denise Duval, interprète fétiche
de Francis Poulenc, est si acide et si pointue !
De même, la diction des personnages est excellente, on comprend
tout, ce qui avec un tel texte, est absolument indispensable, mais elle
est un peu surannée (la façon de rouler très fortement
les R, par exemple).
En revanche, la direction de Pierre Dervaux, très concernée,
n'a pas pris une ride. Née à la source même du créateur,
sa conception très dramatique nous vaut des passages d'une tension
extraordinaire. La scène finale en devient presque insoutenable.
Régine Crespin campe une madame Lidoine d'une grande noblesse vocale
et d'une autorité superbe : dans ses affrontements avec mère
Marie ce sera la seule interprète qui laissera deviner les rivalités
et les règlements de compte qui peuvent intervenir entre les deux
femmes, hors scène.
Mère Marie est incarnée par Rita Gorr qui sait conférer
caractère et épaisseur, mais aussi nuances à son
personnage : monolithique dans ses convictions, redoutable dans son affrontement
avec le commissaire du peuple mais accessible aux sentiments : on sent
de l'affection pour Blanche.
La première prieure de Denise Scharley meurt dans l'abjection et
la terreur, de façon très dramatique et impressionnante.
Liliane Berthon complète la distribution féminine, dans
le rôle toujours très gratifiant de sur Constance.
Du coté masculin, on a entendu des meilleurs Marquis de La Force
que Xavier Depraz ou de meilleurs Chevalier que Paul Finel, mais ils sont
tout à fait estimables, et très engagés dans leur
rôle. La scène de l'adieu du frère et de la sur
est ainsi très émouvante.
Blanche de La
Force : Felicity Lott
Madame Lidoine : Jocelyne Chamonin
Madame de Croissy : Régine Crespin
Sur Constance : Anne-Marie Rodde
Mère Marie : Geneviève Barrial
Le Marquis de La Force : Pierre d'Hollander
Le Chevalier de La Force : Léonard Pezzino
Chur de Radio France
Orchestre national de France
Direction : Jean-Pierre Marty
2 CD INA mémoire vive |
Cet
enregistrement à été réalisé par Radio
France le 25 avril 1980 au Théâtre des Champs-élysées
à Paris, dans le cadre de la saison lyrique de Radio France, et
diffusé sur France Musique le 21 juin 1980, mais n'a été
reporté en CD qu'en 1999. Comme souvent dans le cas d'une deuxième
version, il est difficile d'y porter une appréciation autrement
qu'en la comparant avec la redoutable référence de la création.
On notera d'abord que cet enregistrement public a eu lieu dans une salle
légèrement tousseuse. La direction de Jean-Pierre Marty
sonne plus légère, plus alerte et nettement moins dramatique
que celle de Pierre Dervaux. La diction de tous les protagonistes est
moins datée, mais aussi moins claire (dans le cas de Jocelyne Chamonin
surtout).
Cette version vaut surtout par la présence de Felicity Lott et
l'incarnation de la première prieure de Régine Crespin,
auparavant titulaire du rôle de la deuxième prieure.
Que dire de Felicity Lott ? beauté, perfection et intelligence,
comme d'habitude ! beauté de la voix, perfection de la diction,
intelligence du rôle qu'elle habite comme personne
Régine Crespin, 22 ans après la création, a la voix
abîmée, ce qui n'est guère gênant dans le rôle
d'une vieille femme agonisante, mais son timbre clair de soprano surprend
de prime abord dans ce rôle conçu pour une contralto. Cette
chanteuse aristocratique campe un personnage qui est bien celui d'une
vieille aristocrate, et qui le reste, même dans l'agonie. Elle meurt
ainsi de façon moins sordide que Denise Scharley, et, moins véhémente
que désespérée, elle ne montre pas tout à
fait assez le coté abject, dégradant, avilissant de cette
mort.
Geneviève Barrial en mère Marie est moins nuancée
que Rita Gorr, plus uniformément virago. Jocelyne Chamonin en nouvelle
prieure est un peu terne, son incarnation ne reste pas en mémoire.
Anne-Marie Rodde, jolie sur Constance canarde dans la scène
finale. Léonard Pezzino est un très bon Chevalier de la
Force moins tendre, plus lyrique que Paul Finel.
En conclusion, une version moins homogène que la précédente,
qu'il faut absolument entendre pour Felicity Lott et Régine Crespin.
Blanche de La
Force : Catherine Dubosc
Madame Lidoine : Rachel Yakar
Madame de Croissy : Rita Gorr
Sur Constance : Brigitte Fournier
Mère Marie : Martine Dupuy
Le Marquis de La Force : José Van Dam
Le Chevalier de La Force : Jean-Luc Viala
Chur et Orchestre de l'Opéra de Lyon
Direction : Kent Nagano
2 CD Virgin classic |
Il
faut croire qu'un enregistrement du dialogue des carmélites ne
peut pas avoir lieu sans représentation préalable. La troisième
et dernière version au disque a été réalisée
dans la foulée du spectacle lyonnais de 1990.
Celle-ci, malheureusement, ne montre pas les mêmes qualités
que les précédentes : rien n'y est vraiment mauvais, très
peu de choses sont vraiment bonnes. Aussi appétissant qu'une assiette
de veau froid avec des coquillettes, en quelque sorte.
Ceci est dû en bonne partie à la direction de Kent Nagano,
trop analytique, pas assez lyrique : à force de vouloir nous montrer
la beauté de telle envolée de flûte ou de tel accord,
le chef saucissonne, perd de vue le dramatisme de l'uvre, qui apparaît
alors trop affectée. Cet orchestre trop présent, ces brutalités
et inégalités de tempo obligent certain des chanteurs à
surjouer, étouffe toute vie chez les autres.
La Blanche de Catherine Dubosc est propre, mais anodine, un peu douceâtre.
Elle n'habite pas son personnage, ne lui insuffle pas de vie, on a l'impression
qu'elle s'écoute chanter. Ces défauts sont en partie partagés
par Brigitte Fournier en Constance.
Une voix usée peut ne pas être un handicap quand il s'agit
de chanter le rôle de Mme de Croissy, mais dans le cas de Rita Gorr,
il s'est passé 35 ans depuis la création, et c'est vraiment
trop tard. Elle use de toute son expérience pour une interprétation
de classe, mais la voix est en ruine (certains sons font frémir
!) ce qui lui ôte une partie de ses possibilités interprétatives.
La phrase " que ne puis-je arracher ce masque avec mes ongles "
devient par exemple totalement incompréhensible.
Rachel Yakar, de sa voix douce et pure, montre bien le coté maternel
de madame Lidoine, ainsi que son coté " populaire ",
elle qui a été préférée à mère
Marie comme prieure, justement parce qu'elle n'était pas noble,
pour ne pas " faire de vagues " à l'époque troublée
de la révolution française. La plus jolie, sinon la plus
complète, des madames Lidoine, qu'on sent tout de même un
peu dépassée par les exigences de son deuxième monologue.
Martine Dupuy, qui pourtant d'habitude caractérise si bien les
personnages qu'elle incarne, ne donne aucun relief spécifique à
mère Marie. C'est superbement chanté, parfait techniquement,
d'une élocution royale, mais d'une beauté gratuite. José
Van Dam, en immense artiste, est impeccable, mais n'a pas toujours l'air
convaincus. Par charité chrétienne (et c'est bien le lieu
!) il est inutile de s'étendre sur le cas de Jean-Luc Viala, qu'on
nous inflige régulièrement dans toute production d'opéra
français, comme s'il n'existait pas de meilleure alternative !
Toutes ces réserves étant émises, il faut préciser
que la musique de Poulenc est si belle, que le livret est si prenant,
que même interprété de façon moyenne (il n'y
a rien de catastrophique dans l'enregistrement), on prend un plaisir indéniable
à écouter cette uvre. Cette version est toutefois
à réserver à ceux qui voudraient à toute force
une version récente, aux maniaques du DDD (rappelons que l'enregistrement
de 1958 est en mono).
Blanche de La
Force : Anne-Sophie Schmidt
Madame Lidoine : Valérie Millot
Madame de Croissy : Nadine Denize
Sur Constance : Patricia Petibon
Mère Marie : Hedwig Fassbender
Le Marquis de La Force : Didier Henry
Le Chevalier de La Force : Laurence Dale
Direction : Jan Latham-Koenig
Mise en scène : Marthe Keller
Décors : Jean-Pierre Capeyron
Costumes : Florence Emir
CDV Arthaus Musik |
La
dernière version existante est une version vidéo, échos
des représentations strasbourgeoises de 1999. S'agissant de l'unique
transcription visuelle de l'uvre, c'est sur la mise en scène
que l'attention se portera, et celle-ci est un chef d'uvre de goût
et d'intelligence.
Dans des décors dépouillés de Jean-Pierre Capeyron,
ce sont principalement les jeux de lumière et la forme de l'ouverture
du fond de scène (croix, porte
) qui déterminent les
changements de lieux. Les costumes des carmélites sont classiques,
certains ont voulu voir dans ceux des révolutionnaires un rappel
des uniformes nazis, mais ils sont plus certainement intemporels, donnant
ainsi à l'uvre une dimension universelle.
La mise en scène de Marthe Keller est aussi sobre qu'intelligente,
son travail de direction d'acteur d'une grande finesse donne vie aux personnages,
nous éclaire sur leurs relations et sur leurs motivations profondes.
Ce parti pris de sobriété nous vaut ainsi une scène
finale d'une grande force, sur une scène totalement vide, là
où d'autres metteurs en scène nous infligent une immense
guillotine et des contorsions de carmélites !
Les chanteurs, portés par cette mise en scène, donnent le
meilleur d'eux-mêmes. Anne-Sophie Schmidt est une lumineuse Blanche,
incarnant son personnage à la perfection, la craquante Patricia
Petibon vole les curs en Constance.
Nadine Denize est une première prieure à la voix usée,
comme il semble être de rigueur dans l'esprit des directeurs d'opéra
! son métier nous vaut un fabuleux numéro d'actrice dans
la scène toujours payante de la mort de la première prieure,
même si vocalement, elle n'est pas la meilleure titulaire du rôle.
Très curieusement, Hedwig Fassbender campe une mère Marie
pleine de compassion et d'affection pour Blanche, qui semble quelquefois
dépassée par les évènements, face à
la madame Lidoine autoritaire de Valérie Millot, cette dernière
fachée avec la diction.
Du coté masculin, Didier Henry est irréprochable, et comme
Régine Crespin a incarné successivement madame Lidoine et
madame de Croissy, comme Rita Gorr a chanté mère Marie puis
la deuxième prieure, il est amusant de retrouver Léonard
Pezzino, autrefois séduisant chevalier de la Force, en aumônier
impeccable. Laurence Dale chante d'une voix usée jusqu'à
la corde, mais il habite pleinement son personnage.
Il est souvent lassant de voir et revoir la même production. Dans
le cas ce celle-ci, cela ne pose aucun problème, autant par la
richesse de la mise en scène que par l'engagement des interprètes.
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