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COMPIEGNE
26/03/2004

Isabelle Philippe & le "chevreau"
© DR
DINORAH
ou le Pardon de Ploërmel

Opéra en trois actes de Giacomo MEYERBEER
Livret de Barbier et Carré

Direction artistique : Pierre Jourdan
Décors et costumes : Jean-Pierre Capeyron
Chorégraphie :  Jean-Hugues Tanto
Mimodrame :  Yacine Perret
Lumière :  Thierry Alexandre
Production : Patrick Abéjean
 

Direction musicale : Olivier Opdebeeck

Dinorah :  Isabelle Philippe
Hoël :   Armand Arapian
Corentin :  Frédéric Mazzotta
Le chevrier :  Lucille Vignon
Deux pâtres :  Céline Victores-Benavente, Séverine Delforge
Un chasseur :  Philippe Le Chevalier
Un faucheur :  Pierre Espiaut

Orchestre de l'Opéra d'Etat hongrois Failoni
Choeur Cori Spezzati

Théâtre français de la musique
Théâtre impérial de Compiègne 
26 mars 2004



LE PARDON DE MEYERBEER

Triomphe sans précédent lors de sa création en 2002, le spectacle de Pierre Jourdan revient à l'affiche pour deux nouvelles représentations dans une distribution identique à celle de la création (voir l'article de Xavier Luquet, en particulier pour un résumé de l'intrigue).

Isabelle Philippe reprend le rôle de la belle Dinorah, abandonnée par le chevrier Hoël le jour même de ses noces. Toujours aussi jolie (chez Pierre Jourdan, le physique des chanteurs compte beaucoup, et parfois plus que leurs simples qualités vocales), la soprano a bonifié en deux ans. Le timbre est devenu un peu plus charnu et la justesse est bien mieux contrôlée par rapport aux précédentes représentations, où elle manifestait quelques tendances à chanter un peu trop haut. Les aigus (et notamment le fabuleux contre-fa conclusif "d'Ombre légère") sont toujours aussi éclatants.

Scéniquement, pas de changement par rapport à l'édition 2002 : l'engagement reste total et Isabelle Philippe campe vraiment une héroïne de très bon niveau, saluée comme il se doit par un public conquis au rideau final. On ne peut que souhaiter de la voir plus souvent distribuée dans ce répertoire : hélas, deux années se sont écoulées et l'on ne voit toujours rien venir. Faudra-t-il, comme pour Annick Massis, autre révélation du Théâtre Impérial avec sa Philine de Mignon , attendre 10 années de plus pour que les professionnels s'intéressent à elle ?

Hoël est à nouveau incarné par Armand Arapian. Le chant reste toujours frustre et les moyens insuffisants en regard des exigences du rôle ; pourtant, Arapian s'en tire un peu mieux qu'en 2002, notamment au premier acte, où coups de glottes, aboiements et autres artifices permettent de dissimuler l'usure des moyens ; au second acte, en revanche, la fatigue venant, on retrouve le chanteur avec ses nombreuses limites.

Au positif, on accordera le bénéfice d'un engagement sans faille, l'artiste réussissant même à faire passer une certaine émotion, ce qui, vu la mièvrerie du livret, ne constitue pas une mince affaire. Au final (et quelque part, c'est peut-être ce qui compte le plus), il connaît, lui aussi, une ovation.

Le Corentin de Frédéric Mazzotta relève plutôt de l'opérette : voix engorgée et peu timbrée, elle demeure bien en-deçà des exigences du rôle. L'acteur, bien dirigé, est déjà plus convaincant dans son numéro comique de joueur de biniou, pleutre et superstitieux - mais pas bête au point de se faire rouler par Hoël.

Trois autres chanteurs viennent compléter la distribution pour des rôles de pure décoration, qui n'apportent rien à l'intrigue. Lucille Vignon campe une agréable chevrière pour son air "Gentille fillette" ; plus en retrait, le chasseur de Philippe Le Chevalier et le faucheur de Pierre Espiaut, se contentent de chanter correctement leur air sans en tirer grand chose, mais à l'impossible nul n'est tenu...

Les deux pâtres, Cécile Victores-Benavente et Séverine Delforge, complètent élégamment la distribution.

Enfin, les choeurs, dont les interventions sont peu nombreuses mais importantes, sont ici parfaits de cohérence.

Seul véritable changement de distribution : le chien. Le pur race un peu trop crispé de 2002 que Philippe Le Chevalier maîtrisait avec difficultés, est ici remplacé par un bâtard plus bonasse, nullement impressionné par sa nouvelle condition. 

A la tête de son orchestre, Olivier Opdebeeck possède un bon métier : les chanteurs ne sont jamais couverts, les décalages évités, les attaques précises. Au-delà de ces qualités purement techniques, le chef sait surtout rendre justice à la partition, dont il fait ressortir toutes les inventions orchestrales et la richesse mélodique.

Car le vrai triomphateur de la soirée, c'est avant tout Meyerbeer : il en faut du talent pour soutenir l'intérêt d'une intrigue qui tient en 3 lignes pendant près de 3 heures de musique ! Rien que pour convaincre Corentin d'accompagner Hoël, il faut une demi heure de duo ! Et c'est bien parce que les mélodies s'enchaînent sans discontinuer, dans des formes originales et sans cesse renouvelées, que notre intérêt ne faiblit pas. A croire que Meyerbeer a choisi ce livret par défi, pour montrer de quoi sa musique était capable.

Fort heureusement, la partition est jouée sans coupure (et même avec l'air additionnel du chevrier), ce qui nous permet enfin de juger sur pièce une oeuvre de Meyerbeer telle qu'il l'a conçue (ce qui n'est, hélas, pas le cas des deux productions récentes de L'Africaine à Strasbourg et des Huguenots à Metz).

Une telle réussite n'aurait pu être sans l'engagement et le dévouement de Pierre Jourdan qui contourne les faiblesses du livret par sa lecture éminemment poétique, en serviteur attentionné d'un ouvrage auquel il croit, mais dont il comprend la fragilité face à un public moderne.

Les décors sont de toute beauté, les costumes superbes avec la dose d'humour qui convient (je pense aux délicieuses "chèvres" habitées par de jeunes danseuses). Une réussite qu'il serait doux de retrouver dans le cadre d'une salle Favart rendue à son répertoire d'origine. On peut rêver...
 
 

Placido CARREROTTI
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