LE PARDON DE MEYERBEER
Triomphe sans précédent
lors de sa création en 2002, le spectacle de Pierre Jourdan revient
à l'affiche pour deux nouvelles représentations dans une
distribution identique à celle de la création (voir l'article
de Xavier Luquet, en particulier pour un résumé de l'intrigue).
Isabelle Philippe reprend le rôle
de la belle Dinorah, abandonnée par le chevrier Hoël le jour
même de ses noces. Toujours aussi jolie (chez Pierre Jourdan, le
physique des chanteurs compte beaucoup, et parfois plus que leurs simples
qualités vocales), la soprano a bonifié en deux ans. Le timbre
est devenu un peu plus charnu et la justesse est bien mieux contrôlée
par rapport aux précédentes représentations, où
elle manifestait quelques tendances à chanter un peu trop haut.
Les aigus (et notamment le fabuleux contre-fa conclusif "d'Ombre légère")
sont toujours aussi éclatants.
Scéniquement, pas de changement
par rapport à l'édition 2002 : l'engagement reste total et
Isabelle Philippe campe vraiment une héroïne de très
bon niveau, saluée comme il se doit par un public conquis au rideau
final. On ne peut que souhaiter de la voir plus souvent distribuée
dans ce répertoire : hélas, deux années se sont écoulées
et l'on ne voit toujours rien venir. Faudra-t-il, comme pour Annick Massis,
autre révélation du Théâtre Impérial
avec sa Philine de Mignon , attendre 10 années de plus pour
que les professionnels s'intéressent à elle ?
Hoël est à nouveau incarné
par Armand Arapian. Le chant reste toujours frustre et les moyens insuffisants
en regard des exigences du rôle ; pourtant, Arapian s'en tire un
peu mieux qu'en 2002, notamment au premier acte, où coups de glottes,
aboiements et autres artifices permettent de dissimuler l'usure des moyens
; au second acte, en revanche, la fatigue venant, on retrouve le chanteur
avec ses nombreuses limites.
Au positif, on accordera le bénéfice
d'un engagement sans faille, l'artiste réussissant même à
faire passer une certaine émotion, ce qui, vu la mièvrerie
du livret, ne constitue pas une mince affaire. Au final (et quelque part,
c'est peut-être ce qui compte le plus), il connaît, lui aussi,
une ovation.
Le Corentin de Frédéric
Mazzotta relève plutôt de l'opérette : voix engorgée
et peu timbrée, elle demeure bien en-deçà des exigences
du rôle. L'acteur, bien dirigé, est déjà plus
convaincant dans son numéro comique de joueur de biniou, pleutre
et superstitieux - mais pas bête au point de se faire rouler par
Hoël.
Trois autres chanteurs viennent compléter
la distribution pour des rôles de pure décoration, qui n'apportent
rien à l'intrigue. Lucille Vignon campe une agréable chevrière
pour son air "Gentille fillette" ; plus en retrait, le chasseur de Philippe
Le Chevalier et le faucheur de Pierre Espiaut, se contentent de chanter
correctement leur air sans en tirer grand chose, mais à l'impossible
nul n'est tenu...
Les deux pâtres, Cécile
Victores-Benavente et Séverine Delforge, complètent élégamment
la distribution.
Enfin, les choeurs, dont les interventions
sont peu nombreuses mais importantes, sont ici parfaits de cohérence.
Seul véritable changement
de distribution : le chien. Le pur race un peu trop crispé de 2002
que Philippe Le Chevalier maîtrisait avec difficultés, est
ici remplacé par un bâtard plus bonasse, nullement impressionné
par sa nouvelle condition.
A la tête de son orchestre,
Olivier Opdebeeck possède un bon métier : les chanteurs ne
sont jamais couverts, les décalages évités, les attaques
précises. Au-delà de ces qualités purement techniques,
le chef sait surtout rendre justice à la partition, dont il fait
ressortir toutes les inventions orchestrales et la richesse mélodique.
Car le vrai triomphateur de la soirée,
c'est avant tout Meyerbeer : il en faut du talent pour soutenir l'intérêt
d'une intrigue qui tient en 3 lignes pendant près de 3 heures de
musique ! Rien que pour convaincre Corentin d'accompagner Hoël, il
faut une demi heure de duo ! Et c'est bien parce que les mélodies
s'enchaînent sans discontinuer, dans des formes originales et sans
cesse renouvelées, que notre intérêt ne faiblit pas.
A croire que Meyerbeer a choisi ce livret par défi, pour montrer
de quoi sa musique était capable.
Fort heureusement, la partition est
jouée sans coupure (et même avec l'air additionnel du chevrier),
ce qui nous permet enfin de juger sur pièce une oeuvre de Meyerbeer
telle qu'il l'a conçue (ce qui n'est, hélas, pas le cas des
deux productions récentes de L'Africaine
à Strasbourg et des Huguenots
à Metz).
Une telle réussite n'aurait
pu être sans l'engagement et le dévouement de Pierre Jourdan
qui contourne les faiblesses du livret par sa lecture éminemment
poétique, en serviteur attentionné d'un ouvrage auquel il
croit, mais dont il comprend la fragilité face à un public
moderne.
Les décors sont de toute beauté,
les costumes superbes avec la dose d'humour qui convient (je pense aux
délicieuses "chèvres" habitées par de jeunes danseuses).
Une réussite qu'il serait doux de retrouver dans le cadre d'une
salle Favart rendue à son répertoire d'origine. On peut rêver...
Placido CARREROTTI