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PARIS
04/10/05
Angela Gheorghiu
© Sasha Gusow
Récital Angela Gheorghiu
Hector Berlioz (1803 – 1869)
Marche de Rakoczy (Extrait de La damnation de Faust)
Charles Gounod (1818 – 1893)
"O Dieu que de Bijoux" (Extrait de Faust)
Jules Massenet (1842 – 1912)
"Pleurez mes yeux" (Extrait du Cid)
Hector Berlioz (1803 – 1869)
Ouverture de Béatrice et Bénédict
Jules Massenet (1842 – 1912)
"Adieu, notre petite table" (extrait de Manon)
Georges Bizet (1838 – 1875)
"Habanera" (extrait de Carmen)
Entracte
Pietro Mascagni (1863 – 1945)
Ouverture de Le Maschere
Giacomo Puccini (1858 – 1924)
"Chi il bel sogno di Doretta" (extrait de La Rondine)
"In quelle trine morbide" (extrait de Manon Lescaut)
Giuseppe Verdi (1813 – 1901)
Ouverture des Vêpres siciliennes
"Pace, Pace!" (extrait de La Forza del Destino)
Giacomo Puccini (1858 – 1924)
"Un bel di vedremo" (extrait de Madame Butterfly)
Bis
Ernesto De Curtis (1875 – 1927)
"Non ti scordar di me"
Agustín Lara (1900 – 1970)
"Granada"
George Grigoriu
"Muszica" (extrait de Valurile Dunarii)
Giacomo Puccini (1858 – 1924)
"O mio babbino caro" (extrait de Gianni Schicchi)
Angela Gheorghiu, soprano
Orchestre de Bretagne
direction : Eugene Kohn
Salle Pleyel, Paris
Le 04/11/2006
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Des retrouvailles électriques
On est diva ou on ne l’est pas. Angela Gheorghiu a clairement
choisi son camp depuis quelques années au risque de se mettre
à dos une partie du public. On ne compte plus les annulations,
caprices ou déclarations à l’emporte-pièce
qu’elle semble accumuler à plaisir comme autant de
témoignages de sa déité. Qui a oublié en
juin 2005 l’histoire de La rondine du Châtelet, sauvée du naufrage in extremis par Inva Mula au terme d’une semaine de tergiversations. Les forums en bruissent encore. Ou plus récemment, Fiesque
à Montpellier décommandé au débotté
« parce que la musique et le texte n'étaient pas
assez bons à [s]on goût ». Comme si, avec un
agenda bouclé plusieurs années à l’avance,
elle n’avait pas eu le temps de lire la partition pour s’en
rendre compte ! Un tel mépris des spectateurs, ceux plus
particulièrement qui à la lecture de son seul nom se
précipitent à la caisse des théâtres et se
retrouvent ensuite au dernier moment avec leurs billets à
revendre, finit par agacer. Aussi, depuis quelques temps, la grogne
monte dans les rangs ; les critiques affluent ; les sobriquets
pleuvent. C’est dire combien elle était attendue au
tournant de cette soirée, la première à Paris
depuis La Bohème il y a cinq ans.
Cette pression, la soprano roumaine ne peut l’ignorer. Malgré la silhouette de rêve (1),
le port de reine et le sourire de façade, l’agitation avec
laquelle elle entre en scène et l’énervement de la
mâchoire trahissent au départ l’angoisse qui
l’étreint. Mais, son tempérament l’emporte et
la pousse à se jeter dans la musique comme une lionne dans la
mêlée, avec frénésie. Son sens du
théâtre fait mouche à chaque fois.
L‘habileté avec laquelle elle parvient en quelques
secondes à se glisser dans le personnage dénote la
tragédienne hors pair. Et puis, comment ne pas céder au
pouvoir de cette voix, à la splendeur du timbre, aux reflets
chatoyants des couleurs, à la longueur du souffle, à la
franchise de l’émission, à la fierté de
l’aigu, à la rondeur des graves. Seul le medium
semble parfois un peu éteint et la diction, quelle que soit la
langue, n’est jamais irréprochable. Les décalages
fréquents trahissent aussi le manque de
répétition. Pêchés pardonnés au
regard de tant de beautés.
Le répertoire français, mis à l’honneur
durant la première partie, n’est peut-être pas celui
qui lui convient le mieux. Le caractère de Marguerite et de
Manon, en demi-teinte, ne correspond pas vraiment à la
personnalité volcanique de la cantatrice. Carmen et
Chimène, plus latines, s’inscrivent mieux dans son
paysage. De la première, on apprécie la sensualité
dénuée de vulgarité, la prouesse qui consiste
à donner une nouvelle flamme à un air rebattu. La seconde
fait figure de révélation. La prononciation retrouve
soudain ses marques dans un récitatif inspiré
(« De cet affreux combat… »).
L’émotion afflue tandis qu’on se prend à la
rêver sur scène appariée au Cid de Roberto Alagna.
Mais le meilleur reste à venir, dans une deuxième partie
qui fait la part belle aux héroïnes pucciniennes avec, pour
commencer, un "Chi il bel sogno di Doretta" exhalé plus que
chanté, porté au sommet par un aigu rayonnant qui,
exposé ainsi, divinement nu, donne le frisson. Sans atteindre la
même perfection, Manon et Butterfly confirment la force
expressive et au-delà, le lien profond qui unit la soprano au
compositeur italien. Et pourtant, ce n’est pas à Puccini
d’atteindre le firmament mais à Verdi en un seul
air, « pace, pace mio Dio » de La forza del
destino. De la prière initiale à
l‘imprécation finale, la voix éclaire avec un art
consommé des nuances les états d’âme de
Leonora. Détresse, mélancolie, désespoir, les
sentiments défilent comme autant de touches de couleurs sur une
toile où, à la fin, se dessine un portrait
pathétique et poignant. Le public ne s’y trompe pas ;
l’applaudimètre bat alors tous les records.
Pourquoi avoir ensuite choisi des bis
aussi triviaux ? Les mélodies « Non ti scordar
di me » et « Granada » sont
d’habitude réservées aux ténors dans les
stades. Elles ne parviennent ici qu’à trahir la faiblesse
du medium. Les harmonies sirupeuses de
« Muszica » donnent des haut-le-cœur et
« O mio babbino caro » accompagné du seul
piano, quelle que soit la qualité de
l’interprétation, sonne bien prosaïque après
un tel festival.
Qu’importe ! Le public a rendu les armes et accueille tous
les airs sans discernement avec le même enthousiasme. Roberto
surgit de la coulisse pour offrir une gerbe de fleurs à son
épouse, laissant espérer en vain un duo
énamouré, et Monsieur Armand
lui-même se met de la partie. Tout cela se termine par une
standing ovation que seule une coupure
d’électricité (2)
parvient à juguler. Mission accomplie pour notre diva qui a si
bien réussi son retour en France qu’elle en a fait fondre
les plombs !
Christophe RIZOUD
Notes
(1)
Les fétichistes déploreront l’allure trop estivale
de la première robe d’Angela Gheorghiu et se joindront
plutôt aux murmures d’admiration qui, après
l’entracte, saluent son entrée dans un fourreau à
pois blanc, lequel souligne avec encore plus d’aplomb sa
resplendissante féminité.
(2) Il
s’agit de la coupure de courant qui, à la suite
d’une défaillance du réseau allemand, a
plongé dans le noir dix millions d’européens
pendant plus d’une heure.
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