SIC
TRANSIT PAVAROTTI
Tels autrefois Mistinguett et Maurice
Chevalier, Luciano Pavarotti n'en finit pas de faire ses adieux.
On regrettera le format choisi ; une
série de 40 concerts sonorisés dans des lieux qui n'ont rien
de lyrique, et dans des villes qui n'ont pas franchement marqué
la carrière du ténor (Prague, Belgrade... ou Dubaï !).
Les sceptiques diront qu'il s'agit
de remplir une dernière fois la caisse plutôt que de satisfaire
les mélomanes, mais c'est mal connaître Luciano. Certes, le
chanteur n'a jamais dédaigné l'argent facile, mais s'agit-il
ici "d'argent facile" ?
Le ténor italien est en effet
miné par des ennuis de santé à répétition,
enchaînant les opérations chirurgicales et les rechutes, se
déplaçant avec difficulté : à 70 ans passés,
une telle série de concerts constitue donc un véritable exploit
physique. Ensuite, l'homme est effectivement resté simple (préférant
le médiocre Lambrusco aux crus les plus fins, c'est dire !) ; il
apprécie sincèrement l'ambiance de fête de ces grands
concerts de masse.
Enfin, le chanteur cherche à
se protéger (1) : sonorisation pour le souffle,
prompter pour les trous de mémoire, tabouret pour le repos des genoux
et public conquis d'avance, sont surtout des éléments de
réassurance.
Il faut donc faire contre mauvaise
fortune bon coeur : Pavarotti sur une scène
d'opéra, c'est fini et il faut voir cette série de concerts
comme l'opportunité d'un dernier adieu à l'une des plus grandes
voix du siècle.
Le programme est généreux
(16 morceaux pour Luciano) et diversifié (mélodies, airs
d'opéra, chansons napolitaines et très peu de remplissage
symphonique). La "technique" est moins riche qu'en 2001 en ce même
lieu : un seul écran (mais sans Bill Viola) et une sonorisation
correcte, mais pas aussi luxueuse.
La première partie est un peu
décevante : le timbre de l'illustre ténor est toujours le
même, lumineux et unique, mais sa voix se bat avec un chat dans la
gorge et une note ou deux, parfois plus, craquent discrètement au
milieu des airs.
A moitié assis sur un tabouret,
il est partiellement caché par un piano qui lui-même dissimule
un prompter.
Le chanteur demeure les yeux rivés
sur son "aide-mémoire" de sorte que, sur l'écran géant,
on ne voit guère ses yeux qu'aux saluts : on se croirait chez Bocelli
!
Vocalement, les choses s'améliorent
un peu au fil du concert, mais pas totalement et Pavarotti conclue sa "Gelida
manina" sur un "si" très instable (une performance tout de même
remarquable après 43 ans de carrière).
En fait, nous ne serons pleinement
satisfait que par l'ultime morceau de la première partie : le duo
"O soave fanciulla" (lui aussi transposé d'un demi-ton) est quasi
parfait et couronné d'un splendide "si naturel" longuement tenu.
L'état vocal de Pavarotti s'améliore
totalement pour la seconde partie : les deux airs de Tosca sont chantés
comme il y a vingt ans et le "Duo des cerises" de L'Amico fritz est tout
simplement sublime, justifiant à lui seul ce concert.
L'intérêt du lyricomane
retombe un peu par la suite, le chanteur concluant son programme par des
mélodies sirupeuses (à la grande joie du public, reconnaissons-le).
Un ultime bis nous ramène in
extremis à l'opéra : c'est bien entendu l'inévitable
brindisi de La Traviata, laborieusement repris par une salle satisfaite
mais pas franchement délirante : c'est la rançon de ce type
de spectacle qui attire davantage de curieux et de néophytes que
de véritables passionnés d'opéra (2).
Aux côtés du tenorissimo,
Simone Todaro (3) est un soprano correct mais sans éclat,
enchaînant les airs sans génie particulier (entendre tous
les aigus de "L'Umile Ancella" chantés forte, ça change...
en moins bien).
La performance de l'Orchestre National
d'Ile de France est quant à elle tout à fait honorable (4)
: nous avons entendu récemment au Théâtre des Champs-Elysées
des ténors célèbres moins gâtés par leur
orchestre.
Une soirée en demi-teintes donc,
à laquelle manque l'émotion née de la communion d'un
artiste avec son public (5). C'est ainsi, "la plus belle
voix du monde" ne peut donner que ce qu'elle a...
Placido Carrerotti
1. Rappelons-nous le
fiasco des Tosca new-yorkaises de 2002
à l'occasion desquelles le chanteur avait préféré
rester cloîtré plutôt qu'aller à la rencontre
son public.
2. Beaucoup d'amateurs
de Pavarotti ont d'ailleurs préféré rester chez eux
avec leurs souvenirs.
3. Simone Alaimo a
récemment chanté La Bohême pour la réouverture
du théâtre de Fano aux côtés de Luciano... metteur
en scène !
4. A l'exception de
l'innommable trompettiste qui canarde joyeusement l'entrée d' "O
Sole moi" !
5. Parallèle
saisissant : 2 jours plus tôt à New-York, Mirella
Freni fêtait le cinquantième anniversaire de ses débuts
dans une ambiance autrement émouvante.