OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
GAND
04/05/2008


Annick Massis
© Ugolini


Vincenzo BELLINI (1801-1835)

LA SONNAMBULA

Mélodrame en deux actes
& quatre tableaux
Livret de Felice Romani
Création à Milano, au Teatro Carcano
Le 6 mars 1831.

Amina – Annick Massis
Elvino – Colin Lee (prise de rôle)
Rodolfo – Giorgio Giuseppini
Lisa – Hendrickje Van Kerckhove (prise de rôle)
Teresa – Susannah Self (prise de rôle)
Alessio – Nanco De Vries
Un Notario – Enrico Casari

Direction musicale – Rani Calderon
Chef de Chœurs – Jan Vuye
Orchestre Symphonique et Chœurs de l’Opéra des Flandres

Versions de concert
des 22, 29 avril et 02, 04 mai 2008 à l’Opéra de Gand
&
24, 27 avril 2008 Salle Elisabeth d’Anvers

Massis et Calderon ou un retour à l’essentiel…

Notre petit royaume vient de connaître un festival de Bel Canto. Ciofi en concert à l’ORW (1), une rare Elisabetta rossinienne à Bruxelles (2), enfin, Maria Stuarda, également à l’Opéra de Liège. Au sein de cette actualité qui n’a pas toujours tenu ses promesses, Marc Clémeur crée l’évènement avec ses Sonnambula. Sa recette est simplissime, mais d’une efficacité absolue : une affiche homogène, judicieuse et d’une complémentarité exemplaire, les débuts de Rani Calderon, enfin, Annick Massis, une des plus belles Amina sur le plan international. Pour une expérience passionnante, nous avons eu le plaisir de suivre l’entièreté des représentations.

Aucun comprimario…
Point de comprimari pour cette Sonnambula. Enrico Casari projette fort bien dans les récits du notaire, quant à Nanco De Vries, fort d’un timbre attachant et d’une belle personnalité, il campe un Alessio touchant, avec les moyens d’un Masetto pour ne pas dire d’un Figaro. On pardonnera à Susannah Self, les désordres d’une émission pas toujours orthodoxe, car sa Teresa émeut par sa sincérité, s’avérant parfaitement crédible tant dans ses aspects superstitieux que maternels. Forte impression pour la ravissante Hendrickje Van Kerckhove. Avec raison, le Vlaams lui fait confiance. Après une Sœur Constance judicieuse, ce beau produit de la Chapelle Reine Elisabeth, offrait ses premières Lisa, second rôle peu évident. La voix est celle d’une idéale Blondchen. Sa régularité tout au long des représentations, est plus qu’estimable pour une artiste de cet âge. Elle possède également une jolie présence et très intelligemment, ne perd pas une note de la leçon de chant offerte par la titulaire du rôle titre. De Lisa, elle évite l’écueil facile et racoleur tant de fois frappé de plein fouet par d’autres. Son aubergiste dissimule une réelle tristesse, exprime un personnage piquant, enjôleur et fort bien chantant. Le temps lui permettra de détendre un rien, un aigu qui ne demande qu’à se libérer. La jeune soprano mérite en tout cas, bien des encouragements.

La définition d’une Basse chantante…
Quel bonheur d’entendre enfin CHANTER le rôle de Rodolfo ! Cet emploi est de ces partitions régulièrement sacrifiées sur l’autel des basses à bout de souffle, nous faisant oublier que Rodolfo est le fils du Comte et non pas son grand père… Giorgio Giuseppini ne mérite que des éloges. Représentant de la plus belle école italienne, la basse, pourtant aux prises avec un vilain virus, délivre dès le Come noioso e lungo, une superbe leçon de chant toute en élégance. Giuseppini est remarquable dans la structure tripartite (recitativo, cavatina e cabaletta). Dans le Vi ravviso, o luoghi ameni, il maîtrise non seulement un art racé du canto recitativo, la suprême habileté du cantabile lent, mais non appesanti et la vigueur d’une rythmique efficace dans la cabaletta. Chacune de ses interventions, dans les différents maschere que lui demande Calderon, fait mouche. Il nous sera très agréable de réentendre Giuseppini la saison prochaine, lors de ses débuts à La Monnaie, dans Raimondo (Lucia di Lammermoor).
 

Colin Lee


Well done Colin !...
Colin Lee (1) place son Elvino à un degré d’excellence pour une prise de rôle. Ces représentations doivent beaucoup à ce talent encore injustement reconnu. Après deux soirées, Lee va pleinement détendre son appui et un vibrato un rien serré. Il va dès lors, délivrer une bien émouvante prestation. On savoure la joie d’entendre un Elvino exempt de toute mièvrerie. L’Elvino de Colin Lee est un amoureux idéal et idéalisé, croyant en cette passion unique et romantique. S’appuyant sur des moyens non négligeables, le ténor utilise une palette vocale, théâtrale et musicale, remarquable par ses contrastes et son adéquation. On salue un legato soutenu, un trille rare chez les ténors actuels, le contraste chiaro oscuro à bon escient et enfin, un ténor capable d’alterner un vrai piano et le lirico requis par le Ah perchè non posso odiarti, variations judicieuses inside. Mais rien que pour l’émotion palpable de son Tutto è sciolto, l’Elvino de Colin Lee est prêt pour les grandes maisons internationales. Une alternative à l’omniprésence florezienne…


Rani Calderon


D’un vero Bel Canto ?...
Rani Calderon (2) mérite un article à lui seul, tant il frappe les esprits. A l’heure aseptisée qui est la nôtre, les «grands» médias croient de bon aloi de servir à la louche, des produits de plus en plus policés pour être honnêtes. La sensation d’avoir en face de soi une révélation, est une expérience de plus en plus rare. Fort d’un charisme conscient tant à la ville qu’à la scène, Calderon, chef israélien de 35 ans, impose avec le physique d’un jeune premier, mais surtout de réelles propositions musicales, une Sonnambula qui ne laissera aucun auditeur indifférent. Rani Calderon demande beaucoup aux différents intervenants. En premier lieu, au public, à qui il réclame une oreille vierge de tout préjugé. Aux aficionados dont nous sommes, il demande non pas de renier les Sutherland, Sills ou Gruberova, mais de se souvenir qu’à l’origine, il y a un document : la partition de Bellini. Il suffit de la rouvrir pour oublier que nous avons été décontenancés lors de la prima. Que les habitudes ont la dent dure ou plutôt, la surdité prématurée… Des chanteurs, Calderon exige une extrême rigueur dès le moindre récitatif, mais également au niveau des nuances, trouvant en ses trois titulaires, des alliés de choix. Le chef ne pousse pas la philologie jusqu’à l’ascèse excessive d’un Muti. Le jeune chef est conscient et respecte la tradition des Serafin, Gui et naturellement d’une certaine Callas. Les demi cadences sont là, ainsi que les variations et même certains suraigus. La limite qu’impose Calderon est simplement le bon goût, évitant que des débordements, alanguissements ou autre pyrotechnie en forme de pièce montée, ne viennent distraire les différents protagonistes de leur mission : rechercher et servir l’essence même de la poétique de La Sonnambula. On ne peut passer sous silence, la remarquable rythmique obtenue d’un orchestre du Vlaams méconnaissable. Tout en associant le chef de chœur Jan Vuye, mention au chef israélien pour son travail de fond avec les choristes, définis en soliste protagoniste de la soirée. Enfin un chœur capable de créer des atmosphères, de colorer, de projeter des consonnes et d’employer une dynamique allant du sotto voce à la plénitude de tutti en diable. Le Bellini de Calderon se souvient de ce qu’il doit à Rossini (coloratura di sforza des cabalettes), mais également, de l’héritage napolitain (relation de séduction entre Rodolfo et Lisa ou encore le personnage d’Alessio…). Rani Calderon est un être alliant une immense sensibilité à une force incroyable. Ses réflexes scéniques sont ceux d’un très grand professionnel. L’observer diriger est une expérience captivante. Sa conscience de l’équilibre entre scène et salle est remarquable et de tous les instants. Enfin, on saluera l’intelligence artistique d’un vrai chef qui tout en ayant défini clairement ses options, est capable au fil des soirées, d’intégrer les propositions d’une titulaire expérimentée… Calderon reviendra en Belgique pour un Samson et Dalila, en 2010, à l’Opéra de Wallonie. Nous vous recommandons fortement ce rendez vous qui s’annonce déjà comme passionnant (Cura est pressenti pour le rôle titre), car, il nous semble évident que Rani Calderon évoluera très vite au plus haut niveau international. Nous espérons de tout cœur que les nombreuses sollicitations qui ne manqueront pas d’encourager ce véritable Artiste, ne lui feront jamais perdre sa spontanéité et oublier l’humilité qui définit durablement les Grands…

Prima… Ballerina…
Dans son immense répertoire en constante évolution (près de 70 rôles en vue (3)), Bellini tient une place à part dans le cœur d’Annick Massis (4). Elle avoue sa préférence pour celui dont la musique «coule directement de l’âme». Est-ce pour cela que si nous devions opérer un choix au sein des trois maîtres du Bel Canto, nous lui choisirions également Bellini ? Pour Sonnambula, ses mentors ont pour nom Bonynge, Zedda ou Oren. Pourtant, Annick Massis a l’intelligence d’écouter de nouvelles propositions, tant que celles-ci s’appuient sur un argumentaire musical. Même au sein de ses emplois les plus usités comme Lucia, elle ne considère jamais sa vision comme définitive et est toujours encline à remettre en question une insatiable recherche de vérité. Dans le climax actuel de son parcours, il lui serait si aisé de se complaire dans un confort routinier. Aux prises avec une forte bronchite, elle va assurer les deux premières par solidarité envers ses collègues. Dès la troisième, Annick Massis retrouve la plénitude de ses sensations, le niveau vocal superlatif qui est le sien et aller à la rencontre de la vision de Calderon, en offrant au public bien des trésors de poésie et d’émotion. Massis en concert, est une fabuleuse leçon de technique à observer. Dans son ancrage italien, c’est avant tout une école du souffle. Serein, long, d’une détente infinie qui lui permet d’assurer un appogio incroyable. Bellini repose sur cet art du souffle. La Sonnambula tire son inspiration d’un Ballet d’Hérold, d’après Scribe et Aumer. En fermant les yeux, on pense régulièrement à l’art d’une ballerine en écoutant Massis. Cette apparente simplicité du geste vocal et cette fluidité du mouvement rythmique ne doivent pas nous faire oublier combien cet art repose sur une discipline rigoureuse du corps et une technique à toute épreuve. Il y a également ces moments comme son Son mio bene del zeffiro amante où la voix danse autant qu’elle ne chante. Cette technique n’est pas une finalité en soi, sa raison d’être est un retour au verbe et à la musique. En un mot, émouvoir. Sur un autre plan, l’Amina de la Massis est tellement personnelle par son dosage, cet équilibre entre les différents aspects vocaux et psychologiques du personnage. Souveraine, elle résume Amina dans sa scène finale. Après un Ah se una volta sola, où Massis va suspendre le temps par son art de diseuse, elle va, à fleur de lèvres, nous émouvoir de ses Si presto estinto, o fiore… Massis cisèle avec une simplicité confondante son Ah non credea. Leçon de legato pour cet air abordé quasi comme un Lied que n’aurait pas renié Chopin. La gratitude du public n’attendra pas la cabaletta finale, libératrice, jubilatoire, en rappelant ce que Bellini demandait également à ses interprètes, être d’authentiques Prime Donne.



Philippe PONTHIR

Notes

(1) site web www.colinleetenor.com
(2) 
site web www.ranicalderon.com
(3) site web www.annickmassis.com
(4) Annick Massis annonce pour sa saison prochaine les prises de rôle du Rossignol, de la Princesse et du Feu (L’Enfant & les Sortilèges) pour Berlin et Rattle, Olympia, Antonia, Giulietta et Stella (Les Contes d’Hoffmann) pour l’Opéra de Nice, enfin, sa première Comtessa di Folleville (Il Viaggio a Reims) pour une nouvelle invitation à la Scala di Milano.

[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]