Beethoven, qui n’était pas rancunier, a non seulement dit mais écrit la phrase qui sert de titre à cette petite chronique, en tête de la partition du Credo de la Missa Solemnis. « Je l’ai servi depuis mon enfance, je me suis confié à lui, j’ai fait tout le bien que j’ai pu, je me confie encore à lui, entièrement et uniquement ».
Voici juste 200 ans (certaines sources évoquent le 7 avril), à Saint-Pétersbourg a lieu la première audition intégrale de ce chef d’œuvre monumental. Et pourquoi à Saint-Pétersbourg ? C’est une longue histoire…
Déjà auteur d’une première messe (en ut) et d’un oratorio (Le Christ au Mont des Oliviers), Beethoven aspire à écrire une nouvelle partition sacrée. S’il se tourne vers la spiritualité, c’est qu’il affronte dans les années 1810 une grave crise existentielle, bien sûr aggravée par sa surdité devenue totale, qui laisse désemparé ce croyant non pratiquant.
Peu à peu, l’idée d’une nouvelle messe grandit et il commence par le Kyrie dès 1818. Beethoven aimerait l’adjoindre à un moment important, comme pour en marquer toute la solennité. Il avait dédié la messe en ut à l’archiduc Rodolphe de Habsbourg, frère de l’empereur François, à qui Beethoven avait enseigné un peu de musique. Or, ce même archiduc devient en 1819 cardinal, puis archevêque d’Olmütz. Beethoven lui écrit : « Le jour où une messe solennelle composée par moi sera exécutée durant les cérémonies de consécration de Votre Altesse impériale comptera parmi les jours les plus glorieux de ma vie, et Dieu m’assistera afin que mes pauvres talents puissent contribuer à la gloire de ce jour ».
Mais notre compositeur grognon rate son coup. Pour les cérémonies en question, en mars 1820, la future Missa solemnis n’est pas du tout terminée. Pourtant, peu à peu, le compositeur prend conscience de l’importance de ce qu’il construit pas à pas et qui prendra des dimensions inhabituelles puisque l’œuvre dure presque 1h30.
Au printemps 1820, le Gloria est déjà commencé. Suit le Credo. Puis le Sanctus et le Benedictus, jusqu’en 1821. Et enfin l’Agnus Dei jusqu’en 1822. En même temps, il compose un grand nombre d’autres œuvres (quelques bagatelles, les dernières sonates pour piano, les variations Diabelli, mais aussi un autre monument, la 9e symphonie), ce qui explique aussi le temps qu’il met à composer la messe.
Le 5 juin 1822, il écrit à Peters, éditeur à Leipzig, et lui dit en toute simplicité qu’il avait achevé « l’œuvre la plus grande » qu’il ait « composée jusqu’ici ». Et il souligne « grande ». Il ne faut pas se méprendre : Beethoven n’est pas coutumier du fait. Conscient de sa valeur, volontiers grandiloquent pour dire qu’il compose pour les temps futurs, il ne prétend pas à tout bout de champ que ses œuvres sont « grandes ». Mais pourtant, cette fois, il le sait.
Bien qu’il écrive à plusieurs éditeurs, Beethoven préfère lancer une souscription auprès des grands aristocrates et autres cours européennes. Petit coup à son ego : personne ne souscrit. Ou plutôt si : 10, ce qui n’est pas tout à fait rien, mais ce qui reste très modeste. Et parmi eux, le tsar Alexandre, tout de même, ainsi que le prince Galitzine. Et voilà pourquoi, noblesse impériale oblige, la Missa solemnis est créée dans son intégralité pour la 1ère fois à Saint-Pétersbourg.
Il faudrait une thèse pour parler de cette partition, et il y en a sans doute ! N’allons donc pas plus loin, sauf pour vous dire que voici pour vous l’un des sommets telluriques de l’œuvre, le Quoniam – intégré au Credo– dans une interprétation qui pourra paraître datée, mais qui compte parmi les plus légendaires des enregistrements beethovéniens : celle d’Otto Klemperer, en 1963.