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5 questions à Françoise Masset

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Interview
22 décembre 2003

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Entre baroque et contemporain, avec de rares incursions dans le répertoire du dix-neuvième, votre parcours lyrique est éclectique et singulier ; quel en est le fil rouge ?

Merci de saluer mon répertoire avec ces mots qui le définissent, je crois, assez bien. Cela dit, vous parlez de parcours lyrique quand, pour moi, il s’agit de répertoire vocal, tout simplement. Le fil rouge est peut-être, d’une part, ma curiosité vis-à-vis de toute partition que je ne connais pas (je suis prête à toutes les aventures et découvertes) et, d’autre part, les rencontres : d’interprètes qui ont envie de « musiquer » avec moi, de compositeurs qui ont envie d’écrire pour moi et qui me font confiance. Quand j’ai commencé, enfant, la musique, je n’osais même pas envisager en faire un jour mon métier et cela continue d’être un cadeau quand on vient me chercher. Avant d’être chanteuse professionnelle, j’ai chanté une dizaine d’années au Choeur régional Nord-Pas-de-Calais et ma première rencontre a été celle avec Jean-Claude Malgoire. Avec lui, j’ai « attrapé » le virus du baroque… Ensuite, Michel Laplénie a été le premier à me proposer de travailler professionnellement dans son ensemble Sagittarius et je lui en garde une très grande reconnaissance. Deux autres rencontres ont été importantes aussi : Hugo Reyne (La Simphonie du Marais) et Jean-Pierre Arnaud (Carpe Diem). De plus, mon travail au sein de la Péniche-Opéra avec Mireille Larroche me permet de travailler scéniquement, ce que j’aime également beaucoup. A chaque nouvelle rencontre, j’explore un nouveau versant de notre répertoire, je déchiffre (« mon sport favori »), je « défriche » et je me mets au travail : un nouveau langage, une langue nouvelle, un nouveau style… C’est passionnant ! Bref, s’il fallait résumer, ce que je préfère, c’est alterner les répertoires, donc les partenaires musicaux. De ce « brassage » naît une plus grande souplesse et un autre regard sur ce répertoire monumental qui nous est offert, à nous, chanteurs. Vous parlez de « rares » incursions dans le répertoire du 19e siècle. Evidemment, je ne chante pas beaucoup d’opéras de cette époque, mais quand même Berlioz (un CD-Rom « Autour des Nuits d’été » édition Hyptique vient de sortir, avec Carpe Diem et Catherine Cournot) et surtout la musique de chambre : Schubert avec Laure Colladant au pianoforte, des mélodies françaises et russes avec la harpiste Christine Icart, les pianistes Claude Lavoix (un CD, enregistré avec Claude, consacré à Louis Aubert, vient de sortir), Catherine Cournot, Emmanuel Strosser…

Après Le Fusil de chasse (1999), vous retrouviez en janvier dernier Michèle Reverdy pour une lecture « féministe » du mythe de Médée. Que retenez-vous de cette création ?

J’ai rencontré Michèle à la Péniche-Opéra pour Le Fusil de chasse. Cette oeuvre m’avait paru au début très difficile, musicalement et aussi émotionnellement. Mais j’aime les défis et je me suis prise au jeu. Aussi quand Michèle a décidé d’écrire pour moi cette Médée, commande de l’Opéra de Lyon, j’ai été à nouveau assaillie de doutes, et en même temps reconnaissante pour la confiance qu’elle me témoignait. Elle m’a portée à bout de bras, soutenue, aidée. J’ai bien sûr lu plusieurs fois le livre de Christa Wolf et j’ai été attirée, mais impressionnée, par cette femme libre, jusqu’au bout. Je crois que le découpage fait par les librettistes stylise un peu les personnages et magnifie Médée. Le travail avec le metteur en scène Raoul Ruiz s’est révélé déroutant et m’a renvoyée à mes questions sans toujours me donner de réponses. Il vous fait travailler avec vous-même, creuser en vous-même, et il vous dit en quelques mots si cela lui convient. Alors, quelquefois, j’ai ressenti une grande solitude sur le plateau, pareille à celle de Médée l’étrangère dans la ville de Corinthe. Mais, et on revient à mon goût pour les rencontres, l’atmosphère des répétitions a été très agréable, calme, rassurante, grâce aussi au chef, Pascal Rophé, formidable. Toute l’équipe était véritablement soudée, compositeur, chef, metteur en scène, chefs de chant, chanteurs, figurants, techniciens… Et c’était, au-delà d’un opéra, une aventure humaine…

Après avoir pris part au Salon Berlioz de la Péniche-Opéra et à L’Enfance du Christ adaptée par l’ensemble Carpe Diem, vous venez d’incarner le compositeur adolescent dans Les Orages désirés* de Gérard Condé. Vous sentez-vous proche de l’homme Berlioz ?

Quand j’ai rencontré Jean-Pierre Arnaud en 1996, je ne connaissais de Berlioz, le compositeur, que la Symphonie fantastique, Les Nuits d’été et La Damnation de Faust. Et c’est grâce au Salon Berlioz et à Yves Coudray (il était l’oncle de Berlioz dans Les Orages désirés) qui a réalisé un remarquable travail de « montage » que j’ai découvert le Berlioz écrivain. Les écrits de Berlioz (Mémoires, lettres…) sont formidables de vérité, d’élan et révèlent combien il a toujours été « à l’étroit » dans sa vie : enfant à la Côte-Saint-André, quand il rêve déjà de Paris ; musicien, incompris de ses aînés, trop moderne, trop nouveau, trop dérangeant ; amoureux, enflammé et rêvant d’une étoile qui aurait peut-être dû rester inaccessible…
Proche de l’homme Berlioz ? Difficile de répondre, surtout que j’étais censée l’incarner à l’âge de 12 ans ! La musique de Gérard Condé, les mots de Christian Wasselin m’aident à trouver et à lui donner une certaine brusquerie, une maladresse de comportement. Mais, en tant que femme, je suis séduite par le « volcan », par l’ouragan Berlioz et aussi la ténacité dont il a toujours fait preuve, face à une vie qui ne lui a pas fait que des cadeaux.

Est-ce parce que vous êtes aussi à l’aise « dans les rôles en pantalon et les créations hardies » (Christian Wasselin) que vous avez accepté de relever ce défi ?

Christian m’a vue pour la première fois dans le Salon Berlioz, dans lequel je suis habillée en jeune homme et porte une perruque « à la Berlioz » (cheveux bouclés abondants et un peu fous). Il m’a entendue aussi à Fontainebleau avec Hugo Reyne dans le rôle de la bergère Colette dans Le Devin du village de Jean-Jacques Rousseau. Christian Wasselin est un passionné et un spécialiste de Berlioz. Il m’a parlé de son projet d’écrire un opéra sur la jeunesse d’Hector Berlioz et m’a proposé le rôle du jeune Hector : « Vous portez très bien le travesti et vous rendez très bien les personnages naïfs. » Je n’ai guère hésité et lui ai donné mon accord. J’aime les défis ! Et j’espère être capable de les relever !

2004 sera l’année du tricentenaire de la mort de Charpentier, auteur d’une autre Médée, sublime mais peu jouée. Comptez-vous lui rendre hommage ? Sinon, quels sont vos projets ?

Marc-Antoine Charpentier est un de mes compositeurs préférés. J’ai eu le plaisir de toujours en chanter, notamment avec Emmanuelle Haïm, que j’ai rencontrée au Studio-Opéra du Centre de musique baroque de Versailles. Il y a quelques années, nous lui avions consacré une partie de programme de concert au Festival d’Ambronay. Dernièrement, au Festival de Beaune, j’ai eu le plaisir de chanter avec son ensemble Le Concert d’Astrée, sous sa direction, l’histoire sacrée Magdalena lugens, qui met en scène la Madeleine pénitente, retirée dans sa grotte et adorant le Christ. Charpentier nous y révèle une grande intériorité, un amour incandescent et une sensualité exacerbée. Jérôme Corréas et son ensemble Les Paladins, avec qui j’ai fait plusieurs concerts d’histoires sacrées de Carissimi, m’a proposé un programme d’histoires sacrées de Charpentier (Ambronay, Saint-Michel-en-Thiérache). L’organiste Olivier Vernet a également le projet de faire un enregistrement d’oeuvres de Charpentier pour ce tricentenaire et il m’a demandé d’y participer…
 
Bernard Schreuders

* Création mondiale à Radio-France, salle Olivier Messiaen, le 22 novembre dernier.

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