Management et opéra, deux univers inconciliables. D’un côté le monde de l’entreprise, technique, méthodique, rigoureux ; de l’autre celui de l’art lyrique, irrationnel et émotionnel. Pourtant un rapprochement se dessine. Les dirigeants n’hésitent plus désormais à faire appel à leurs émotions pour manager. Une tendance dont s’empare Mythe & Opéra, un outil de développement managérial et de cohésion d’équipe. 5 questions à Stéphane Longeot, son créateur.
Vous êtes musicologue et philosophe de formation.
Oui, j’ai enseigné la philosophie pendant 15 ans et en parallèle de mon activité d’enseignant, j’ai travaillé sur les grandes figures de la mythologie qui sont prises et reprises à l’opéra. A un moment, j’ai voulu sortir du cadre du simple enseignement pour créer plus d’interaction entre le savoir que je pouvais détenir et la réalité des gens, leurs préoccupations et comment les aider à débloquer certaines situations. C’est alors que j’ai rencontré Maria Diaz. Elle a 20 ans d’expérience en ressources humaines ; elle a une bonne connaissance des organisations ; elle sait utiliser les outils adéquats ; elle est une spécialiste du recrutement… Bref, elle a toute cette culture du management et de l’entreprise et moi une connaissance des mythes, de leur symbolique et de leur traduction musicale, notamment à l’opéra. Nous avons associé nos compétences pour créer le cabinet conseil Alalma1 et les séminaires Mythe & Opéra, outil de développement managérial et de cohésion d’équipe.
Comment fonctionne Mythe & Opéra ?
Chaque module de Mythe et Opéra est développé sur mesure en fonction du problème de management que rencontre notre client : des managers ou des directeurs de ressources humaines qui se trouvent confrontés à un problème de management quel qu’il soit : conduite du changement, cohésion d’équipe, leadership, etc.Tout mon travail est de choisir, en fonction de la problématique avancée, un mythe fondateur porteur de sens, à même de faire travailler une équipe sur ses enjeux. L’idée est de trouver un détour métaphorique, un grand récit qui entre en résonance avec les préoccupations de mon client. Ce que j’ai constaté, c’est que le détour par l’art en général peut être intéressant mais qu’on a souvent du mal à le réinvestir dans sa réalité et ses enjeux managériaux. Le mythe me semble la bonne médiation. On fait quand même un pas de côté – on va être transporté par exemple à Rome ou dans l’Antiquité Grecque – mais en même temps, les épreuves que rencontre le héros, la manière dont il les traverse, dont il les comprend, sont en forte résonance avec des problématiques de prise de décision, de partage du sens, de courage managérial… En plus, je dois tenir compte dans le choix de mes sujets de la saison lyrique car la plupart des clients demande que le séminaire soit suivi d’une soirée à l’opéra.
N’obtiendrait-on pas le même résultat à travers la peinture ou le théâtre ?
On pourrait effectivement l’envisager avec de la peinture ou du théâtre. Ce qui m’intéresse plus particulièrement avec l’opéra, c’est qu’à travers la musique on a affaire à une forme artistique infra verbale. Les gens sont touchés et vont devoir faire tout un parcours pour nommer leurs émotions, les formaliser et les articuler dans un discours. Or, c’est ce qui me semble fondamental pour un manager. Il existe des techniques managériales mais dès que surviennent des épreuves, des tensions, il y a un émotionnel qui intervient et qui est souvent laissé de côté. On le considère comme hors sujet. Beaucoup de freins, d’obstacles vont venir de là.
Par exemple…
Par exemple, j’ai traité le licenciement d’un directeur commercial à travers La Clémence de Titus. Pourquoi ? Parce que Titus est contesté dans ses décisions ; il est dans un environnement de rivalité ; il est confronté à la trahison d’un proche ; il va devoir faire au deuxième acte tout un parcours pour restaurer son autorité. Je mets l’équipe en situation. Je les implique ; je leur dis : « Vous venez d’être trahi par un proche ; l’empereur Titus fait le choix d’un entretien avec celui qui l’a trahi; comment allez-vous conduire cet entretien ? ». Chacun à son niveau s’approprie la question et réfléchit pendant un quart d’heure. Puis après on écoute comment Titus s’y prend dans Mozart. Eventuellement, on peut comparer avec d’autres Clémence de Titus écrites par d’autres compositeurs, voir ainsi comment le problème est interprété dans d’autres versions. Chacun ensuite expose sa lecture. Il est plus facile de se parler au sein de l’équipe quand on est à Rome, sur un terrain différent, ce qui fait qu’on peut dénouer les tensions. En même temps, personne n’est dupe : on voit bien que le sujet a une résonance avec ce qu’on vit. Puis après je leur dis « Vous venez de prendre une décision ; il vous faut maintenant l’annoncer, l’exposer, la rendre publique et là encore, comment vous faites ? » et je les remets au travail. Je crée ainsi un mouvement permanent entre le mythe, les échanges, les extraits musicaux qui viennent toucher l’émotion
Et ceux qui sont insensibles à la musique ?
Il n’y en a quasiment pas. 90% des gens ne sont pas des connaisseurs d’opéra mais présenté de cette manière là, ils se sentent concernés. Vous ne pouvez pas savoir combien l’écoute comparative appelle le commentaire. Et puis même, on a le droit de ne pas aimer… En fait, toutes les réticences existent tant qu’on n’y est pas. La réalité, c’est qu’au contraire ils sont emballés. Et même des gens qui aiment plutôt Johnny Hallyday, vous ne pouvez pas savoir comme ils sont heureux d’avoir vu que l’opéra n’était pas si lointain, qu’ils avaient des choses à dire, qu’ils ont un point de vue et qu’en plus la barrière sociale qui existait entre eux et l’opéra vient de s’effondrer. Ils me disent : « Moi, j’ai envie d’y aller maintenant ».
Propos recueillis par Christophe Rizoud
1 En savoir plus : www.mythe-opera.com
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