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Michel Plasson : « La magie de la musique française est plus fragile que toute autre. »

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Interview
27 juillet 2015

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Lors de la seconde édition de son Académie de chant français, une initiative vraiment déraisonnable selon lui, Michel Plasson s’est confié entre deux répétitions.

Quelle est la spécificité stylistique de l’opéra français selon vous ?

C’est d’abord une prononciation très spéciale, car au-delà du simple phrasé, la langue française est plus cérébrale que sonore, le sens des mots fait donc plus qu’ailleurs partie de la musique. La langue française ajoute une difficulté au chant au lieu de le faciliter : l’italien, le russe ou l’allemand avec leurs accents toniques invariables sont plus naturellement chantants, tandis que l’absence d’accents toniques fixes pour le français est comme un rébus, une partition non écrite, c’est déjà ce que Romain Rolland expliquait à Strauss.

C’est ensuite un esprit, une élégance et en définitive une fragilité. La magie de Wagner n’est pas fragile, celles de Debussy, de Ravel ou même de compositeurs d’œuvres légères comme Messager le sont infiniment. Cela tient en partie au fait que l’orchestre français est polychrome, somme de pupitres individualisés, tandis que l’orchestre allemand est collectif. En tant que fils d’un violoniste et d’une chanteuse, j’ai toujours été en quête de ce son perdu. Cette forte individualité, vous la retrouvez aussi dans le drame : nos petits rôles sont des grands rôles (Bretigny, Albert, Lescaut, Stephano, Micaëla…) et nos méchants sont toujours très élégants, des dandys plus que des démons. En conséquence dans la fosse comme sur la scène, la réussite de ce répertoire repose plus que pour tout autre sur la finesse et la qualité de l’interprétation. C’est pourquoi il faut des musiciens qui arrivent à greffer leurs rêves sur un texte, qui s’engagent pour opérer une symbiose entre magie des mots, de la musique et de la scène ; le paradigme de cet idéal, c’est Pelléas, mais en prenant du recul, cette nécessité vaut pour toute la musique française, de Rameau à Dutilleux.

Pourquoi une telle académie et à quoi rêvez-vous qu’elle serve ?

Je dois dire qu’au soir de ma vie, cette entreprise me semble complètement déraisonnable, donc pour qu’elle fonctionne, il a fallu que je m’entoure de gens raisonnables : mon épouse bien-sûr, mais aussi mon fils Emmanuel, chef d’orchestre lui-même, notre délégué général Didier Laclau-Barrère, les maîtres (je préfère ce mot à « professeur ») que sont José van Dam, Sophie Koch ou Michel Trempont (avoir toujours de tels sol à son âge est un bel exploit) et enfin nos fées, comme je les appelle, nos chefs de chant Kira Parfeevets et Sophie Raynaud. Personne ne fait rien seul, surtout pas un chef d’orchestre ! Cette belle équipe poursuit le même but : nous n’avons pas la prétention de former ou même de révéler des stars, nous cherchons à faire progresser de jeunes chanteurs dans l’approche de ce répertoire, ce qui revient à leur en faire comprendre l’exigence. Les artistes étrangers arrivent souvent trop impréparés à la spécificité de cette musique. Je vous parle d’expérience, moi qui ai enregistré des raretés avec des stars internationales du chant, elle sont d’abord souvent étonnées de la richesse de cette musique et ensuite effrayées par ce qu’elle exige en préparation et investissement personnel. Nous modifierons sans doute le fonctionnement de l’académie l’année prochaine, celle-ci est encore jeune et elle évolue à chaque édition : mode de sélection, durée, nous y réfléchissons car après 10 jours de formation intensive, les chanteurs sont épuisés et ils auraient sans doute besoin de plus de temps pour intégrer en profondeur l’enseignement qu’on leur délivre. Mais à côté de cela, cette Académie ne peut fonctionner que si des directeurs d’opéra, des agents, des producteurs, des professionnels de la musique curieux de découvertes, viennent écouter nos chanteurs et les embauchent. Embaucher des stars c’est facile, en découvrir de nouvelles et leur donner les moyens de le devenir c’est déjà autre chose !

Vous qui défendez ce répertoire depuis 50 ans, comment considérez-vous l’apport récent de musiciens venus du baroque?

Même si j’ai fait beaucoup de musique romantique française, je ne me considère pas comme un chef ou même un amateur de musique entièrement focalisé sur ce répertoire. Ce à quoi j’ai vite renoncé par contre, c’est à diriger le répertoire baroque français : j’ai dirigé à Aix-en-Provence un Carnaval de Venise de Campra, c’était une expérience extraordinaire, j’ai vraiment été impressionné par l’inventivité de cette musique, mais cela m’avait demandé beaucoup de travail et d’aide pour aborder ce répertoire. En sens inverse, je trouve que les musiciens baroques ont beaucoup amélioré les voix des chanteurs, notamment en termes de diction et de déclamation. Ils ont amené quelque chose de très complémentaire à ce que je défendais.

Vous qui avez vu et travaillé avec plusieurs générations de chanteurs, quelle est la particularité de celle-ci, notamment dans son rapport à ce répertoire ?

La principale différence que je constate est que les vocations sont plus tardives, je ne sais pas vraiment à quoi c’est dû, mais ce qui est certains c’est que je ne retrouve pas assez souvent le désir des chanteurs d’antan. Sur le fronton du Palais de Chaillot, il y a cette très belle phrase de Paul Valéry « Il dépend de celui qui passe – Que je sois tombe ou trésor – Que je parle ou me taise – Ceci ne tient qu’à toi – Ami n’entre pas sans désir. » Cela s’applique tout à fait à l’opéra. D’autant que cette lassitude existe aussi beaucoup dans le public : c’est sans doute lié à l’avalanche de sons, à cette anti-musique qu’on entend en permanence, j’aime la variété, le jazz, mais il faut bien convenir que là aussi le talent s’est raréfié. La mondialisation rabote un peu tous les styles et nous perdons nos écoles instrumentales et musicales. Autre différence, j’avoue moins bien comprendre l’élocution de certains chanteurs, surtout les voix de femmes, or il est essentiel que la compréhension de la musique et des mots soit au même niveau.

Existe-t-il un type de voix que l’on pourrait qualifier de « française » ?

J’en suis convaincu. Les voix françaises sont rarement des Brunhilde ou des Tristan : les chanteurs sont avant tout faits pour chanter leur répertoire national et il est rare qu’un chanteur puisse exceller dans un répertoire étranger. Mais comme l’on produit trop peu d’œuvres d’opéra-comique et d’opérettes, ces qualités de chanteurs nationaux ne sont pas utilisées. Le vrai problème c’est que la France ne croit pas en son propre répertoire. C’est aussi la disparition des troupes lyriques et des chorales en France qui a abimé ce répertoire.

Après une telle carrière, quelles sont les œuvres françaises que vous voudriez diriger ?

Avant de rendre ma copie, comme disait Mauriac, je voudrai vraiment faire un Pelléas et Mélisande ou un Dialogue des Carmélites, cette musique est d’une telle richesse que je suis certains que je pourrai faire quelque chose de très différent de tout ce qui a été fait auparavant.

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