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Sonya Yoncheva :« La France est le premier pays qui m’a donné ma chance »

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Interview
22 janvier 2015

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Que le temps du Jardin des voix et des Pêcheurs de Perles à l’Opéra Comique semble loin : après de triomphales Lucia à l’Opéra Bastille, des débuts non moins remarqués à Vienne (Roméo et Juliette), Londres (Faust), Munich (La Traviata) ou Vérone (Rigoletto), Sonya Yoncheva a soulevé l’enthousiasme du public new-yorkais il y a quelques semaines (La Bohème). Hier doublure luxueuse des Marguerite défaillantes d’Anna Netrebko, la soprano bulgare a plus que jamais le vent dans le dos. Son agenda pour le début de l’année 2015 ne manque pas d’appétit : retour au Met avec La Traviata, sortie le 26 janvier de son salut à la France, un disque intitulé Paris mon amour, chez Sony Classical, et incursions dans le Lied, en compagnie de Clara Schumann et Pauline Viardot, à Clermont-Ferrand le 31 janvier, et à la Salle Gaveau à Paris, le 6 février (Les Grandes Voix Production). Sonya Yoncheva sera aussi une des invitées vedettes de la 22e édition des Victoires de la musique classique, le lundi 2 février 2015 à 20h45 sur France 3 (plus d’informations).

Scène et disque, mélodie et opéra : vous pouvez déjà vous targuer d’une carrière extrêmement aboutie. Comment vous y êtes-vous préparée ?

Pendant mon enfance en Bulgarie, j’ai commencé à chanter dans des chorales, dès l’âge de 7 ans, entre autres pratiques instrumentales, car ma mère souhaitait que je baigne dans la musique. A l’époque, je chantais dans les rangs des contralti ! Mais même si ma tessiture n’est plus du tout la même, ce travail très sérieux et très exigeant  m’a vraiment appris à aimer la musique et le chant, plus particulièrement.
Plus tard, quand j’avais 15 ans, je travaillais à la télévision et, pendant l’enregistrement d’une émission, j’ai entendu une chanteuse, une soprano. J’ai cru recevoir un signe du destin. La pureté de ses notes, de ses aigus, m’a impressionnée, si bien que, de retour à la maison, j’ai essayé de l’imiter, seule devant mon miroir. Ma mère, qui avait tout entendu, est venue me trouver : « tu sais, je crois que tu as une voix, que tu devrais te présenter à des auditions ». J’étais un peu sceptique : jusque-là, j’avais été pianiste, choriste, j’avais travaillé à la télévision et posé pour des photos, composé des chansons, fait du rock et de la pop avec mon frère, alors, chanteuse lyrique, ça commençait à faire beaucoup ! (rires) Mais ma mère a insisté, m’a inscrit à des auditions, elle a bien fait. Etrangement, conquérir les aigus n’a pas été très dur : dès la première leçon, à l’échauffement, je suis arrivée au si ou au contre-ut. En revanche, émettre les aigus me faisait tourner la tête, me donnait physiquement le vertige. Il m’a fallu apprendre à  contrôler toute cette circulation d’air !

Ghena Dimitrova, Nicolai Ghiaurov, Anna Tomowa-Sintow, plus récemment Krassimira Stoyanova… les grandes voix bulgares sont légion. Est-ce qu’elles ont inspiré la jeune fille puis l’apprentie chanteuse que vous étiez ?

Dans mon enfance, je ne les écoutais pas tant que ça. Plus tard, lorsque je suis devenue professionnelle, j’ai regardé des reportages, notamment sur Ghena Dimitrova et sa voix complètement exceptionnelle, immense… Ghiaurov, j’ai eu la chance de le rencontrer en 2003, à l’occasion d’un concours à Milan. J’étais très jeune, lui devait mourir quelques mois plus tard, et il était venu me voir pour me dire : « plus tard, quand vous chanterez sur de grandes scènes, prévenez-moi, je viendrai vous applaudir ». Toutes ces grandes voix bulgares ont en commun une émission très généreuse et une puissance sans calcul. Ca doit correspondre à notre tempérament, à nous les bulgares !

Comment une voix bulgare généreuse et puissante s’adapte-t-elle aux dentelles du répertoire baroque ?

Le répertoire baroque fut pour moi une découverte totale et, là encore, je vois cette découverte comme un signe du destin. J’étais au conservatoire de Genève quand ma professeure, Danielle Borst, a organisé une master class avec William Christie. Nous n’étions que quatre chanteurs à y participer. J’avais donc un air baroque à apprendre, or je ne connaissais rien à cette période. J’en avais étudié l’histoire mais je ne savais pas comment ornementer, par exemple. J’ai choisi un air d’Alcina « Mi restano le lagrime », un air finalement très lyrique ; avec Haendel, les difficultés stylistiques étaient moins problématiques qu’avec des compositeurs plus anciens. Je me suis présentée devant William Christie et ce fut un véritable coup de foudre. J’ai adoré chanter cet air, et le chanter avec William Christie qui m’accompagnait du piano, c’était extraordinaire. J’ai tout de suite admiré cet homme. Il m’a dit : « vous avez une très jolie voix, est-ce que vous voulez auditionner pour le Jardin des voix ? ». Je suis donc allée à Paris faire une audition, et voilà… ce fut vraiment le premier tremplin de ma carrière.
L’ornementation, les trilles, beaucoup de ma technique vient du Jardin des voix. Ce qui est fantastique, c’est qu’on a la possibilité de travailler avec beaucoup d’artistes au Jardin des voix, pas seulement William Christie, mais aussi des chanteurs comme Paul Agnew. Avec tous ces gens, j’ai fait beaucoup d’exercices. Je me souviens avoir trillé pendant 40 minutes avec William Christie (rires), il m’a tout appris. C’est ce qu’il y a de plus difficile, les trilles, car il y a des règles, il faut suivre un rythme, Christie me disait de ne pas m’y lancer comme ça, sauvagement…
Je souhaite absolument continuer à chanter ce répertoire. J’ai des projets en ce sens.  Il est clair que je me suis beaucoup concentrée sur le bel canto et le vérisme ces derniers temps, car c’était le rythme naturel de ma carrière : j’ai fait beaucoup de remplacements dans des grands rôles romantiques et c’était important d’être au rendez-vous de ces rôles. Mais le baroque est comme mon premier amour, et j’aimerais y consacrer de nouveaux projets, peut-être un CD…

Votre premier récital CD, justement, chez Sony, est consacré en grande partie à l’opéra français ; il est intitulé Paris, mon amour !…

Oui, je voulais qu’il témoigne de mon attachement à la musique française autant que de mon attachement à Paris ! La France est le premier pays qui m’a donné ma chance. Ici, j’ai pu faire mes preuves sur de grandes scènes, et le public, comme la presse, se sont toujours montrés généreux avec moi. J’ai un véritable amour non seulement pour la langue française, que j’ai pu apprendre pendant mes études à Genève, mais aussi pour la culture française, la musique française, l’histoire de France… Cet album, c’est aussi un souvenir de mes jeunes années ici, en France !

La langue française, que vous évoquez à l’instant, est réputée difficile à chanter…

Les opéras de Gounod ou de Massenet, dont j’ai enregistré des extraits pour mon récital, se caractérisent par une grande pureté dans l’écriture, avec laquelle les compositeurs italiens ne peuvent rivaliser. L’opéra italien est généreux, puissant, très direct, tandis qu’avec l’opéra français, il faut constamment faire preuve d’élégance, de subtilité, de prudence. C’est aussi cela qui me plaît dans leurs oeuvres. La langue, quelle qu’elle soit, influence complètement la vocalité, la sonorité. Quand vous vous baladez dans des pays étrangers, vous vous rendez compte que les gens ont des bouches différentes, des visages différents. Particulièrement, le bas du visage, le muso, comme on dit en italien : il est affiné en France, plus ouvert en Italie, tout simplement parce que la façon dont les gens parlent façonne leur morphologie. Pour la musique, c’est pareil. Nous sommes obligés, je tiens vraiment à cela, de nous baser sur le texte. Même techniquement, ce principe est d’une grande aide. Je me méfie de ceux qui professent que la technique se suffit à elle-même pour aborder une pièce : à la base de tout, il y a le texte. Ma professeure me disait souvent que si l’on maîtrise le texte d’une mélodie, on maîtrisera la technique.

Beaucoup des airs qui composent cet album sont tirés d’oeuvres rares : Hérodiade de Massenet, Sapho de Gounod, etc. Seriez-vous prête à interpréter ces oeuvres intégralement ?

Pourquoi pas ? C’est un challenge qui me plairait énormément, si je trouvais des rôles rares qui, vocalement, sont possibles pour moi. Le problème de la France, c’est qu’il y a un chez vous un tel patrimoine de compositeurs, une histoire de la musique si riche, que choisir un opéra à redécouvrir en priorité, c’est mission impossible ! Le plus dur, c’est finalement de trouver la perle rare…

A propos de perle rare, votre prochaine apparition en France sera l’occasion d’entendre des mélodies rarement jouées, signées Clara Schumann et Pauline Viardot…

Exactement, c’est un programme qui fait très féministe (rires). Je me souviens précisément du moment où l’idée de ce récital a germé : j’étais sur la scène du Met, « en pleine maternité », comme a dit Peter Gelb, et je me suis tout d’un coup aperçu de la masse de choses que j’étais capable d’accomplir en même temps. S’occuper de son enfant, préparer son agenda, répondre à ses e-mails, apprendre de nouveaux rôles, être sur scène… C’est incroyable, l’aptitude des femmes à se diviser en cent tâches. Alors, je me suis dit que le programme de mon prochain récital allait rendre hommage aux femmes !  
J’ai toujours été fascinée par Pauline Viardot : dans l’ombre de sa soeur, la Malibran, elle est un génie caché. Etant pianiste, comme elle, j’ai pu étudier de près ses mélodies, et je les ai trouvées très humaines et naturelles. Mais je ne voulais pas la laisser toute seule dans ce récital. Chanter, dans la même soirée, des mélodies de Clara Schumann m’a alors semblé une bonne idée : Clara Schumann aussi est, comme chacun sait, une grande pianiste. En préparant ces concerts, j’ai même découvert que Pauline Viardot et Clara Schumann ont été amies, qu’elles s’admiraient mutuellement, et qu’elles ont joué ensemble à quatre mains, à Leipzig. Pour finir, j’ai fait la découverte d’une troisième compositrice de la même époque, une italienne cette fois : Carlotta Ferrari, qui a  été surnommée la « Bellini en jupe ». Il était trop tard pour l’ajouter au programme officiel du concert, mais je la travaille tout de même, peut-être pour les bis…

Le bel canto et la mélodie sont souvent décrits comme des genres différents, presque antagonistes. Comment vous préparez-vous à ces récitals de mélodie ?

C’est vrai que chanter du bel canto et chanter des mélodies constituent deux expériences complètement différentes. Chanter une mélodie, c’est comme chanter pour soi-même, avec la main en coquille autour de l’oreille, pour bien capter la moindre sonorité. Dans les mélodies, les textes peuvent sembler naïfs, mais ils sont notre seul support, il faut y puiser une grande inspiration. J’ai la chance d’avoir une voix souple, avec laquelle je peux m’adapter, instinctivement, à différents styles. Et je dois dire que le baroque m’a appris à être très disciplinée : les passages da capo ou les reprises doivent ressembler à de l’improvisation, mais en vérité ils exigent une préparation très minutieuse. Chez un compositeur comme Monteverdi, le travail sur les silences et la façon de les rendre expressifs, est également un enseignement que je mets à profit dans la mélodie. J’espère simplement que La Traviata, que je chanterai au Met quelques jours avant les récitals, ne m’influencera pas trop dans mon interprétation ! (rires)

Après avoir chanté votre première Mimi, il y a quelques semaines au Metropolitan Opera de New York, quels nouveaux rôles voudriez-vous aborder ?

L’histoire des représentations de La Bohème au Met a été très belle : je sortais à peine de ma grossesse quand mon agent m’a appelé pour me parler de cette opportunité. C’était peut-être une folie de répondre oui, mais finalement, j’y suis allée, et je ne l’ai pas regretté ! Je retournerai au Met chanter Desdemona pour l’ouverture de la saison 2015-2016. Je dois dire qu’on me propose aussi, avec de plus en plus d’insistance, la Leonora du Trouvère. C’est un grand défi, qui me tente de plus en plus,  à condition de rester fidèle à son écriture belcantiste au lieu de forcer la voix pour la chanter de manière dramatique !

 

Propos recueillis à Paris, le 18 décembre 2014

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