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Voix straussiennes

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Actualité
25 août 2014

Infos sur l’œuvre

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Quand on m’a demandé de présenter la spéciale « Voix straussiennes », la liste proposée était éclairante : sur treize noms, onze sopranos ! Dans ce palmarès, Hotter et Fischer-Dieskau font figure d’alibis. Tout est dit : la stridence et le mordant de l’aigu féminin sont bien la signature du munichois qui disait du rôle d’Elektra qu’il était « l’extrême limite de la capacité d’audition des oreilles d’aujourd’hui ».  Vous trouverez donc ci-après des timbres caractérisés par la vaillance et l’amplitude, tels ceux d’Astrid Varnay ou de Leonie Rysanek. Mais ne voir que cela serait oublier que le Strauss du Capriccio est le prince de la « conversation en musique ». Toutes sortes de personnalités vocales peuvent y briller, du « double crème » de Renée Fleming au piquant de Natalie Dessay. Il y faut aussi des artistes à la sensualité et à l’autorité affirmées car tous ces rôles nous disent l’impossibilité du couple homme-femme et la solitude acceptée. La mièvrerie n’a pas sa place et nos onze interprètes féminins l’ont compris, chacune à sa façon. [Roselyne Bachelot]


Elisabeth Schumann (1888-1952), La lumière de Sophie

Parmi les artistes de la première génération, la soprano thuringeoise Élisabeth Schumann occupe une place à part. Associée dans l’imaginaire collectif aux grands rôles de coloratures straussiens, elle ne participa pourtant à aucune créations de ses opéras, et ne fut ni Zerbinette, ni Fiakermilli ni autre Aminta. Elle n’en demeure pas moins l’incarnation même de la vocalité straussienne, avec son galbe, sa souplesse, sa facilité dans l’aigu – et l’évidence de sa prosodie. Il est vrai qu’elle chanta dans Elektra et le Chevalier à la rose l’année même de leurs créations, respectivement en 1909 et 1911 – mais à Hambourg, où elle était alors en troupe, avant de rejoindre la Staatsoper de Vienne en 1919. D’ailleurs, si l’on regarde sa carrière scénique, on se rend compte qu’elle n’aura finalement chanté que trois opéras du maître de Garmisch : Elektra (pour le petit rôle de La Confidente uniquement), Le Chevalier à la rose (en Sophie, rôle qu’elle a marqué à jamais et dont témoigne un enregistrement de 1933, mais aussi, plus paradoxalement pour nos oreilles d’aujourd’hui, en Octavian) et Ariane à Naxos où, après avoir été Najade, elle fut un exceptionnel Komponist. Côté lieder, elle a laissé quelques-unes des interprétations les plus marquantes de l’histoire, dont un Morgen bouleversant d’émotion contenue. Mais même en ce domaine, Strauss ne lui aura dédié qu’un cycle : les six Brentano Lieder op. 68 dont certains, paradoxalement, ne convenaient pas du tout à sa voix de colorature, et rendent aujourd’hui encore problématique l’interprétation du cycle complet par une seule et même artiste. On pourra pinailler ici sur des intonations un peu aventureuses, là sur des phrasés peut-être trop appuyés ; mais le charme, la lumière de cette artiste restent un modèle et une source d’inspiration. [Jean-Jacques Groleau]


Lotte Lehmann (1888-1976), une Maréchale pour l’éternité.

Née Prussienne, Lotte Lehmann fut pour Strauss la plus viennoise des sopranos. Pour elle, il eut une tendresse à part. Aussi lui offre-t-il, alors qu’elle n’est que jeune débutante à l’Opéra de Vienne, le rôle du compositeur dans la seconde version d’Ariane à Naxos. S’ensuivra un long compagnonnage, heureusement documenté par le disque. Lotte Lehmann fut la Maréchale favorite de Strauss. Elle y débuta en 1924 à Vienne après avoir été – fait unique Sophie et Oktavian . Elle créa également la Teinturière (1919) et Christine dans Intermezzo (1924). Le chemin de Lotte Lehmann et de Strauss se séparèrent quand en 1938 elle s’exila pour les Etats-Unis. Mais elle y fit connaître et aimer ses opéras, sur scène, comme professeur, comme essayiste aussi. A Strauss elle offre la chair dense et lumineuse d’une voix qui n’a d’autre préoccupation que nous prendre présent et intime le cœur du verbe théâtral. Cette vibration est d’hier matin. Aussi, mythe parmi les mythes, Lotte Lehmann est-elle pour nous la plus fraîche et la plus proche des chanteuses straussiennes. Se reporter aux disques qui jalonnent sa longue carrière est l’assurance d’une rencontre avec une forme d’éternité. [Sylvain Fort]


Viorica Ursuleac (1894-1985), l’autre favorite.

Plus jeune que Lehmann, mais moins aimée de Strauss, Viorica Ursuleac eut la bonne fortune d’être l’épouse de l’intimissime Clemens Krauss, et de demeurer en Allemagne le temps de la guerre, quand Lehmann avait choisi l’exil. Ces circonstances ne retirent rien à son talent ni à la confiance que lui faisait Strauss, l’appelant « la fidèle parmi les fidèles ». Elle créa Arabella à Dresde en 1933, Friedenstag à Munich en 1938, la Comtesse de Capriccio à Munich en 1942 et Die Liebe der Danae en 1944 à Salzbourg (le temps d’une répétition générale, l’œuvre ayant été déprogrammée par Goebbels) puis en 1952 pour la « vraie » première. Elle laisse sur Richard Strauss un livre de souvenirs touchant et des témoignages discographiques de premier ordre, Krauss officiant dans la fosse. Sa voix est d’un métal franc, couleur d’argent et capable de filer la ligne à l’infini : quelque chose s’y met de hiératique et d’impressionnant dont le disque restitue sans doute assez mal la foncière humanité, que maint témoignage souligne à l’envi. [Sylvain Fort]


Hans Hotter (1909-2003), l’homme moderne

Le monologue de la Maréchale, la confrontation entre Elektra, sa sœur et sa mère, l’entrée d’Arabella, la sortie de Salomé… Plusieurs grands moments d’opéra font que Strauss constitue, aux yeux du mélomane, la quintessence du compositeur pour dames. A-t-il si mal loti les hommes ? Ce n’est certainement pas ce que vous dirait Hans Hotter. Dédicataire du Lied « Erschaffen und beleben », créateur de Jupiter dans L’amour de Danae, d’Olivier dans Capriccio et du Commandant de Friedenstag (de la première série de représentations, qui réunissait également, sous la direction de Clemens Krauss, Ursuleac, et Dermota, il reste un enregistrement légendaire), le plus célèbre Wotan de son temps fut la preuve par l’exemple qu’il existe aussi un homme straussien. Un homme dénué d’héroïsme, mais qui puise sa grandeur à la source des coups du sort et des blessures du destin. Entendre tout ce que ce Jochanaan a de désabusé (Kleiberth ou Reiner), tout l’effroi qui paralyse cet Oreste (Richard Kraus), tout le pathétique de ce Morosius (La Femme Silencieuse, avec Böhm) ou l’élégance un peu gauche de ce Mandryka (Böhm également), c’est entrevoir les blessures infinies qui sont à la fois fardeau et grâce de l’homme moderne. [Clément Taillia]


Elisabeth Schwarzkopf (1915-2006), la grande dame

Nulle autre qu’Elisabeth Schwarzkopf n’a su exprimer aussi intensément, dans ses interprétations des œuvres de Richard Strauss, l’inexorable écoulement du temps et l’omniprésence de la métamorphose. Peut-être parce que son propre cheminement l’a conduite de Zerbinette à Ariane, de Sophie à la Maréchale, mais surtout parce qu’elle accorde à chaque mot et à chaque note une attention qui transforme le moindre détail en moment d’éternité, pourtant inséré dans le flux de la phrase musicale, porté par la ductilité de la voix. Et quelle voix ! Lumineuse, subtile, élégante, poignante – d’un lyrisme enivrant, d’une puissance dramatique confondante, mais donnant toujours le sentiment de l’aisance, donc de l’authenticité absolue du sentiment – que ce soit dans le monologue de la Maréchale ou dans celui de la Comtesse Madeleine, ou encore dans les Quatre derniers lieder. Comme si elle eût répondu au vœu d’Hofmannsthal conseillant de cacher la profondeur à la surface. Car l’art de Dame Elisabeth Schwarzkopf repose sur un travail inlassable, implacable, d’une exigence extrême, perfectionniste au sens le plus noble du mot, de la part d’une cantatrice qui considérait les chanteurs comme des artisans au service des artistes que sont les compositeurs. [Fabrice Malkani]


Inge Borkh (né en 1917), Elektra forever

Callas était Tosca, Schwarzkopf était la Maréchale, Inge Borkh était Elektra. Rares sont les identifications aussi poussées entre un interprète et un rôle. Dans une interview à paraître prochainement sur Forumopera.com, Inge Borkh revient sur ses relations si particulières et denses avec les rôles d’Elektra et Salomé, si exigeants, qu’elle chanta durant les années 50 et 60 sur les principales scènes lyriques. Elle avait pour elle une incroyable facilité vocale : sa voix n’était pas lourde, elle était au contraire fluide, ductile, d’une rare souplesse, s’épanouissant dans un aigu radieux qui semblait ne pas avoir de limites. Du théâtre, qu’elle avait appris jeune fille, elle avait gardé une discipline de la projection des mots, précieuse pour faire honneur aux textes de Wilde et d’Hoffmannsthal. Elle pouvait enfin miser sur son physique d’athlète, élancé, svelte. Pour incarner Salomé, les cours de danse de l’adolescence se révélèrent précieux. Et puis surtout, il y avait cette incandescence furieuse, une forme d’inconscience vocale qui rappelaient Welitsch, et rendaient son Elektra et sa Salomé irremplaçables. Tout mélomane straussien connaît et chérit à juste titre le disque d’extraits d’Elektra et Salomé qu’elle a gravé pour RCA en 1955 et 1956 sous la baguette volcanique de Fritz Reiner: un disque d’île déserte, pour toujours. [Julien Marion]


Astrid Varnay (1918-2006), l’évidence

Astrid Varnay dans Strauss, c’est presque une évidence. Mais attention! On parle ici du Strauss sombre, violent, véhément d’Elektra et Salomé. A d’autres les cantilènes flottantes et avantageuses des opéras de la maturité. Mais, dans ces deux bombes lyriques aux défis vocaux insensés, difficile de faire l’impasse sur Varnay. Son timbre mat, puissant, à la densité peu commune, son incroyable solidité dans l’aigu, conjugués à un génie dramatique de premier ordre la rendirent incontournable pour camper la fille d’Agamemnon ou, quoique plus rarement, la princesse érotomane. Les plus grands chefs straussiens se l’arrachaient alors: Mitropoulos, Reiner… Karajan, lorsqu’il monta Elektra à Salzbourg en 1964, ne voulut personne d’autre qu’elle, quand bien même ses meilleures années étaient désormais derrière elle. Consciente de ses limites, elle commença par décliner, il insista: on connaît le résultat. Preuve éclatante de l’affinité de Varnay avec l’univers straussien, lorsque vint pour elle l’heure de la « seconde carrière », celle des rôles de mezzo, elle fit de Klytemnestre et d’Hérodias son pain quotidien. Avec 213 représentations, ce dernier rôle est, de toute sa carrière, celui qu’elle a le plus fréquemment chanté (79 Elektra et 121 Klytemnestre, tout de même !). Dans ces deux rôles de mère, dont il existe des témoignages filmés dirigés par Karl Böhm, Varnay pouvait donner la pleine mesure de son talent théâtral (le rire démoniaque de Klytemnestre croyant Oreste mort!), et il n’était pas rare qu’elle éclipsât alors les titulaires des rôles titres… [Julien Marion]


Lisa Della Casa (1919-2012), La plus belle Arabella

C’est de Suisse que nous est venue l’une des plus éminemment straussiennes des voix féminines, et des plus complètes. Certes, elle n’aurait pas chanté Elektra, ni Salomé sans doute, les formats vocaux s’étant peu à peu spécialisés, et donc exacerbés. Mais dans cette exigence typique de Strauss pour la longueur de souffle, avec cette façon qui ne fut qu’à lui de demander à ses sopranos des aigus flottés comme hors de toute contingence respiratoire, Lisa della Casa fut une sorte d’idéal. Mieux que la lumineuse Maria Reining avant elle, mieux que les Kiri te Kanawa et autres Renée Fleming même par la suite, et plus idiomatique que Caballé (malgré les mêmes facilités de souffle et d’aigus pppp), elle reste l’Arabella idéale, aux côtés de Maréchale et d’Ariane tout aussi abouties mais où, peut-être, elle était moins unique. C’est d’ailleurs cet ouvrage qui lui valut la reconnaissance internationale, mais en Zdenka tout d’abord : c’était en 1947, au festival de Salzbourg. Elle devait rapidement faire sien le rôle de la grande sœur, sur lequel elle régna ensuite jusqu’à l’orée des années 1970*. Elle partage avec Inge Borkh d’avoir également été une actrice de cinéma – il est vrai que son physique n’avait rien à envier aux plus belles stars hollywodiennes ; mais elle préféra, suite à ses premiers succès sur scène (elle fit ses débuts en Cio Cio San en 1941) se consacrer à l’art lyrique. On l’oublierait presque mais, si l’on écarte les captations pirates de Kirsten Flagstad (1950, dir. Furtwängler en 1950, dir. Sebastian en 1952), la toute première gravure de officielle des Quatre derniers lieder de R. Strauss est celle qu’elle réalisa en juin 1953 sous la baguette de Karl Böhm, imposant d’emblée une excellence rarement retrouvée depuis. [Jean-Jacques Groleau]

* Parmi ses nombreux enregistrements d’Arabella, signalons un premier studio en 1957 chez Decca (dir. Solti), un second avec Keilberth pour DGG (63), un live de Londres avec les forces de l’Opéra de Munich en 1953 sous la baguette de Kempe, deux autres en 58, l’un avec Keilberth à Vienne, l’autre de Salzbourg avec Böhm. Pour les plus curieux, il existe aussi des live de sa Zdenka, aux côtés de Maria Reining, en 1947 (Vienne, dir. Böhm).
 
Erratum: on signale à l’auteur de ces lignes que Lisa della Casa a bel et bien chanté Salomé (Munich, 61). Preuve qu’elle en avait les moyens – même si, visiblement, elle ne chercha pas à renouveler l’expérience…


Rita Streich (1920-1987), la vraie Zerbinette

C’est elle qui devait être la Sophie du Rosenkavalier de Karajan : si une grossesse ne l’avait obligée à annuler (et à se faire remplacer par Teresa Stich-Randall), Rita Streich aurait eu le privilège de léguer un témoignage irremplaçable dans les deux plus beaux rôles que Richard Strauss ait offerts à un soprano léger : Fiakermilli n’ayant qu’une scène à chanter dans Arabella, il ne resterait guère que l’héroïne de La Femme silencieuse pour rivaliser avec ceux-là (ou à la rigueur l’Aithra d’Hélène d’Egypte). A défaut d’entendre Rita Streich en demoiselle Faninal aux côtés de mesdames Schwarzkopf et Ludwig, il nous reste sa Zerbinette avec la susdite Schwarzkopf et l’admirable Seefried. C’est avec ce rôle qu’elle fit ses débuts pendant la Seconde Guerre mondiale, dans un obscur théâtre de Bohême, mais elle devait lui rester durablement associée. Pourquoi ? Peut-être simplement parce que, d’un personnage dont on ne fait souvent ressortir qu’une certaine superficialité cynique, elle révèle en réalité le caractère profondément aimable : sa Zerbinette est gentille, généreuse, piquante, jamais méprisante avec le Compositeur, même quand elle le traite de « Kindskopf ». Et vocalement, bien sûr, elle virevolte dans les acrobaties de « Grossmächtige Prinzessin » avec l’aisance d’une trapéziste née. Autre grand mérite : jamais ce rossignol viennois n’eut la sottise de se prendre pour un oiseau de proie, et Rita Streich sut se satisfaire du répertoire qui convenait à sa voix. Des Lieder de Strauss, elle chanta ceux qui pouvaient lui convenir (« Wiegenlied », « Ständchen »…), sans prétendre toucher à ceux qui exigent une autre étoffe. [Laurent Bury]


Dietrich Fischer-Dieskau (1925-2012)

Qu’est-ce qu’un baryton straussien ? Si divers furent les interprètes des rôles masculins en clef de fa chez Strauss qu’il est bien difficile de le dire. Un seul sans doute les chanta presque tous, Fischer-Dieskau, avec un aplomb et une constance absolus. Mieux, il fait paraître des ressemblances entre Mandryka, Barak, Oreste, Jochanaan : quelque chose comme une brutalité entée dans la solitude et dans la détresse. Il aborda tout le répertoire straussien avant ses trente ans et livra des interprétations insurpassées – notamment un Mandryka dont Lisa Della Casa parlait encore avec émotion peu avant sa mort. Etrangement, c’est dans les lieder qu’on le trouve moins convaincant. La faculté d’envol n’étant pas le privilège des barytons, il ne réussit pas toujours à nous emporter sur les ailes straussiennes ; mais, Dieu, comme il y parvient comme chef lorsqu’il offre soutien et attention à cette autre immense voix straussienne : Julia Varady. [Sylvain Fort]


Leonie Rysanek (1926-1998), la torche

Certains n’entendent que ses défauts ; ils traversent vos oreilles à toute allure. D’autres ne gardent que ses qualités ; elles restent gravées dans les mémoires et dans les cœurs. Leonie Rysanek a été de ses chanteuses qui se consument plus volontiers qu’elles se préservent. De telles artistes se mettent bien souvent en péril  – pas celles qui disposent de moyens phénoménaux. Les écarts de justesse, les défaillances du bas-medium et du grave, les fameuses attaques « par en-dessous » qui donnent des boutons à tant d’esthètes, n’ont jamais altéré la lumière éclatante du timbre, ni la solidité d’une voix réputée pour sa puissance sans égale. Salome tout feu tout flamme (Leitner, Böhm), Maréchale brûlante (Krips), Impératrice chauffée à blanc (Karajan, plusieurs versions Böhm) dans les affres du 3e acte, Rysanek eut aussi le mérite de voir en Chrysothemis (Böhm toujours, mais aussi Richard Kraus, Levine,…) autre chose qu’une oie blanche ou qu’une femme soumise. Et après une Elektra offerte, en studio, à Karl Böhm et à Götz Friedrich, c’est avec une Clytemnestre totalement livrée à sa folie qu’elle hantera, jusqu’en 1996, les plus grandes scènes du monde (Tate). [Clément Taillia]


Renée Fleming (née en 1955), Strauss et strass.

Adoubée par Georg Solti, qui avant elle avait fait de la fade Kiri Te Kanawa une superstar straussienne, Renée Fleming a perpétué une certaine idée du chant straussien : beaucoup de pâte, beaucoup de lumière, beaucoup de son, bref, quelque chose d’onctueux et de sucré qui se mire dans les violons étirés. Cela produit un effet de confort climatisé bienvenu. Mais Fleming, Solti disparu, prouva qu’elle savait en Strauss être aussi amère, automnale, lasse parfois. Ainsi son Arabella, sa Comtesse ou sa Maréchale ne sont pas des bourgeoises confites, mais des femmes dont le sourire ne chasse pas la lueur triste du regard. Aussi est-elle incomparable dans les Quatre derniers lieder, qu’elle a abondamment enregistrés ; les rôles sauvages en revanche ne sont pas faits pour elle. En elle perdure luxueusement la féminité d’une Della Casa voire d’une Lehmann – nous rappelant comme elle la proximité entre les femmes de Strauss et celles de Massenet. [Sylvain Fort]


Natalie Dessay (née en 1965), le rendez-vous manqué

A vouloir marcher sur tous les chemins, Natalie Dessay n’aurait-elle pas dissipé son incroyable talent ? Amina, Lucia, Cleopatra, jusqu’à Traviata étaient-elles vraiment destinées à cette voix vif-argent, avare de couleurs mais riche d’un aigu inépuisable, d’un legato infini et d’une musicalité à toute épreuve ? L’opéra français s’inscrivait naturellement dans ses gènes : Olympia, Lakmé, Ophélie toujours insurpassées… Mais il fallait à son soprano insatisfait de nouveaux défis, scéniques, dramatiques, vocaux. Mozart, qui lui valut en 1989 un premier prix au concours organisé par le Staatsoper de Vienne, montrait la direction. Las, elle préféra les méandres du bel canto à une voie straussienne qu’elle estimait avoir suffisamment parcourue. En 1994 à Vienne pourtant, Sophie (Der Rosenkavalier) avait une pureté d’émission céleste et non angélique – la vérité de la demoiselle Faninal se trouve dans la nuance. La même année, Fiakermilli (Arabella) lui ouvrait les portes du Met. Aminta (Die schweigsame Frau) génialement insupportable en 2001 sur la scène du Châtelet, croquait les coloratures comme Audrey Hepburn les diamants dans Breakfast At Tiffany’s. Des coups d’essai malheureusement peu, voire pas, renouvelés. Surtout Zerbinetta (Ariadne auf Naxos), en bikini à Garnier en 2003 ou junkie à Salzbourg en 2001, tirait un trait sur des décennies d’interprétation trop convenue d’un rôle qui ne l’est pas. De ce chant suggestif, surgissait moderne le personnage imaginé par Strauss et Hofmannsthal. Coquette ? Gourmande ? Espiègle ? Insouciante ? Survoltée ? Forte ? Fragile ? Sensuelle ? Sensible ? Amoureuse ? Oui et plus encore. Un an après cette première Zerbinette parisienne, en 2004,  Natalie Dessay devait participer à la reprise d’Ariadne auf Naxos à la Bastille mais un nouveau polype sur les cordes vocales l’obligea à déclarer forfait. Ainsi s’acheva par un rendez-vous manqué l’une des plus belles histoires que l’art lyrique nous ait contée. [Christophe Rizoud]

 

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